L’aspiration à l’unité se trouve parfois contrariée par le goût de la diversité. Cette tension, peut se révéler constructive. N’est-elle pas consubstantielle du protestantisme ?
Olivier Abel : je ne sais pas, qui suis-je pour affirmer ce qu’est le protestantisme? En tout cas, je crois qu’en effet le protestantisme est concerné par cette confrontation. Nous avons le sentiment que le protestantisme nourrit un rapport spécifique à la diversité, je dirais même à l’éclatement. Pour un grand nombre de catholiques, nous représentons une forme de scandale : observant la division de nos Eglises, ils nous demandent où est notre cohérence. A titre d’exemple, je me souviens qu’un jour, le père Valadier, visitant le musée de la Réforme à Genève, exprima sa consternation devant toutes les branches du protestantisme : « comment justifies-tu pareil fractionnement ? », me demanda-t-il. Je lui répondis que je trouvais cela très drôle, non par cynisme, encore moins par ironie, mais parce que cette diversité me paraissait la source d’une richesse authentique. Elle me semble à la fois synchronique au sens où elle supporte et rend supportable une grande amplitude de divergences entre des interprétations contemporaines, et diachronique, en ce sens qu’elle permet ce que j’appelle une suite de recommencements, de réinterprétations. Notre ecclésiologie ne cherche pas la continuité apostolique et l’Eglise n’est pas première : elle est seconde, elle est au service de l’Evangile. Notre priorité demeure la fidélité au message, dans sa vivacité. Dans la mesure où cette fidélité a été réinterprétée de génération en génération, le protestantisme se construit par une succession de recommencements, un peu comme les colonies grecques. Tel est le génie du protestantisme, tandis que le génie du catholicisme réside dans sa capacité à assurer la continuité de la transmission et la continuation de la fondation, dans le prolongement de la civilisation romaine. Ce sont deux rapports au monde complètement différents, l’un plus en archipel et océanique, l’autre plus territorial et impérial au vieux sens du terme.
Marc Deroeux : Je partage ce point de vue tout en rappelant que catholicisme et protestantisme plongent leurs racines dans le même bain du christianisme et qu’il serait réducteur de définir uniquement le protestantisme par rapport au catholicisme, romain en l’occurrence. Certes, l’ecclésiologie fonde la diversité au sein protestantisme, alors que l’Eglise catholique apparaît plus monolithique. Au contraire de ce que croient certains, notre diversité n’est pas un ferment de division mais une richesse de valeurs, de compréhensions, de conceptions, cependant rattachées à un tronc commun. Il arrive assez souvent que l’on compare le protestantisme à un arbre. Olivier lui-même évoquait à l’instant ses différentes branches. Eh bien je crois que le retour à l’Ecriture constitue sa fondation. Cette volonté d’être toujours interrogé par le texte biblique est un élan fondamental. Se poser des questions sur chacun des choix que l’on fait dans la vie quotidienne, l’Ecriture est là, qui nous encourage à l’examen de conscience, de manière personnelle comme de façon communautaire. Une ecclésiologie basée sur l’Ecriture est aussi construite sur le message. L’interprétation tient alors une place importante. C’est l’une des lignes de clivages qui existe au sein du protestantisme. Un foisonnement d’exégèses nous caractérise et nous distend.
Cette méfiance à l’égard de la diversité n’est-elle pas liée aux guerres du seizième siècle- y compris au sein même des mouvements de réforme?
