Le temps est un sujet presque aussi difficile que le mal[1], car nous échouons non seulement à le penser mais à l’agir, et même à le sentir simplement. On sent seulement le temps que l’on ne peut pas accélérer, ou ralentir. Celui-là semble passer terriblement lentement, ou terriblement vite. On admire ceux qui parviennent à tout faire, ou ceux qui paraissent toujours avoir le temps, comme s’ils touchaient à nos limites humaines. On pourrait d’ailleurs dire que le temps est l’angoisse contemporaine par excellence, notamment sous la catégorie du possible, qui brise autant le rapport à soi que le rapport à autrui. Et quand les temps se composent pour former l’histoire, l’aporie n’est résolue que pour être reportée plus loin et multipliée.
Dans les propos qui suivent on adoptera successivement trois angles d’attaque du sujet. Tout d’abord nous chercherons à présenter quelques-uns des problèmes éthiques et politiques que nous rencontrons aujourd’hui avec le temps, dans notre vie quotidienne et collective. Ce qu’il y a d’inédit, c’est probablement que le temps comme tel n’aurait jamais jadis été un problème éthique. Glissant de la sociologie de la technique à la métaphysique, nous prendrons ensuite appui sur l’histoire de la philosophie du temps, ou plutôt sur quelques figures du temps au long de l’histoire de la pensée, au sens large puisqu’elle comporte aussi le texte biblique. C’est qu’il est impossible de traiter directement de l’éthique du temps ou de l’histoire sans déconstruire les « régimes », les métarécits qui les gouvernent. Loin de nous résigner à fonder une éthique sur une impasse de la pensée du temps, il nous a paru utile à ce stade de brosser alors une petite méditation fondamentale sur le ou les temps — et d’en pointer à l’occasion les théologies implicites. Dans une troisième partie enfin nous reviendrons à une approche temporelle de l’éthique, pour achever notre parcours par une petite éthique du temps, et notamment de la promesse, de l’histoire et du pardon, qui tentent de faire face à l’imprévisibilité, à la finitude, et à l’irréversibilité. L’ensemble de ce trajet constituera davantage un aide-mémoire des différentes questions ou aspects envisageables qu’un approfondissement de chacun d’entre eux. Mais à cette occasion, on rencontrera plusieurs occasions de convertir l’angoisse, et d’élargir notre sensibilité.
Le temps, dans les sociétés d’aujourd’hui
Nous partirons de quelques phénomènes très contemporains avant de les replacer sur le fond des évolutions technico-mythiques à long terme. Dans toute société, d’abord, la confiance repose sur un sentiment de durabilité, et comme le remarque Hannah Arendt, sur le fait que le monde dure plus que moi, plus que nous[2]. Les humains ont notamment toujours eu besoin d’institutions durables, comme un théâtre plus solide que leurs existences éphémères. Or un sociologue comme Luc Boltanski montre combien Le nouvel esprit du capitalisme nous a plongés dans une société qui délaisse ces institutions pour des projets temporaires, capables de rassembler pour un temps donné des acteurs et des ressources multiples. D’où la multiplication de connexions, essentielles au lien social, mais qui le soumettent à une accélération et une virtualisation inédites.
Encadré 1 : Luc Boltanski et Eve Chiapello, La société de projets[3].
L’activité vise à générer des projets ou à s’intégrer à des projets initiés par d’autres. Mais le projet n’ayant pas d’existence hors de la rencontre (puisque, n’étant pas inscrite une fois pour toutes dans une institution ou un environnement, il se présente en action, à faire, et non sous la forme de ce qui serait déjà là), l’activité par excellence consiste à s’insérer dans des réseaux et à les explorer, pour rompre son isolement et avoir des chances de rencontrer des personnes ou de frayer avec des choses dont le rapprochement est susceptible d’engendrer un projet. (…) L’activité se manifeste dans la multiplicité des projets de tous ordres qui peuvent être menés concurremment et qui, en toute hypothèse, doivent être développés successivement, le projet constituant, dans cette logique, un dispositif transitoire. La vie est conçue comme une succession de projets, d’autant plus valables qu’ils sont plus différents les uns des autres. (…) Ce qui importe, c’est de développer de l’activité, c’est-à-dire de n’être jamais à cours de projet, à cours d’idée, d’avoir toujours quelque chose en vue, en préparation, avec d’autres personnes que la volonté de faire quelque chose conduit à rencontrer. Chacun sait, au moment où il s’engage, que l’entreprise à laquelle il va contribuer est destinée à vivre un temps limité, que non seulement elle peut, mais qu’elle doit se terminer. L’horizon d’une fin inévitable et souhaitable accompagne donc l’engagement sans affecter l’enthousiasme. C’est la raison pour laquelle l’engagement est conçu comme volontaire. Avoir le choix de ne pas s’engager sur un projet donné, et donc le choix de ses projets, est une condition au fonctionnement harmonieux de la cité, et cette condition est garantie par la multi-activité que chacun développe. En outre la connaissance de la fin s’accompagne de l’espérance qu’un projet nouveau succédera à celui qui s’achève, qu’il est déjà en gestation dans le tissu des liens établis dans le présent, même si on ignore encore la forme qu’il prendra, si bien que la tension entre l’engagement exigé et l’issue annoncée se présente comme surmontable.
