La corrélation religion-culture dans la théorie du symbole chez P. Tillich

Ce que je vais présenter ici n’est pas très original, puisqu’il s’agit simplement de poursuivre sur certains détails un travail commencé à Montpellier au colloque Tillich de 1985. Examinant les formes de la rationalité chez Tillich, une raison critique parce qu`elle se sait finie, une raison intuitive parce que désirant l’infini, j’avais ensuite tenté de montrer que la compréhensibilité du symbole est dialogique, conforme à la logique des questions et des réponses. A partir de là, nous allons poursuivre deux enquêtes. La première, plutôt historique, voudrait mettre en relief dans la théorie tillichienne des rapports religion–culture le glissement d’une articulation force (religieuse) – forme (culturelle) à une articulation question (culturelle) – réponse (religieuse). On passe ainsi d’un paysage intellectuel germanique à un autre, plus anglo–saxon. Le symbole est le lieu où ces deux articulations se chevauchent. La seconde enquête est plus actuelle : reprenant la méthode de corrélation selon « la logique des questions et des réponses » (ou logique des mondes possibles) de Hintikka, on applique cette méthode à la dialectique angoisses–courages (dans « Le courage d’être »). Il s’agit, pour nous-mêmes et aujourd’hui, de continuer la méditation de Tillich sur les conditions de communication du message chrétien et la possibilité de répondre à l’absurde et à la crise du sens : pourquoi la « dernière réponse » est–elle forcément symbolique ?

1. Le symbole, langage spécifique

De bout en bout la théorie tillichienne du symbole est tenue en haleine par la même et inlassable question : quelle est la nature du langage religieux, quel est le langage spécifique de la religion, de la communication du message chrétien ? La crise du sens, la dévaluation des langages, ont attiré l’attention des penseurs sur l’usage du langage : mais les positivistes logiques ont réduit le langage à quelque chose de trop exigu, qui exclut trop de tout autres niveaux de réalité pour lesquels il faudrait des « langages différents »[1]. La démarche de Tillich est alors très proche de celle de Wittgenstein : il doit y avoir différents « jeux de langage », et il n’y a pas une seule règle du jeu, une seule logique applicable à tous ces langages. Le symbole « ouvre des niveaux de réalité qui sinon demeureraient cachés et ne peuvent être saisis d’aucune autre façon. Tout symbole ouvre un niveau de réalité où le langage non–symbolique est inadéquat »[2]. Et avec le symbole religieux on a affaire à ce niveau de profondeur absolue, le sacré, le rapport à la puissance d’être elle–même.

Le symbole est donc ce langage spécifique du religieux, un langage qui n’est pas d’abord cognitif (descriptif), ni moral (prescriptif), ni même sentimental (expressif ou poétique)[3], mais quelque chose à la charnière entre l’expérience de la puissance de l’être et la manifestation de cette puissance dans un contexte culturel donné[4]. C’est cette situation charnière du symbole entre la force et la forme qui explique ses deux caractères principaux. D’une part les symboles, à la différence des signes, participent au sens et à la puissance de ce qu’ils symbolisent : le symbole n’est pas remplaçable par un signe quelconque qui par convention pourrait s’y substituer (T.C. 69–70). Mais d’autre part les symboles comme les signes renvoient à autre chose qu’à eux–mêmes (T.C. 68): ils ne sont que la représentation de quelquechose d’autre, qu’ils signifient au sens figuré[5].

2. Généalogie de la notion de symbole

Cette articulation de la puissance de l’être et de la forme culturelle dans le symbole est caractéristique de la problématique religion–culture du premier Tillich. On y retrouve la vieille idée de Schleiermacher que les révélations sont les expressions diverses de la relation avec Dieu : par là Schleiermacher rompait avec le piétisme pour lequel la révélation tombait du ciel, et avec les Lumières pour lesquelles la révélation était un phénomène purement culturel[6]. Mais on y retrouve toute la généalogie de la pensée de Tillich. Contre une pensée religieuse démoniaque, qui prend l’Ecriture à la lettre, qui identifie le symbole au sacré, qui idolâtre le moyen comme s’il était lui–même