Olivier Abel : Oui : c’est bien l’idée et le sentiment qui en sont restés : il y a eu une guerre civile atroce à cause de la pluralité des religions. Je pense même qu’en France l’idée qu’il vaudrait mieux pas de religion du tout est issue de l’idée qu’il faudrait une seule religion ! Mais ce sont là des idées et des sentiments fallacieux et dangereux. D’abord il ne faut pas exagérer les luttes fratricides entre les protestants — je ne compte pas l’écrasement de la révolte de Münster comme une affaire intra-protestante. Quand on parle des guerres de religions, cela opposait surtout les catholiques aux protestants. La femme de Calvin avait d’abord été mariée à un anabaptiste ; les clivages étaient plus intimes et plus variables qu’on ne le croit de nos jours. Je pense que la guerre éclate quand on veut absolument retrouver l’unité, parce qu’en général c’est sa propre unité que l’on veut imposer aux autres. Au seizième siècle, on avait du mal à imaginer qu’il puisse exister plusieurs Eglises. Calvin ne voulait pas sortir de l’Eglise : il n’en est sorti que parce qu’on l’en a exclu. C’est par contrainte que les Réformateurs et leurs amis ont quitté l’Eglise. C’est après coup que Calvin a compris qu’il était « sorti » et qu’il a appelé les autres à sortir, à ne pas tricher avec leur foi. Par la suite les puritains anglais sont sortis tranquillement de leur Eglise, par une suite de ruptures, et ce droit de sortir s’est généralisé. C’est tout autre chose que les libertins du catholicisme, qui ne songeaient pas à quitter l’Eglise, même s’ils se moquaient des dogmes. C’est que l’Eglise était le « corps » social tout autant que le corps du Christ, et qu’il fallait absolument que tout le monde soit dedans, y compris les y faire entrer de force. C’est ainsi que le désir d’unité à tout prix a pu générer les violences que nous avons connues, et dont pour notre part nous n’oublierons pas l’origine !
Marc Deroeux : On ne peut pas nier que la diversité amène toujours une interrogation sur qui l’emporte, qui perd, au bout du compte sur le fait majoritaire. On ne peut pas nier non plus qu’au seizième siècle il y ait eu, sinon des guerres, du moins des tensions très rudes entre les différents mouvements réformateurs. L’interprétation du texte, la manière dont la Bible peut être comprise, dont elle fait autorité, durant ces temps difficiles provoquait des clivages. Un tel souvenir perdure dans la mémoire protestante. Elle agit, fait agir, parfois de façon positive, mais nous ne pouvons pas sous-estimer son influence, y compris douloureuse, au sein même du protestantisme, ce qui nourrit le sentiment, chez certains d’entre nous, qu’ils sont mis à l’écart. La remise en cause de l’autorité pontificale était nécessaire. Aujourd’hui comme hier, c’est l’Ecriture qui fait autorité chez les protestants. Mais c’est aussi là que le bât blesse : puisque chaque protestant peut être tenté de disposer, par la lecture du texte, de sa propre autorité.
Cela ne conduit-il pas les protestants à pratiquer une forme d’individualisme spirituel ?
Olivier Abel : En effet le livre est un support que l’on peut utiliser tout seul dans sa chambre. Etant donné que le protestantisme est apparu en même temps que l’imprimerie, nous ne pouvons nous étonner de la capacité d’individuation dont il a été le vecteur. Cependant, je tiens à rappeler que pour les Réformateurs et pour nous mêmes encore, la foi ne peut se concevoir sans une tradition, c’est à dire sans une communauté de transmission, et que l’Esprit fait « communiquer » non au sens de la « com’ » mais au sens où il nous rend tous contemporains du Christ (pour reprendre une idée de Kierkegaard). Bref le sujet de la foi, de l’espérance et de l’amour est un sujet à la première personne du pluriel, un « nous ». Autant je suis inquiet de la prétention à l’unité, à l’unification, à l’unanimité, à la conformité, dans des déclarations de foi comme dans des prises de positions éthiques, autant je pense très important de refaire place à ce «nous», qui manque aujourd’hui. La capacité de témoigner ensemble, de nous attester mutuellement, me paraît vitale. « Soyez mutuellement témoins » demandait Basile de Césarée aux moines anachorètes qui cherchaient leur salut solitaire, les appelant à revenir ensemble, à refaire communauté. Dans un texte magnifique intitulé « L’image de Dieu et l’épopée humaine » Ricœur, s’appuyant sur les Pères grecs, Irénée, etc., récusait le rétrécissement augustinien de la Chute et du péché à la faute morale individuelle, et de la Rédemption et de la grâce au recrutement d’élus solitaires. Il attribuait à la déchéance et à la Rédemption une dimension indivisément singulière et collective.