Nous sommes en effet dans un temps où l’on n’existe qu’en multipliant les connexions, les projets, les contacts, les courriels et les coups de fil. Et les possibilités techniques liées à l’internet et à la téléphonie mobile ont bouleversé nos liens, notre sens de l’espace et du temps, l’organisation psychique et presque physique de nos besoins, et jusqu’à nos formes de fidélité[4]. Nous reparcourons régulièrement la liste de nos amis, de nos proches et de nos lointains, de nos correspondants, et nous devons de temps en temps réactiver les contacts pour bien manifester que nous sommes là, que nous existons, que nous n’avons pas lâché le lien. C’est paradoxal pour une société fondée sur l’émancipation. Mais c’est ainsi que va la société de réseaux, une société où tout bouge tout le temps, où il n’y a plus rien de solide, où tous les liens peuvent être déliés, et où rôde l’exclusion. Malheur à ceux et celles qui n’activent pas leurs connexions, ils sont voués à disparaître peu à peu des carnets d’adresses, à disparaître peu à peu du monde commun. Notre besoin frénétique d’être branchés, de relancer nos attaches, traduit peut-être notre angoisse d’être abandonnés, désaffiliés, inutiles et inemployés.
Aujourd’hui, quelqu’un qui a un grand carnet d’adresses, qui reçoit des messages de toutes parts et qui en renvoie dans toutes les directions, c’est quelqu’un de bien, quelqu’un d’important. N’est-ce pas cependant une des formes les plus terribles de l’aliénation ? Et si la forme prise par notre société n’était qu’un vaste mensonge, qui nous fait croire que nous n’existerions pas sans devenir nous-mêmes une boule nerveuse de liens qui doivent s’accumuler et rester tous ensemble sans cesse possibles ? Ce n’est pas seulement que par ce biais nous sommes de plus en plus dépendants de nos téléphones portables et de nos branchements, auxquels nous sacrifions une part croissante de nos budgets, de notre énergie, de notre temps — dans une véritable addiction, une drogue qui voudrait des doses de plus en plus fortes de temps de connexion. C’est que ceux qui sont vraiment les « maîtres » savent se cacher dans ce brouillage, laisser mourir les connexions inutiles, et ne garder que les connexions qui comptent.
La forme prise par le temps dans une société de connexions est donc profondément inégalitaire. Bergson observait déjà dans l’évolution du vivant des dichotomies et des « doubles frénésies » : ici on a d’un côté un activisme monstrueux, et de l’autre une monstrueuse inertie. Le lien social est au bord de la rupture, car d’un côté nous avons des gens de plus en plus stressés, pressés, mobiles et flexibles, qui ont tant de connexions qu’ils ne parviennent pas à répondre à toutes les sollicitations ; et de l’autre des gens inemployés, superflus, un peu rigides et fidèles, qui n’ont presque pas de liens et ne parviennent pas à reprendre pied dans un échange où ils soient reconnus. Comment aujourd’hui penser tout autant l’attachement ou la fidélité que l’émancipation et la responsabilité ? Nous sommes dans une société à deux vitesses, et le rapport entre les uns et les autres est de plus en plus brutal. Une minute pour l’un peut avoir le prix d’une semaine ou d’un mois pour un autre, et ce rapport-là devient insoutenable.
Le problème n’est plus seulement que le temps c’est de l’argent, c’est le décalage irrattrapable entre ceux qui ne cessent de gagner du temps mais n’arrivent pas à trouver de répit, et ceux qui ne peuvent plus que tuer un temps inutile — sans compter ceux qui passent brutalement de l’activisme à l’inertie. Et le problème n’est pas seulement que d’un côté on aurait la tête de nos sociétés prise dans les nuages des communications et des déplacements rapides, et de l’autre on a les pieds qui traînent inutiles dans la boue des trottoirs de banlieues de l’histoire. Mais que certains sont esclaves de cette obligation pressante d’accélérer, ou d’être jetés, et que d’autres se retirent et lâchent prise tranquillement, parce qu’ils ont une luxueuse avance sur les autres. Il faudrait donc que ce soient les mêmes qui puissent entrer et sortir de l’échange, se connecter ou se déconnecter, accélérer ou ralentir : comment redistribuer de façon juste les obligations et les libertés d’accélérer et de ralentir ?