l’ultime, et qui interdit ainsi toute critique des formes et toute transformation historique, il faut avoir recours à la Raison Critique. La Raison Critique, c’est la philosophie kantienne des limites, qui maintient la distance et l’altérité : le symbole n’est pas le sacré[7]. Mais par ailleurs contre une culture qui a exclu toute autre dimension du réel que la rationalité technique et positive, et qui prétend tout traduire dans ce seul langage[8], il faut redire avec Schelling que le symbole est intraduisible en concepts et que son interprétation est tautégorique : le symbole seul interprète le symbole. Cette raison intuitive s’insurge contre une rationalité formelle et vide : elle fait appel au sentiment et à la profondeur du vécu, et c’est dans le langage symbolique qu’affleure le vital dans le rationnel[9] ; la raison intuitive est symbolique, métaphorique, parce qu’elle désigne toujours déjà quelque chose qui précède la rationalité[10].

3. La force et la forme

S’il y a tension entre ces deux dimensions du symbole, c’est une tension circulaire : c’est parce que l’homme, à la différence de Dieu, a une intuition finie, qu’il doit recourir à une pensée rationnelle et discursive (T.C. 114) ; mais c’est parce que la raison critique nous rappelle nos limites et notre finitude qu’elle restaure la possibilité du « mythe » par lequel notre raison finie désigne l’infini : notre raison ne transcende la finitude de l’existence temporelle que symboliquement. Aussi la condition du symbole est–elle existentielle en deux sens : en ce que le symbole nous met en rapport avec la puissance de l’être, et en ce que le symbole permet la critique de ce qui est. Le symbole est vivant précisément par cette tension entre la proximité et la distance, entre l’identité et l’altérité : un symbole vivant est affirmation d’une force et négation d’une forme[11]. Cette conception « tensive » de la vérité symbolique évoque les analyses de la vérité métaphorique par Ricoeur[12], et l’idée que le symbole est à la charnière entre la force et la forme, le vital et le rationnel, a été souvent développée par Ricoeur [13]. La fécondité de cette articulation a été d’autant plus grande qu’elle a permis d’accueillir la pensée psychanalytique comme une interprétation prise elle–même entre la force (les pulsions, les modèles énergétiques, etc) et le sens (les représentants de pulsions, les modèles sémiotiques, etc). La psychanalyse dont Tillich fut le plus proche est sans doute celle de Jung. Par exemple les symboles ne sont pas conscients et

viennent de l’inconscient, et ils ne sont pas individuels car personne ne peut en inventer[14] : ils expriment donc bien l »inconscient collectif », et Tillich n’hésite pas à appeler les grands symboles religieux des « archétypes ». Tout cela permet de « dater » la théorie tillichienne du symbole comme rapport force– forme, non seulement comme une époque de la pensée de Tillich mais aussi comme une époque dans la pensée européenne[15], et comme une aire de la géographie spirituelle du continent. Ce qui est daté aussi par cette articulation force–forme, c’est la première grande corrélation tillichienne entre la religion et la culture ; elle se fait donc dans le symbolique.

4 Le déplacement de problématique

Cette articulation n’a jamais été abandonnée par Tillich, elle se retrouve dans des démonstrations très tardives, mais elle passe peu à peu au second plan, derrière la corrélation question–réponse qui devient « la » méthode théologique (et une méthode n’est pas un instrument neutre, elle est homogène à son champ, Cf. T.S.124). Pourquoi ce déplacement de problématique ? Personnellement j’aurais souhaité que ce soit sous la pression d’une contradiction qui me gêne chez Tillich : comment peut–on parler de la lutte entre le temps (dimension du salut) et l’espace (dimension du démoniaque) comme de la lutte même entre Christianisme et paganisme[16], et par ailleurs parler si tranquillement de la « puissance » de l’être ? Il me semble que les métaphores « dynamiques », les formes et le contenu, les forces et le vital, auraient dû conduire Tillich à être plus indulgent avec l’espace. Dans l’introduction à The protestant era, il cite Jung parlant de cet iconoclasme protestant, qui les sépare et qui les prive des archétypes universellement partagés : et Tillich approuve en remarquant que les protestants remplacent les symboles sacramentels par des concepts rationnels[17]. Mais quelques pages plus loin Tillich affirme que le choix entre le temps et l’espace est un choix pour ou contre le Christianisme (ibid. pp. 16–17). Je pense donc que c’est plutôt à propos de la vie et de la mort des symboles que Tillich introduit cette nouvelle problématique. La genèse et le déclin d’un symbole peuvent certes correspondrent à la manière dont la « puissance de l’être s’en empare et l’abandonne, mais c’est pour un groupe d’hommes donné, dans une situation historique donnée, qu’un symbole prend un sens vivant ou le perd : « au moment où cette situation intérieure du groupe par rapport au symbole a cessé d’être réelle, ce symbole meurt » (T.C. 73, voir aussi 80). Nous retrouvons ainsi, à un niveau plus aigü, la question initiale : comment communiquer, à quelles conditions les symboles religieux peuvent–ils être compris par les hommes contemporains ? Cette question est de nouveau une question de langage, mais cette fois–ci le problème du symbolique va être saisi autrement : il s’agit moins de chercher ce qui fait sa spécificité (un langage extraordinaire) que ce qui fait sa communicabilité (en langage ordinaire)[18].