Marc Deroeux : je partage à nouveau ce point de vue, à ceci près que je parlerais plutôt de communauté que de collectif. Cette dernière expression se réfère plutôt à la compétition, s’apparente au vocabulaire sportif, alors que le « nous » dont il est question ne peut vivre que dans une communauté. Le protestantisme doit toujours s’affranchir de la tension entre l’individu et la communauté, pour harmoniser nos aspirations. La grande force de Luther fut de vouloir mettre le texte biblique à la portée de tous pour que chacun puisse de manière personnelle être confronté au message, être interpellé par lui, pour que le texte fasse autorité dans la vie du croyant. Mais ce croyant lui-même s’inscrit dans une communauté de croyants. Ce n’est pas la communauté qui impose une manière de penser le texte, mais elle permet l’interprétation du texte, sa circulation et son interpellation au sein de la communauté. Le protestantisme est riche de cela, mais en même temps il est en danger à cause de cela. Le dialogue nous est imposé par cet aller-retour, nécessaire entre le « je » et le « nous ». Il est frappant de le voir quand on regarde l’histoire : on se souvient de l’image des huguenots, lisant leur bible à la lumière de la bougie, utilisant l’expression « ma bible » en une appropriation touchante qui, pourtant sépare chaque individu de sa culture communautaire.
Olivier Abel : Cette remarque me rappelle mon enfance. J’aimais alors regarder les tranches des Bibles afin de savoir quels étaient les passages les plus fréquentés par telle ou telle personne de mon entourage. La Bible de mon père n’était pas salie aux mêmes pages que la Bible de mon grand-père. Au fil de mes observations, et des années, je me suis moi-même déplacé dans mes préférences, très classiquement depuis les histoires des patriarches ou même l’Apocalypse (je n’ai jamais eu peur de la mort mais enfant j’étais très inquiet de la fin du monde !), vers les psaumes et les Evangiles. Les lectures auxquelles chacun s’attache peuvent ainsi évoluer selon les étapes de la vie et l’évolution de notre monde. Les protestants ont longtemps eu un rapport très personnel à leur Bible. Mais le « nous » se retrouve au moment du culte, lorsqu’on écoute ensemble les Ecritures redevenues paroles. Il faut imaginer un théâtre ou un opéra où le public même connaîtrait le texte par cœur ! Cela génère une sensibilité, une réceptivité, une faculté d’interpréter ensemble, absolument prodigieuses, dont les chorégraphes ou scénographes que sont nos pasteurs ne font, hélas, pas un emploi optimal. Et puis il y a la liturgie que les enfants ou les adolescents peuvent énoncer à haute voix mieux que quiconque, la prière des anciens, etc. Mais plus que tout peut-être, dans notre culte protestant foncièrement acquis aux arts de l’éphémère, cela arrive quand l’assistance chante les chorals ou les cantiques, les cantates ou les psaumes, le gospel ou tout autre de ces formes prises par les voix humaines et patiemment accumulées dans des traditions qui s’ignorent trop mutuellement. Dans ces moments de partage, quand plusieurs voix entrent en résonance pour rendre grâce, on éprouve plus que jamais la pluralité et l’inventivité des manières de rendre grâce, et l’importance de ce « nous » qui enjambe ses propres décalages et désaccords pour chanter ensemble.
Marc Deroeux : Il est certain que nous devons réapprendre le « nous ». Suivant les traditions, nous agissons de façon collective, mais sans le dire. Nous devrions pouvoir vivre la foi de façon commune- le culte est bien conçu pour cela. J’insiste sur ce point : la notion de témoignage se vit autant dans le « nous » que dans le « je ». La foi du croyant se nourrit grâce et dans la communauté. Dans les milieux évangéliques, nous avons coutume d’évoquer le salut personnel. Certes, c’est bien une personne qui est touchée par la question du salut. Mais cette notion entre quand même en résonance avec la communauté des croyants, proches ou plus lointains. Il y a donc toujours nécessité d e s’interroger sur la relation entre l’individu et le collectif. Par exemple, j’ai beaucoup appris de la prière et de la lecture de la Bible en observant tout d’abord mes parents prier et lire la Bible ensemble, mais aussi dans l’église locale où j’ai grandi écoutant les chants, les prières à haute voix et la proclamation des Ecritures. Nourri de ces apports familiaux et communautaires, j’ai conscience de partager maintenant tout cela, traversé par ma propre réflexion critique, dans ma famille comme dans ma communauté locale. C’est l’expression de ce que l’on appelle la piété, qui à la fois s’enracine en soi et se partage avec d’autres.