C’est un autre leit-motiv de la vie contemporaine, l’accélération, subie comme une contrainte de plus en plus douloureuse. Reprenant un axe de recherche diversement exploré par Heidegger et Ellul, on touche ici au rapport étroit qui existe entre la technique et le temps : on peut dire que la technique est toute entière destinée à accélérer les processus naturels, à les abréger. On accélère la vitesse, on accélère les transports, les déplacements, on se déplace de plus en plus vite, et de plus en plus massivement, et tout se passe comme si le temps accélérait avec la densité des concentrations démographiques, le nombre et la vitesse des déplacements humains. Le sociologue Norbert Elias développe l’idée que le temps est une invention sociale due au besoin de coordonner les actions : plus les opérations humaines sont diverses, plus il faut les coordonner, les synchroniser, et plus le temps devient important[5]. En Afrique, par exemple, et en tous les lieux où il se trouve encore peu de connexions, on peut faire l’expérience presque physique que le temps passe tout autrement. Partout ailleurs les besoins de synchronisation presque instantanés exigent un appareillage temporel de coordination et de standardisation du temps de plus en plus puissant, qu’avait déjà noté Herbert Marcuse dans L’homme unidimensionnel — c’est que le temps comme processus irréversible monodrome est un bien meilleur instrument de comparaison, de comptabilité et de coordination des actions que les temps saisonniers ou narratifs un peu flous d’autrefois[6].
Pourquoi donc les contemporains se plaignent-ils toujours de n’avoir pas le temps ? Quand on a de l’argent en main, on a du pur possible, dont on peut disposer de diverses façons qui sont autant de possibilités d’employer le temps. Quand j’ai beaucoup d’argent en main, c’est tout un champ de possibles qui s’étend devant moi ; et quand je n’en ai plus c’est comme si j’étais ramené à un présent plus étroit, plus proche aussi, mais avec moins de possibilités. Que se passe-t-il maintenant quand nous achetons des stocks de nourritures, de boissons, de lectures, de musiques ou de films, des billets de train ou d’avion, un jardin ou une voiture, une maison, des meubles ou des vélos ? C’est comme quand nous notons un lien supplémentaire dans notre carnet d’adresses : nous donnons une configuration précise aux possibilités du futur, et contractons une sorte de promesse ou de dette en pointillés, qui sans être contraignante n’en est pas moins une sorte de « pré-occupation » du temps à venir. Cela nous fait croire à la possibilité d’avoir du temps : car on a beau avoir tout cela, on ne peut pas tout faire en même temps. Et si nous additionnons tout ce que nous avons ainsi acquis, n’arrivons nous pas à des chiffres démesurés par rapport à nos existences ? Ainsi plus nous avons les moyens d’avoir du temps, d’avance stocké dans des objets et des projets ou même des amitiés qui sont autant de promesses de bonheur, plus notre temps vivant est écrasé de dettes.
Car il y a une différence entre le temps stocké sous forme d’argent ou d’objets, qui est une réserve de temps, mais de temps mort, conservé, différé ou virtuel, et le temps éphémère et vivant, le présent vif, que nul ne peut cependant retenir entre les doigts. Au départ ce débordement du possible sur le réalisable n’est pas du tout pénible et donne un sentiment de liberté, celle de choisir nos options, nos combinaisons, nos conditions. Mais il y a une limite indécise au-delà de laquelle le temps présent est comme gangrené par ce temps virtuel. La catégorie du possible, comme Kierkegaard le premier l’a noté dans Le concept d’angoisse, devient peu à peu une catégorie de l’angoisse[7]. Le possible ne cesse de fragiliser le réel, et si tout est virtuel la vraie vie est toujours ailleurs. Le temps est donc ce point douloureux dans nos vies où nous éprouvons la disproportion entre l’infini et le fini, la démesure de ce que les Antiques auraient appelé notre hybris.
Il n’y a d’ailleurs pas que notre addiction à des doses de plus en plus grandes de connexions, d’options possibles, et de déplacements — qui aujourd’hui serait capable de demeurer pendant des mois où il est, sans chercher un sens à la vie dans un perpétuel déplacement ? Il y a aussi, toujours lié à notre condition temporelle ultra-moderne, un formidable besoin de neuf, de remplacer ce qui est dégradé ou abîmé, ou de l’encapsuler dans du neuf — les musées sont-ils autre chose ? C’est encore un indice de notre présentisme, par lequel nous voulons que tout soit au service du seul présent, sans au fond n’hériter vraiment de rien, ni rien espérer. Il ne nous reste qu’une agapè désespérée et des petits objet nomades, concentrés de technologie capables de nous faire croire qu’ils peuvent tout « sauvegarder ». On s’étonne ensuite de la nervosité générale de sociétés et d’individus qui n’ont pas le temps de reprendre leur souffle, de reprendre appui sur un passé plus lointain, sur un rapport au temps plus ample.