5. Symbole et situation

Le symbole répond (ou correspond) à une situation. C’est par là qu’il répond au critère de vérifiabilité. C’est important parce que la critique historique (appelée nous l’avons vu par la raison critique) reste sinon une cérémonie vaine. Tant que le symbole est seul interprète du symbole, on a le sentiment d’un cercle herméneutique vicieux, invérifiable. Par ailleurs si la puissance qui s’y exprime est inaccessible autrement, comme la pulsion dans ses représentants, les critères positifs de la connaissance sont sans effet. Avec le symbolique on a affaire à des propositions invérifiables : « La critique empirique ne peut porter atteinte aux symboles. On ne peut détruire un symbole en le critiquant avec des catégories qui relèvent du domaine des sciences naturelles ou des études historiques »[19]. C’est ce que H. Arts reprochait : « Tillich reste toujours à l’abri de ce que Karl Popper a appelé le principe de falsification »[20]. C’est d’autant plus grave que Tillich accorde au positivisme la nécessité d’une vérifiabilité (T.S. 202), et qu’il consacre une dizaine de pages à ce problème, à la fin de la première partie de sa Théologie systématique. Tout son travail consiste à montrer que, de la même manière qu’il y a des jeux de langage différents, il y a des types de vérification différents, selon que la connaissance est contrôlée par l’expérimentation régulière, répétable sur l’objet en général, ou selon que la connaissance est reçue par une expérience toujours quelque peu irrégulière, personnelle, et portant sur des singularités. C’est la proportion entre ces différents procédés qui explique la différence entre vérification mécanique, vérification biologique, ou vérification historique. Or le type de vérification propre au langage symbolique réside précisément dans la réponse ou la correspondance à la situation énoncée plus haut. Lorsqu’on leur parle de l’amour de Dieu, les soldats de Verdun ne comprennent pas : ils ne peuvent ni accepter ni rejeter car ils ne comprennent pas[21]. La vérifiabilité du symbole c’est sa compréhensibilité (un symbole incompréhensible est invérifiable !). Il faut entendre ici « compréhension » au sens fort de cohérence dans un monde possible, dans une forme de vie possible comme totalité : le symbole doit être compréhensible sans faire éclater le monde (ni la tête!) de celui qui le comprend en « régions » juxtaposées, bien étanches parce qu’incompatibles. Le caractère tautégorique de l’interprétation du symbole ne signifie pas qu’il tombe du ciel dans une hiérophanie intemporelle, inaccessible à la vérification : mais qu’au contraire le symbole n’est compréhensible que dans son rapport avec un contexte auquel il doit être adéquat[22]. Le symbole répond à une situation hors laquelle il n’a pas de sens. Et la vérité du symbole est tautégorique parce qu’elle ne peut pas être traduite dans un autre langage, dans un métalangage conceptuel (D.O. 85) : comme écrit Wittgenstein, il n’y a « rien

de caché derrière » le langage ; la vérité du symbole ne doit pas être cherchée derrière lui, dans un sens caché, mais rapportée à la vivacité de la question à laquelle il répond. Il faut remarquer ici que le paysage intellectuel a changé : il était germanique, il est devenu anglo–saxon. C’est pourquoi le mot « situation » est l’occasion d’une formidable contrebande, puisqu’il permet le passage d’une terminologie existentialiste (l’existence en situation) à une terminologie pragmatique (la réponse à une situation). La méthode de corrélation question–réponse apparaît quand Tillich est déjà aux Etats–Unis, vers la fin des années 30. Le philosophe allemand H.G. Gadamer raconte que s’il a adopté cette méthode selon laquelle « on ne peut comprendre une proposition que si on la comprend comme réponse à une question »[23], ce fut aux alentours de la seconde guerre mondiale, à la lecture de l’historien britannique Collingwood. Tillich a–t–il eu connaissance des écrits de Collingwood[24]? Peu importe en fait : c’est dans ce paysage intellectuel qu’il faut comprendre la corrélation question– réponse comme articulation essentielle des rapports culture– religion.

