Abrégé de l’Ethique de la nuit

Première veille: Le courage et la fragilité

On entre dans l’éthique par un oui plus radical que tout non, par une approbation qui dit la confiance, la gratitude, mais aussi le courage d’entrer dans les échanges qui font la vie humaine : recevoir et donner, prendre et perdre. Cette orientation première fait crédit au désir, en tant que désir du bon, qu’il concourre à un bien commun, ou qu’il fasse valoir la variété des promesses et des manières de dire et de viser le bon. Cette énergie initiale de sentir et d’agir rencontre cependant la fatigue ou l’angoisse, les déceptions et le découragement : au cœur de la fragilité se trouve la découverte qu’il n’est pas bon d’être seul, même s’il est difficile d’être par, avec, et pour autrui..

 

Deuxième veille: Les proches et leurs liens

Au milieu de l’enchevêtrement narratif de nos relations, et des chorégraphies par laquelle nous nous rapprochons et nous éloignons les uns des autres, se trouvent des conversations qui trament nos vies : la conjugalité suppose d’avoir quitté sa famille, et il n’y a pas de libre alliance sans déliaison possible. A l’inverse, la génération n’autorise l’émancipation que par la reconnaissance de l’attachement, et d’une dissymétrie entre le grand et le petit. L’articulation délicate entre ces deux types de liens, et plus généralement la difficile équation entre la distance du respect et la proximité de la compassion, si sensible dans l’amitié, fait le tragique de l’humaine cohabitation.

 

Troisième veille: Les habitats et le monde

Les conséquences de notre puissance inédite échappent à nos intentions, mais non à notre responsabilité à l’égard des êtres qu’elle rend vulnérables, aussi éloignés soient-ils dans l’espace, ou dans la suite des générations. Car le monde naturel nous est donné à interpréter et à cohabiter avant tous nos échanges et nos productions, et il faut un habitat inaliénable pour pouvoir entrer dans les échanges, montrer qui l’on est. L’habiter est premier et le cohabiter fonde une critique de l’économie politique. La ville alors offre un théâtre assez durable pour être réinterprété de génération en génération, et assez équivoque pour entretenir la diversité des interprétations, le dissensus politique.

 

Quatrième veille: Ensemble, justice et conflit

Au milieu du parcours se trouve l’exigence de justice, qui gouverne les échanges. Cette quatrième posture serait celle de la règle morale, fondée sur un principe de stricte réciprocité, qui voudrait la répartition équitable entre tous des biens et des charges. Mais les formes de l’injustice et de l’humiliation sont diverses, que pointent l’accusation et la plainte, et c’est pourquoi la syntaxe de la justice ne cesse de changer, d’inventer les compromis d’un droit différentiel. Le conflit accompagne l’histoire humaine, le politique boîte, et il faut penser la guerre et le respect des ennemis, jusqu’au cœur de nos démocraties frappées par la peur des nouveaux fanatismes.

 

Cinquième veille: Les cultures et le différend

Le conflit culmine dans un différend inaccessible au consensus, le différend entre les cultures, entre des manières globales d’imaginer la vie bonne. Face à l’accélération des échanges (médias mondiaux, tourisme et migrations planétaires), les cultures sont tentées de se replier et de se clore dans leurs différences. Comment repenser la civilité, la confrontation des cultures ? Mais aussi, dans la mesure où les religions sont des langues, peut-on imaginer des enfants bilingues ? Et comment repenser une éthique de l’identité qui fasse place à la connivence entre ce qu’il y a de vif et de créatif dans toutes les cultures, au sentiment que l’identité n’est pas toujours ce qui importe.

 

Sixième veille: Techniques et vérité du monde

La connaissance, c’est le point où l’on se tourne vers le monde immense, insouciant de soi. Le geste premier est ici de remettre l’interrogation au centre, de repartager le pouvoir de questionner. C’est aussi de distinguer les ordres de discours et de vérité, d’accepter la discontinuité des problèmes, et qu’il n’y à pas de discours ou de théorie qui puisse répondre à tout. La technique alors n’est pas une voie d’évasion hors du monde commun mais une manière d’élargir notre rapport au monde, de mieux sentir ce que nous faisons. Et si chaque être a son style singulier, sa manière de différer entre ce qu’il reçoit et ce qu’il donne, le monde tient à cet intervalle entre les interprétations.

 

Septième veille: L’espérance et l’effacement du pardon

Comment sortir de la loi de l’échange et du tragique ? La sagesse pratique peut d’abord pointer ce qu’il y a de comique dans l’universel malentendu où nous sommes plongés, pour relativiser le différend des mémoires et des grandeurs, et proposer en modèle ce qui est petit. On ne cherche plus à généraliser, on improvise des compromis modestes. C’est le travail du pardon que de faire le deuil de l’irréparable et de préparer le travail de l’enfantement d’un présent nouveau. La sagesse peut aussi traiter l’autre par pure sollicitude, sans chercher à comparer, et ce dévouement docile, cette abnégation, peut être une forme extrême de lucidité, de tranquille effacement de soi.