Pour récapituler ce premier parcours, nous sommes comme ces joueurs placés dans un jeu virtuel où, ayant réussi à renvoyer correctement une balle, on vous en envoie trois, huit, quinze : on se met en quatre, on y arrive, on s’améliore, mais soudain non, on craque, on ne peut plus. Nous ne parvenons plus à comprendre ce qui nous arrive ni à sentir ce que nous faisons. C’est ainsi que nos contemporains « disjonctent » de temps en temps, un par un, sans parvenir à s’arrêter, et tranquillement à s’arrêter ensemble. Et ce n’est pas un hasard si, actuellement, des gens très rapides, très responsables, très branchés, très compétents « craquent » brutalement et sombrent. Il faut être conscient que nous sommes dans une situation où l’évolution technologique dépasse notre condition humaine. Ainsi la condition contemporaine et urbaine de l’homme le place psychiquement et physiquement dans un décalage par rapport à la rapidité de ses moyens techniques. Nous ne sommes plus assez intelligents, plus assez sensibles par rapport à la rapidité des processus que nous avons déclenchés et que nous ne cessons d’amplifier.
Dans la revue Critique, en juin 1988 soit dix ans après La condition post-moderne, Jean-François Lyotard publiait « Le temps, aujourd’hui ». Il proposait dans ce texte un diagnostic du malaise de notre civilisation quant au temps. Pour lui le processus d’ouverture généralisée des communications entre toutes les entités capables de recevoir et d’émettre (personnes privées, institutions de toutes sortes, médias, musées, bibliothèques, laboratoires, entreprises, administrations, etc.), à l’échelle de la planète entière, ne pouvait plus prétendre promouvoir l’humanisme, la gentillesse de l’échange ni la communication sans entrave qui n’exclurait personne. Il y voyait un processus « inhumain », qui a déjà commencé à abandonner comme inutile une partie de l’humanité, le quart monde de la misère, et une partie de nos corps — dissociation et remodelage des sexes et de la génération, télécommunications et techniques d’identification implantées dans le corps, neurosciences, etc. En « manageant » peu à peu la forme de nos sociétés et de nos existences, ce processus prépare ceux d’entre nous qui pourront encore lui servir à quitter une condition terrestre d’avance condamnée. Ce n’est donc pas seulement un processus technologique, mais un mythe, une religion, une véritable Gnose, et nous sommes tous subjugués par ce joueur de flûte qui nous entraîne où nous ne savons pas — nous aurons seulement eu le temps de comprendre que cet inhumain-là n’est pas Dieu.
Encadré n°2 : Jean-François Lyotard, La grande Monade[8].
On a quelques raisons d’imaginer deux limites extrêmes à la capacité de synthétiser une multiplicité d’informations, l’une minimale, l’autre maximale. Telle est l’intuition majeure qui guide l’œuvre de Leibniz, en particulier la Monadologie. Dieu est la monade absolue pour autant qu’elle conserve la totalité des informations qui constitue le monde en une rétention complète. Et si la rétention divine doit être complète, c’est qu’elle inclut pareillement les informations qui ne sont pas encore présentes aux monades incomplètes, comme sont nos esprits, et qui restent à venir dans ce que nous appelons le futur. Dans cette perspective , le « pas encore » n’est dû qu’à la limite qui borne la faculté de synthèse dont disposent le monades intermédiaires (…) Pour la mémoire absolue de Dieu, le futur est en revanche toujours déjà donné. Nous pouvons ainsi concevoir, pour la condition temporelle, une limite supérieure déterminée par une capacité parfaite d’enregistrer ou d’archiver. Archiviste consommé, Dieu est hors temps. C’est là un fondement de la métaphysique occidentale moderne. (…) Selon cette approche, le cerveau humain et le langage sont le signe que l’humanité est un complexe de cette sorte, temporaire et très improbable. Il est alors tentant de penser que ce qu’on nomme recherche et développement dans la société contemporaine et dont les résultats ne cessent de bouleverser notre milieu, est beaucoup plus l’effet d’un tel procès de complexification « cosmolocal » que l’œuvre du génie humain attaché à découvrir le vrai et à réaliser le bien[9].
2. Figures et configurations du temps.
Or cette capacité inhumaine de computer et de déployer une mémoire et une anticipation intégrales, Lyotard en trouve la formule métaphysique dans la Monadologie de Leibniz. Lyotard s’attaque ici au cœur philosophique et peut-être même théologique de l’idée de croissance, de développement, qui est sans doute le mythe moteur du processus d’accélération-augmentation que nous avons décrit en première partie. Pour bien saisir ce point philosophique, on doit rappeler que les conceptions occidentales du temps ont oscillé entre deux grandes traditions, l’une plus ontologique et cosmologique comme chez Aristote, attentif au temps du monde, et l’autre plus subjective et existentielle comme chez Augustin, attentif au temps de l’âme.