Les notions d’unité et de diversité se trouvent au cœur du texte biblique…
Olivier Abel : par les Ecritures, nous recevons le modèle Canon d’un ramassis de textes divers ! C’est en effet une collection d’écrits relevant de genres littéraires hétérogènes (récit, poésie, lois, prophéties, sagesse, lettres, etc.), un recueil d’expressions de la foi de communautés et d’individus différents au long de l’histoire. Cette pluralité de confessions, d’expressions et de manières de rendre grâce a été instituée et canonisée. Et c’est ensemble qu’ils constituent ce qui est pour nous l’autorité. Je m’inquiète un peu de ce que l’on parle d’autorité dans la Bible en décalque du champ politique. Le texte biblique autorise. Qu’est ce que l’autorité ici ? C’est ce qui autorise, ce qui libère la parole et l’écoute, ce qui institue au sens fort du terme. L’institution n’a rien à voir avec cet appareil d’administration et de gestion des affaires humaines auxquels on l’a réduite : c’est ce théâtre plus durable que nous-mêmes qui nous autorise à nous avancer pour interpréter la grâce d’être au monde, et d’y être ensemble. Il y a une vie, une énergie, qui provient du fait d’avoir mis et tenu ensemble des façons différentes de nommer Dieu, de lui parler, de l’entendre. En filigrane des Ecritures, puis au long des grandes traditions, nous voyons se déployer des formes variées de théologie entre lesquelles se trouvent des désaccords fondateurs, qui ont été installés dans le paysage, jusqu’à devenir fertiles. Les tensions entre les textes sont irréductibles, et nul d’entre nous ne saurait prétendre faire la synthèse entre ces perspectives. C’est le renoncement à cette prétention eschatologique qui autorise la pluralité des interprétations tant contemporaines que successives, une pluralité réglée à la fois par l’amplitude et la clôture du Canon, par la cohérence vive de notre témoignage et la conscience de notre étroitesse réceptive. Un témoin, s’il témoigne d’autre chose que de lui-même, se sait parmi d’autres, et ne saurait récuser les autres sans manifester qu’il est un faux témoin !
Marc Deroeux : On remarque que la Bible, telle qu’elle nous est parvenue n’est pas tombée du ciel, mais qu’elle a été écrite à travers une histoire d’hommes, de femmes, de peuples divers aussi, même si ces peuples ont tous vécu dans ce que nous appelons aujourd’hui le Moyen Orient. Le temps ayant passé, nous recevons ce texte comme le canon. Cependant nous devons nous laisser à nouveau interroger non par la lettre seulement mais par le message de dieu. Cela nous appelle à l’humilité face aux Ecritures pour qu’autorité du texte ne rime pas avec autoritarisme ! Entre en jeu ici ce que les Réformateurs ont appelé l’illumination du Saint Esprit, qui permet d’exercer le discernement qui, s’il peut être personnel, doit toujours être interrogé par le communautaire pour éviter un enfermement d’”illuminé.”
Les protestants doivent-ils porter, au cœur de la Cité, une voix d’unité ou bien assumer leur diversité, au risque d’affaiblir la portée de leurs interventions ?
Marc Deroeux : Pour vivre dans nos sociétés, il faut avoir des convictions, savoir les poser, les dire et convaincre. Je pense que le protestantisme a cette culture. Mais convaincre n’est pas vaincre. Bien au contraire. Entre la théologie libérale et la théologie évangélique, se construit un substrat commun de convictions qui nous encourage au partage. Il ne s’agit pas de vaincre l’autre, mais de vaincre avec l’autre. Chacun peut se forger ses convictions dans la bible. Entre la théologie libérale et la théologie évangélique, se forme un ensemble de convictions. La question « Qui est dieu ? » est posée par les écritures, mais on ne doit pas imposer sa propre façon d’y répondre.