6. La méthode de corrélation

Tillich adopte la méthode de corrélation pour ne perdre ni la dimension existentielle de la question (situation), ni la dimension « kérygmatique » de la réponse (message) : « Le système qui suit tente d’utiliser la `méthode de corrélation’ comme moyen d’unir message et situation. Il cherche à établir une corrélation entre les questions sous–jacentes à la situation et les réponses implicites du message. Il ne tire pas les réponses des questions comme le fait une théologie apologétique qui veut se suffire à elle–même. Mais il n’élabore pas des réponses sans les relier aux questions comme le fait une théologie kérygmatique qui veut se suffire à elle–même. Il établit une corrélation entre questions et réponses, situation et message, existence humaine et manifestation divine »[25]. Cette méthode assure la « consistance » du système, même s’il reste fragmentaire : les propositions doivent être compatibles entre elles et constituer un monde possible. La « cohérence des assertions cognitives »(T.S.120) est la condition sous laquelle la théologie peut transmettre une réponse compréhensible pour ceux qui interrogent, parce qu’une réponse c’est toujours déjà un monde, une forme de vie possible comme totalité : « Le système s’occupe d’un groupe de problèmes réels qui exigent une solution dans une situation particulière »(T.S.123), et « le moindre problème me conduisait à tous les autres problèmes et à l’anticipation d’un ensemble où ils pourraient trouver leur solution »(T.S.13). Il s’agit donc d’établir la corrélation entre le monde de l’existence et un monde qui réponde à ces « problèmes réels ». En outre cette corrélation ne s’établit qu’aux frontières entre plusieurs mondes possibles, à ces confins où « chaque possibilité discutée ici, je l’ai discutée en relation avec une autre possibilité avec laquelle elle est en opposition ou en corrélation »[26]. C’est cette correspondance qui assure la compréhensibilité du message symbolique : alors il y a du « sens » qui passe entre l' »interrogeant » et le « répondant »[27]. La corrélation question–réponse est l’articulation vitale du symbole, comme des rapports culture–religion.

7. La logique des questions et des réponses

Pour aller plus loin maintenant il faudra repartir d’ailleurs, et je vais utiliser la « logique des questions et des réponses » (ou logique des mondes possibles) du finlandais J. Hintikka. La méthode des questions et des réponses est ici formalisée (c’est à dire simplifiée) à un point tel qu’elle permet de résoudre et de poser de nombreux problèmes. Le problème de la référence, jalonné par les travaux de Frege et de Wittgenstein (entre autres), est résolu de la manière suivante :

Olivier Abel

Publié dans Religion et culture (Actes du Colloque du centenaire P.Tillich Québec 1986), Québec: Le Cerf et Les presses de l’Université Laval Oct.1987, p.141-157.

Notes :

[1] Cf. La dimension oubliée, Desclée de Brouwer 1969, p. 80 (j’abrègerai désormais cette référence en D.O.). On retrouve la même chose dans « La nature du langage religieux », in Théologie de la culture, Gonthier Médiations 1972, p. 68 (référence abrégée en T.C.).

[2] Cf. D.O., p. 84 ; T.C., p. 71. On retrouve cette idée de l’ouverture d’un « autre » réel par le symbole dans La dynamique de la foi, Casterman 1968, p.58 (référence abrégée en D.F.) ; et ce caractère du symbole est corollaire d’un autre : ouvrant des dimensions du réel, le symbole ouvre des dimensions de nôtre âme qui y correspondent. Le symbole ouvre de neuves possibilités d’être.