Pour le premier, le temps est une réalité cosmique et physique, puisqu’il permet de mesurer le mouvement. Mais il affecte plus ou moins les êtres, et les vivants éphémères, sujets à la croissance et à la décroissance, sont plus variables que l’être en tant qu’être, ce moteur premier dont l’immobilité est proche d’une éternité parménidienne où tout est définitivement et entièrement contemporain. Ce schème a dominé les conceptions médiévales du temps. Mais il n’a jamais entièrement supplanté une tout autre tradition, où il s’agit moins de penser le temps du monde que le temps du sujet. Pour Augustin[10], le temps est une distension de l’âme. Le présent de l’instant vécu est si exigu qu’il n’apparaît que dans un élargissement, par la rétention d’un passé dans le palais de la mémoire, par la protention de l’attente et de l’anticipation d’un futur, par l’attention même qui espace le présent. Le sujet est écartelé par une discordance qui structure sa temporalité : ici c’est le sujet qui dure, qui supporte la distorsion, mais qui espère se fondre un jour dans l’éternité de l’aujourd’hui de Dieu. Ces réflexions de Saint Augustin anticipent les réflexions ultérieures de Husserl et Heidegger[11]
L’originalité de Leibniz a été de développer une conception monadologique du temps à l’intersection des deux traditions. Chaque point d’existence correctement déplié contiendrait le monde — pour celui qui saurait déchiffrer les replis qui y sont enveloppés, c’est à dire là encore pour Dieu. Si le temps réside dans la différence entre le reçu et le donné, entre l’intelligence et la puissance, la résistance d’une monade à la désagrégation tient à sa faculté de tenir ensemble ce qu’elle reçoit et ce qu’elle fait. La plus puissante monade sera capable de contenir la plus haute densité de compossibles, dans un présent assez large pour contenir tous les temps. A la limite, dans la Grande Monade, tout est présent[12]. Pour nous bien sûr, limités comme nous le sommes, pris entre des durées plus éparpillées et des durées plus intenses, il y a de l’incompossible, du successif, de l’irréversible car le passé n’est plus chose sur quoi nous puissions agir, de l’imprévisible car nous sommes toujours impréparés à ce qui vient.
Il n’est pas interdit de tirer une ligne de cette conception du temps vers les théories de l’évolution qui proposent une intégrale des petites différences, et finalement vers la théologie du process, qui n’est d’ailleurs pas très éloignée de l’idée bergsonienne d’une évolution créatrice où « le monde est une entreprise de Dieu pour créer des créateurs ». Comme le commente André Gounelle, « Dieu donne à la plus mince et fugitive expérience une durée sans fin, il en fait une harmonique de la symphonie du monde »[13]. Cette théologie est directement issue de Procès et réalité, la grande œuvre de Whitehead, que Deleuze présentait comme le vrai successeur de Leibniz. Il s’agit de penser l’événement dans le monde.
Encadré n°3 : Gilles Deleuze, l’événement[14].
C’est bien la première composante ou condition de l’événement, pour Whitehead autant que pour Leibniz : l’extension. Il y a extension lorsqu’un événement s’étend sur les suivants, de telle manière qu’il est un tout, et les suivants ses parties. Une telle connexion tout-parties forme une série infinie qui n’a pas de dernier terme ni de limite (si l’on néglige les limites des sens). L’événement est une vibration (…) C’est avec Leibniz que surgit en philosophie le problème qui ne cessera de hanter Whitehead et Bergson : non pas comment atteindre à l’éternel, mais à quelles conditions le monde objectif permet il une production subjective de nouveauté, c’est à dire une création ? Le meilleur des mondes n’avait pas d’autre sens : ce n’était pas le moins abominable ou le moins laid, mais celui dont le Tout laissait possible une production de nouveauté, une libération de véritables quanta de subjectivité privée (…) Le self-enjoyment marque la façon dont le sujet se remplit de soi, atteignant à une vie privée de plus en plus riche, quand la préhension se remplit de ses propres data. C’est une notion biblique, et aussi néo-platonicienne, que l’empirisme anglais a porté au plus haut point (notamment Samuel Butler). La plante chante la gloire de Dieu, en se remplissant d’autant plus d’elle-même qu’elle contemple et contracte intensément les éléments dont elle procède, et éprouve dans cette préhension le self-enjoyment de son propre devenir. (…) L’appétition désigne en ce sens le passage d’une perception à une autre, comme constitutif d’un devenir. Enfin, ce devenir ne s’achève pas sans que l’ensemble des perceptions ne tendent à s’y intégrer dans « un plaisir entier et véritable ». Contentement dont la monade se remplit elle-même quand elle s’exprime le monde. Joie musicale de contracter les vibrations, d’en calculer sans le savoir les harmoniques et d’en tirer la force d’aller toujours plus loin, pour produire quelque chose de nouveau.
