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L'effacement du pardon

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Le front aux vitres

Dans toutes nos enfances il y a quelque part le souvenir d’une vitre irrégulière, et qui enchantait le paysage. Au travers d’elle les arbres devenaient fantasmagoriques, et les architectures les plus géométriques se gondolaient. Ou bien la petite bulle oblique logée dans la vitre du train glissait en déformant les êtres et les choses, avec la facilité d’un bolide magique qui faisait fondre la réalité mais laissait tout intact derrière lui. Dans ces croisées du temps passé, la moindre façade prenait des moirures d’incertitude, et les nuages trouvaient d’interminables complicités.
Au fur et à mesure de leur bris, les vieilles vitres ont été remplacées par des neuves, si impeccablement lisses et planes que le regard n’a plus d’occasions de s’y attarder. Nous manquons pourtant tellement d’objets à ralentir, à retarder, à intriguer le regard ! Poussé par ma curiosité, j’ai demandé à mon voisin vitrier s’il lui en restait. Il paraît qu’on en fabrique à nouveau, exprès (est-ce possible, de faire de telles irrégularités exprès ?) pour les nostalgiques de mon espèce, mais c’est bien sûr un luxe qu’il faut payer très cher. On n’arrête pas le progrès. Peut-être toutefois doterons-nous nos machines, jusque-là conçues pour obtenir la régularité parfaite, de la capacité stylistique à singulariser leurs produits, de leur donner ces irrégularités qui attardent nos sensations et attachent nos sentiments. La cristallographie elle-même apprend désormais davantage des irrégularités que des cristaux réguliers, trop transparents à la connaissance. On peut ainsi être un nostalgique plutôt confiant.
En attendant, les vitres irrégulières de nos enfances ont quasi disparu. Il en reste, sans doute, mais si haut perchées qu’elles ne peuvent plus servir aux enfants, même munis de ballons. Seules les mouches, minuscules toupies lâchées dans l’air estival, viennent encore s’y cogner en vibrant doucement. Les mouches, si merveilleusement inutiles et éphémères qu’elles concentrent tout ce qui nous exaspère ! Qu’est-ce d’ailleurs qu’elles viennent faire dans cette page ? Je n’y puis rien pourtant si elles sont attirées par les vitres ; qui sait ce que leurs yeux y voient ?
Quant à nous les humains, nous croyons à la transparence de nos verres, de nos catégories et de nos images, et ne tolérons plus que ce qui nous protège nous cache quoi que ce soit. La transparence est notre mythe, et nous voulons tout voir sans déformation, sans intermédiaire, tel quel. Nous avons cependant abandonné à une ampoule, la même pour tous (la télévision), cette faculté de déformer les images que Bachelard appelait l’imagination, et que nos enfances immobiles, le front aux vitres comme disait l’autre, réveillent parfois en nous comme une buée.

Paru dans La Croix du 24 juillet 2000

 

Olivier Abel
(merci de demander l'autorisation avant de reproduire cet article)

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