[3] Cf. D.O. chap. 2. Par là Tillich s’oppose explicitement à Hegel, à Kant et à Schleiermacher. Mais la seconde critique me semble caricaturale et fallacieuse, car le lieu de la religion chez Kant est autant le « que m’est–il permis d’espérer? » que le « que dois–je faire? ». D’ail–leurs la distinction des facultés du connaître, de l’agir, et du senti–ment, est kantienne.

[4] En langage heideggerien on dirait que le symbole est la représentation ontique d’ une sorte d’absence ontologique, mais absence plus présente que tout ce qui est là.

[5] Cf. dans Aux frontières de la religion et de la science, le Centurion–Delachaux et Niestlé 1970 (référence abrégée en Front.),

pp. 145sq.

[6] Comme on le voit, ce débat sur l’aspect culturel de la religion ne date pas de Tillich. Le thème en apparaît, sur le mode critique, avec les Lumières. Pour Kant, une révélation, « en tant qu’historique (encore que répandue au loin par l’Ecriture et assurée ainsi à la postérité la plus lointaine) n’est cependant pas susceptible d’une communication universellement convaincante » (La religion dans les limites de la simple raison, Vrin 1965, p. 146). En effet les Ecritures sont liées à des langues et à des contextes culturels donnés : « l’exégète, qui connaît aussi la langue originelle, doit posséder de plus une connaissance et une critique historique étendue pour emprunter à la condition, aux moeurs et aux opinions de l’époque les moyens d’éclairer la compréhension » (ibid. p. 150). Toutefois Kant n’est pas seulement un représentant de l’Aufklärung : il y a eu Rousseau, et Kant voit dans la conscience morale une lumière intérieure apparentée à l’illumination par laquelle la créature se retourne vers la volonté divine (« la volonté de Dieu est inscrite primitivement en notre coeur » ibid. p. 140) : c’est donc un Bien Radical voulu par Dieu que l’homme ait été créé autonome et libre, et Tillich lui–même a très bien noté que chez Kant l’autonomie est quelque chose « comme le souvenir que l’homme garde de sa bonté originelle » (La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante, Le Cerf 1972, p. 35 ; référence abrégée en Naiss.).

[7] S’il y a symbole, c’est précisément parce qu’il n’y a pas de présentation directe du sacré, mais seulement une présentation indirecte, c’est à dire analogique. Kant explique notamment qu’il n’y a de Dieu qu’une connaissance symbolique, que sans le symbole il n’y a plus de relation avec Dieu (c’est le vague déisme des Lumières), mais qu’à l’inverse c’est tomber dans les superstitions (et l’anthropomorphisme, c’est à dire un orgueil par rapport à Dieu) que de prendre nos symboles pour des qualités objectives de Dieu. La critique kantienne insiste sur cette altérité : le symbole n’est pas ce qu’il désigne. Il faut bien remarquer toutefois que Kant est le premier à introduire ce thème du symbolique (voir tout cela dans La critique de la faculté de juger,

paragraphe 59).

[8] « la langue scientifique ne communique pas la même chose que la langue poétique » (D.O. 85)

[9] Schelling écrit que les langues ordinaires, « la langue elle– même n’est qu’une mythologie privée de sa vitalité, une mythologie pour ainsi dire exsangue ». Je ne crois pas néanmoins que l’on puisse légitimer par une telle référence le procédé qui consiste à mythologiser un vocabulaire conceptuel, celui de Tillich par exemple, comme si la vérité était enclose dans la substance des mots. Tillich lui–même a changé assez souvent de vocabulaire, en fonction des sujets traités et de ceux à qui il s’adressait, pour que l’on ne tente pas de faire de son langage une symbolique (ce ne sont pas les individus qui inventent les symboles!).

[10] Cf. Théologie systématique, Planète 1970, tome 1, p. 158 (référence abrégée en T.S.; sans autre indication il s’agira toujours du seul tome 1). Ici le symbole est quelque chose comme le rêve et l’image d’une réminiscence, d’où la « participation » (au sens platonicien) du symbole à la puissance de ce qu’il désigne (Naiss. 42). On pourrait dire que le symbole est à la charnière entre le rationnel et l’irrationnel, mais l’irrationnel est ici comme souvent un « autre » rationnel : ce n’est pas pour rien que Tillich parle de « raison » intuitive.