Cette créativité rythmique doit être pensée comme faisant face à ce que Whitehead appelle le perpétuel dépérir du monde : « le mal ultime du monde temporel est plus profond que n’importe quel mal spécifique. Il réside en ce que le passé s’évanouit, en ce que le temps est un ‘perpétuel dépérir’. Objectivation implique élimination. Le fait présent ne comporte pas le fait passé dans sa pleine immédiateté (…) Pourquoi n’y aurait-il pas nouveauté sans perte ? »[15]. C’est sur ce point qu’on voit bien apparaître notre problème. La conception antique du temps, depuis avant Platon et d’une certaine manière jusqu’à Rousseau, le concevait comme une lente destruction, une dégradation, une entropie, une perte. On a beau tenter de retrouver l’origine parfaite, on n’y parvient pas, les copies sont toujours moins bonnes que le modèle, et le stoïcisme est la figure la plus haute d’une éthique qui ne cherche qu’à conserver, à arrêter le temps. Or peu à peu une autre conception du temps a surgi, où la copie peut être meilleure que le modèle, le temps peut être formateur, créateur, et se montrer sous le jour d’une durée créatrice, d’une évolution créatrice comme le dit Bergson. La conception du monde s’inverse alors complètement : autrefois le monde était tout entier vivant, et la mort alors était un problème, une énigme. Le mystère aujourd’hui ce n’est pas la mort, car les vastes espaces sont inertes et courent au refroidissement, au désordre, à la poussière : le mystère aujourd’hui c’est la vie, c’est cette complexification que manifeste la vie, le vivant, le devenir. Pour faire le lien avec le premier parcours, aujourd’hui nous avons peur de l’entropie, de la dégradation, du fait que le temps détruise. Du coup nous voulons toujours plus de complexité, de complexification, de possibilités de choix, de croissance, de développement. Nous désirons sans cesse augmenter, et nous estimons qu’il n’y a de la vie que parce qu’il y a de la croissance[16].
La protestation de Lyotard reprend d’une certaine manière celle de Kierkegaard contre la logique hégélienne du devenir dialectique, et sur-creuse à sa façon la question augustinienne de l’instant et de son point subjectif. Dans les Miettes philosophiques Kierkegaard oppose d’une part le temps successif des générations, des généalogies, avec leurs décalages et leur anachronisme subi. Et d’autre part le temps de l’instant, du saut qui par-delà le présent saisit la constellation actuelle, le temps de la discontinuité qui rend le disciple singulier immédiatement contemporain du maître. Ce sont deux sortes de temps très différents : le premier est celui de la véracité plus ou moins contrôlable à travers la distance prise par les générations, et leur incessant remaniement. Mais pour le temps du second genre la génération postérieure n’est pas plus éloignée de l’événement que la génération des premiers disciples, elle est tout autant contemporaine, par une « décision » bultmannienne, où l’on perd la contemporanéité chronologique pour acquérir la véritable contemporanéité, par un anachronisme agi. Il n’y a pas que la continuité de la durée, mais la césure et la discontinuité des morts et des naissances. Qu’est ce d’ailleurs que l’histoire, sinon ce deuil, cette lente sélection et séparation entre ce qui est fini et ce qui n’est pas fini, entre l’absent et le présent ? Ou bien parfois justement la révolte de la mélancolie, de ce reste chiffonné qui revient du passé ? Ou bien encore, l’ironie prophétique qui ne parvient plus à croire à la réalité du monde commun[17]? Kierkegaard est ici sur une ligne qui annonce Walter Benjamin, mais sachant déjà qu’on ne pourra rien sauver.
Encadré n°4 : Paul Ricœur, Temps et Récit[18].
Le monde déployé par toute œuvre narrative est toujours un monde temporel. Ou comme il est souvent répété au cours de cet ouvrage : le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative ; en retour le récit est significatif dans la mesure où il dessine les traits de l’expérience temporelle. C’est à cette présupposition majeure qu’est consacrée notre première partie. Pour préparer cette discussion, j’ai pensé pouvoir donner à la thèse de la réciprocité entre narrativité et temporalité deux introductions historiques indépendantes l’une de l’autre. La première (chapitre I) est consacrée à la théorie du temps chez saint Augustin, la seconde (chapitre II) à la théorie de l’intrigue chez Aristote. (…) L’analyse augustinienne donne en effet du temps une représentation dans laquelle la discordance ne cesse de démentir le vœu de concordance constitutif de l’animus. L’analyse aristotélicienne, en revanche, établit la prépondérance de la concordance sur la discordance dans la configuration de l’intrigue. C’est cette relation inverse entre concordance et discordance qui m’a paru constituer l’intérêt majeur de la confrontation entre les Confessions et la Poétique — confrontation qui peut paraître d’autant plus incongrue qu’elle va d’Augustin à Aristote, au mépris de la chronologie.
Mais j’ai pensé que la rencontre entre les Confessions et la Poétique, dans l’esprit du même lecteur, serait rendue plus dramatique si elle allait de l’ouvrage ou prédomine la perplexité engendrée par les paradoxes du temps vers celui où l’emporte au contraire la confiance dans le pouvoir du poète et du poème de faire triompher l’ordre sur le désordre.