Olivier Abel : Puis je me permettre de le dire ? Je crois que la vieille opposition théologie libérale-théologie évangélique, dans laquelle je ne me reconnais plus vraiment, a pu faire avancer le peuple protestant, jadis, par une sorte de correction fraternelle mutuelle. Mais je crois aussi qu’elle est en train d’étouffer d’autres différends, différences, désaccords peut être plus fondateurs et fondamentaux, plus importants pour notre protestantisme et surtout pour notre témoignage aujourd’hui. Or les conflits, les vrais conflits, c’est ce qu’il y a de plus difficile à formuler. Pour cela il faudrait d’abord brouiller et compliquer nos débats et divisions actuels, écouter ce qui est dit en mettant entre parenthèses qui le dit, ou bien à l’inverse écouter les voix sans toujours s’arrêter aux discours, que dis je, aux mots — car aujourd’hui la « com’ » se réduit à des mots qui se célèbrent eux-mêmes, il n’y a même plus de phrases, d’énoncés qui parlent de quelque chose en dehors du « langage » ! Il faudrait prendre le temps de discerner ensemble ce qui est important aujourd’hui, et ce qui l’est moins. C’est exactement cela qu’on fait les Réformateurs. Certes il peut y avoir entre nous des différences justement là-dessus : ce qui est important pour l’un (le mariage homosexuel, pour ne pas le nommer) peut ne pas l’être pour l’autre. Sur ce sujet, personnellement, je crois utile aujourd’hui d’approuver tout ce qui augmente les engagements de fidélité mutuelle, mais par ailleurs et plus profondément, je pense que dans un siècle ou deux les enfants continueront à être issus de l’union ordinaire de l’homme et de la femme, et j’ai du mal à comprendre l’enthousiasme des uns et la panique des autres. Nous avons peut-être aujourd’hui à faire front à des questions autrement graves, qui pourraient nous diviser de manière plus féconde, et qui augmente notre commun témoignage, le sel que nous apportons. Mais dans tous les cas c’est pour moi le péché contre l’Esprit que d’exclure l’autre du témoignage de l’Evangile : ce jugement là ne nous appartient pas, et celui qui le commet se retranche lui-même de la communauté. C’est bien là toute la question, la question ecclésiale, mais aussi bien la question conjugale, et la question du politique aujourd’hui. Pourquoi est-ce qu’on reste ensemble ? Est ce simplement parce qu’on adhère à un « projet » commun, est-ce parce que nous avons choisi la même « option » sur le marché des opinions ? J’avoue avoir du mal avec ce langage. Pourquoi rester ensemble alors que l’on pourrait se séparer ? N’est ce pas à cause de ou plutôt grâce à la qualité de notre conversation et même de nos disputes ? Honorer nos écarts et même éventuellement nos conflits, tel est l’apport de la culture protestante au débat public, mais plus encore à l’immense histoire du Christianisme. Le protestantisme n’a cessé de rompre des alliances anciennes, devenues de liens de servitude, pour proposer des nouvelles alliances, qui ne veulent pas dire l’abolition des alliances antérieures mais leur incessante réinterprétation. Le commandement d’aimer Dieu et celui d’aimer son prochain n’ont cessés d’être interprétés (voir nos dogmes d’un côté, et nos morales de l’autre), et il est impossible de faire autrement ! Comme le disait Milton reprenant la Genèse, et Rousseau reprenant Milton et Calvin, « il n’est pas bon pour l’homme d’être seul ». Oui, nous avons besoin de la conversation et même de la dispute, du soin mutuel mais aussi de l’admonestation fraternelle, parce que personne n’a raison tout seul. Ensemble on ne peut que différer les uns des autres, mais on ne peut différer qu’ensemble ! Et différer ensemble, c’est rendre grâce !
Marc Deroeux : Pour rester ensemble, il est important de revenir à l’essentiel (ce qui est l’essence, à la fois sens et moteur), au lien qui est le lieu central de ce qui peut nous rassembler, à savoir Jésus-Christ seul, comme les Réformateurs l’ont affirmé. Cet attachement à la personne du Christ interroge notre compréhension de qui il est en vérité et comment il veut agir dans le monde. Et là personne ne peut avoir la prétention de le savoir ; seule notre approche et notre appropriation des Ecritures illuminées par l’Esprit Saint peuvent nous permettre d’approcher cette Vérité. Une Vérité qui nous saisit plus que nous la saisissons.
Propos recueillis par Frédérick Casadesus