[11] Cf. T.C. 151. On sait que pour Tillich c’est ce qui fait la prégnance symbolique du Christ comme Parole de Dieu venue dans le monde et crucifiée : « Celui qui incarne lui–même toute la plénitude de la présence du divin se sacrifie afin de ne pas devenir une idole » (T.C. 82).

[12] Cf. La métaphore vive, le Seuil 1975, 7ème étude.

[13] Cf. l’introduction à la « symbolique du mal » (Philosophie de la volonté, tome 3, Aubier–Montaigne). Cf. également « Parole et symbole »(in Revue des sciences religieuses 1975 No 1–2).

[14] Cf. La dynamique de la foi, Casterman 1968, p. 58sq., les cinquième et sixième caractéristiques du symbole.

[15] L’influence de Cassirer et du néo–kantisme sur la formation du concept de symbole est capitale (Cf. J. Dumphy, le symbolique dans l’oeuvre de Tillich, Études théologiques et religieuses 1978 No 2), mais elle est déjà critiquée comme idéaliste (Front. 154– 155).

[16] « Nous vivons dans un temps où plus que jamais, depuis la victoire du Christianisme sur le paganisme, les dieux de l’espace exercent leur pouvoir sur les âmes et sur les peuples. Mais s’il arrivait que tous ceux qui combattent pour le Seigneur de l’histoire, pour Sa justice et Sa vérité, demeurassent ensemble même devant la persécution et le martyre, alors la victoire éternelle dans la lutte entre le temps et l’espace se manifesterait à nouveau comme la victoire du temps et du Dieu unique qui est le Seigneur de l’histoire » (T.C. 50).

[17] The protestant era, The University of Chicago press 1948,

p. XXIII.

[18] D’ailleurs, si le symbolique est inconscient et collectif (on ne peut ni l’inventer, ni le changer, ni le supprimer par décision), il est comme le langage le plus ordinaire –et sans aller chercher quelque surcharge mythologique…

[19] Et c’est alors qu’il continue : « Comme on l’a déjà expliqué, les symboles ne peuvent mourir que quand la situation qui les a fait naître n’existe plus. » D.O. 96.

[20] Cf. article dans Etudes théologiques et religieuses, 1984 No 3.

[21] Ici comme en de multiples autres endroits on aimerait savoir l’influence exacte de E. Husserl sur Tillich : ce dernier emprunte en effet une description husserlienne de la déception d’une attente (Cf. Experience et jugement Paris P.U.F. 1970, paragraphe 21 p. 103) pour y fonder la possibilité d’une vérification : le vrai et le faux « est le résultat d’attentes déçues dans notre rencontre avec la réalité » (T.S. p.201).

[22] La vérité des symboles « est leur adéquation à la situation religieuse où ils sont nés ; leur inadéquation à une situation nouvelle est leur non–vérité » (T.C. 81). Voir le superbe exemple de la disparition du symbole de la Vierge dans le Protestantisme (80).

[23] Das Erbe Hegels, Suhrkamp 1979, p.49. Trad. française in Cri–tique, Oct. 81 p. 888.

[24] Les écrits majeurs de Collingwood furent réunis par Clarendon Press et édités en 1946 sous le titre The idea of history, mais certains datent de 1925–1926–1929. Les passages qui concernent cette méthode se trouvent dans l’édition actuelle (Oxford University Press) pp.269–282. Collingwood est très marqué par Hegel et Croce, mais la dialectique prend chez lui un tour plus platonicien que hegelien ; et puis l’influence de Toynbee, avec l’idée (typiquement américaine) que les grands phénomènes de l’histoire sont des réponses à des défis (challenge), me semble certaine.

[25] T.S. p. 28. Cf. également p. 71, sur la théologie comme réponse aux questions sous–jacentes à la situation humaine en général (enquête transcendantale et existentielle), et à la situation historique particulière (enquête historique et pragmatique). Cf. également p. 113 : tant que nous ne sommes pas dans le Royaume de Dieu, la théologie est une entreprise problématique parce qu’elle est soumise aux contradictions de la situation existentielle de l’homme. Cf. également p.124 : « la méthode de corrélation explique les contenus de la foi chrétienne dans une mutuelle interdépendance des questions existentielles et des réponses théologiques ».

[26] Aux confins, Planète 1971, p. 123.

[27] On sait que c’est le sens exact de la notion hébraïque de prophète : le « répondant ».