Face à ce redoutable débat, peut-être faut-il repartir autrement, et rouvrir d’autres formules possibles du temps, comme Jankélévitch travaillant le temps musical de Fauré ou Ravel[19]. Dans Temps et Récit, Ricœur lui-même prend son départ dans l’écart entre Aristote et Augustin. Mais son coup de génie a été de faire répondre à l’expérience aporétique du temps chez Augustin (« quand on me demande ce qu’est le temps, je ne le sais plus ») non la physique d’Aristote mais sa poétique. Le temps humain, temps de la discordance que l’on tente de faire concorder dans des intrigues toujours partielles, est un temps raconté. Paul Ricœur a ainsi déplié des figures du temps intermédiaires ou mixtes, à la fois subjectives et cosmologiques. Le temps des historiens est à la fois un temps inscrit dans un calendrier cosmologique et un temps vécu, dans lequel des points de vue subjectifs divers se rencontrent ou s’éloignent ; il n’y a pas un seul temps, il y a des régimes d’historicité, des registres temporels différents, et il faut accepter la relative discontinuité des problèmes.
Et les fictions littéraires ne cessent d’explorer les modalités de représentation de l’expérience temporelle, depuis la mythologie antique jusqu’à Proust ou Claude Simon. Hésiode racontait qu’il y a eu une race d’or, d’argent et puis de fer, et développait l’histoire du temps comme dégradation, et perte progressive des modèles. Mais les figures du temps dans la pensée grecque sont diverses, entre Parménide qui n’y voit qu’une opinion prise sur un être intemporel, Héraclite qui voit dans le conflit universel le cœur battant du devenir, ou Pythagore pour lequel le temps est rythme, mesure, arithmétique, chiffre du monde et de l’âme. Si l’on élargit encore les sources à la littérature, on peut distinguer un temps épique et narratif qui part d’une situation initiale, passe par les vicissitudes des épreuves, pour restaurer une reconnaissance finale, un temps tragique qui est un temps de l’irréparable et de l’irréversible destin, et un temps comique au contraire où tout est réversible et peut toujours s’inverser.
Il existe d’autres sources littéraires et mythologiques, non grecques, qui sont importantes pour l’histoire de la philosophie, et l’on peut penser ici aux sources bibliques. C’est qu’on a trop souvent opposé d’un côté le temps grec qui aurait été cyclique et cosmologique et le temps biblique qui aurait été linéaire et historique. S’appuyant entre autres sur le remarquable Biblical words for time de James Barr[20] (1962), Paul Ricœur n’a eu de cesse de pluraliser chacun des deux pôles. Il n’y a pas de temps biblique unique, mais des expériences schématisées au travers de genres littéraires divers. C’est de cette idée formulée dès les années 70 que sortent les études qui culminent dans Penser la Bible[21]. Dans une étude sur le récit de la Passion, Ricœur montre l’échec du Grand Récit, où la Bible entière ne serait qu’une Histoire du Salut sinon une Théologie de l’Histoire qui résoudrait tous les problèmes. L’originalité de Paul Ricœur a été de montrer qu’il existe une grande diversité de genres bibliques (récits, lois, fables, psaumes, prophéties, proverbes, dialogues, liturgies, lettres, etc.), dont chacun développe un rapport spécifique au temps : l’antériorité de la Torah ordonnatrice qui est toujours déjà là, comme une loi racontée, s’oppose au temps brisé de l’imminence et de l’irruption prophétique, et à l’éternelle quotidienneté de la sagesse.
Interlude
A la suite de ce retournement « poétique » de notre enquête, nous pouvons reprendre encore une fois la question : qu’est ce que le temps ? Peut-être n’y a-t-il du temps que parce que les êtres ne rendent pas exactement ni immédiatement ce qu’ils reçoivent. Mais si les particules élémentaires restituent de manière très élémentaire ce qu’ils ont reçu, quoique avec la déperdition de l’entropie évoquée plus haut, plus on monte dans l’échelle du vivant plus le rendu est complexe, différé, complexifié et inattendu. Il est certain que le temps des lichens n’est pas le nôtre. En ce qui nous concerne, nous avons la capacité de différer nos réponses — de prendre des retards. Ainsi le temps émanerait de la matière-mémoire, de deux façons divergentes : d’un côté comme une dégradation (mais aussi comme une sorte de résistance à la dégradation), et de l’autre par un processus d’augmentation (mais aussi une sorte de récalcitrance à augmenter sans cesse les échanges)[22]. Il y a un noyau de vouloir éthique partout où il y a cette double faculté de déformer le temps.
L’investigation métaphysique n’est ici pas très loin de la gratitude poétique par laquelle nous interprétons ce qui nous est donné. Nous recevons le temps comme un don, un présent ; mais comme pour tout cadeau nous ne rendons pas tout de suite exactement la même chose, nous rendons plus tard et autre chose, il y a un différé. Le contre don est différé et ce petit processus que l’on pourrait qualifier d’humain correspond à quelque chose qui date déjà sans doute des débuts de l’évolution du vivant. Il y a un petit écart entre ce que nous recevons et ce que nous donnons et c’est dans cet écart que se loge le temps, créateur de différences — les habitus sont sans doute essentiels à cette dissymétrie, puisque comme l’observait Ravaisson, avec le temps les sensations s’émoussent et les actions se facilitent[23]. Nous sommes ainsi des appareils à différer et c’est pourquoi le cerveau est fonction de synchronisations de plus en plus complexes. C’est ici une première suggestion éthique : nous n’existons qu’à rendre grâce de ce qui nous est donné, qu’à le différer en variant les plaisirs et les usages du monde. La gratitude nous place d’emblée comme des interprètes du temps parmi d’autres, heureux de différer ensemble.
En effet, cette petite faculté que nous avons de différer suppose la faculté de percevoir en nous-même la différence entre deux points de vue, quand je reçois et quand je donne. Cela veut dire aussi que je peux me percevoir moi-même comme un autre, je peux me représenter l’absent. Le temps c’est la faculté de l’absence, de la représentation et probablement le temps n’existe que parce que nous pouvons nous représenter l’absent. La durée ainsi comporte une sorte de signifiance, la possibilité pour un présent de viser l’absent — de ne pas se contenir soi-même. Mais cela veut dire aussi que nous pouvons nous représenter l’autre, le point de vue de l’autre. Comme le montrait Levinas dans Le temps et l’autre[24], et Ricœur dans sa lecture des Méditations cartésiennes de Husserl, il n’y a de temps que parce qu’il y a plusieurs points de vue sur le temps : le temps fait en moi de la place pour le point de vue de l’autre, et l’autre fait en moi de la place pour le temps. S’il n’y avait pas d’autre, si le moi était seul au monde, il n’y aurait pas de monde, et pas de temps, du reste nous ne savons pas ce qu’est le temps d’un être entièrement solitaire, c’est une limite métaphysique. Le temps a ainsi un rapport originaire avec l’éthique car il n’apparaît que dans l’intervalle entre les points de vue — et nous devons comprendre que tous les êtres ne sont pas sur la même « longueur d’onde », et que le décalage est pour ainsi dire constitutif. On pourrait même dire que la plupart des problèmes éthiques sont dus à des défauts de rythmes, comme le notait déjà l’Ecclésiaste (« un temps pour .. et un temps pour.. »), et comme le propose Gaston Bachelard[25].
Cette approche temporelle de l’éthique suggère d’ailleurs un rythme fondamental. D’une part plus je diffère, plus j’augmente ma surface temporelle, ma faculté de rétention et de protention, ma capacité à tenir plusieurs points de vue ; je peux recevoir davantage d’informations et en donner davantage, je peux recevoir de plus en plus et donner de plus en plus. J’augmente ma temporalité et ma capacité temporelle en augmentant ma capacité à avoir un passé et un futur, un reçu et un donné, j’augmente la largeur de ma présence au monde. Mais justement il y a un seuil, une limite à l’augmentation, une limite au nombre de connexions, une limite à ma volonté de jouer tous les jeux, une limite au désir de tout recevoir, tout comprendre, tout sentir, tout goûter, une limite au désir d’agir sur tout, de parler sur tout, d’intervenir partout. Jusqu’à un certain point optimal, on augmente le temps en augmentant les échanges, mais au-delà de ce seuil, qui marque sans doute une finitude, l’augmentation des échanges rétrécit le temps comme il rétrécit l’espace. Il y a donc, pour chaque existence, pour chaque action, pour chaque parole, un temps pour se montrer, se confronter et augmenter, et un temps pour diminuer, se dévouer et s’effacer devant les autres.
Les temps de l’éthique
La brève éthique déployée ici prendra trois figures principales. Il y a un temps pour commencer et prendre l’initiative ; un temps pour maintenir, tenir et persévérer ; et un temps pour finir, pour achever. Si l’on pense ensemble ces trois modalités, leur différence apparaît dans la différenciation des genres de langages qui les portent — pour faire vite, la faculté de promettre, de raconter, et de pardonner. Mais ces sont aussi des façons différentes pour le sujet humain de se rapporter au temps et de traiter ses difficultés.
La première difficulté ou angoisse est celle de l’imprévisibilité du futur, de l’absence de sécurité et de durabilité, comme si rien au monde n’était durable. C’est peut-être pourquoi nous sommes aujourd’hui dans un présent très étroit qui n’ose plus se donner un horizon d’attente, qui n’attend plus rien. Nous n’avons plus d’utopie, nous ne sommes plus des amateurs de bonheurs imaginés, mais seulement des sujets apeurés qui demandent protection contre les malheurs qui approchent. Nous vivons de plus en plus au jour le jour, dans le divertissement. Nous n’osons plus rien commencer vraiment. Et pourtant, comment faire face à cette incertitude inquiétante du futur, à l’imprévisibilité de ce qui peut arriver, sinon en nous retournant courageusement vers lui par la protention, l’anticipation, et finalement la promesse? Comme l’observe Hannah Arendt à la suite de Nietzsche, la faculté de promettre fait face au caractère imprévisible du futur et de l’agent lui-même. « Qui suis-je, moi si versatile, pour que néanmoins tu comptes sur moi », demande Ricœur[26]. Parce que l’autre compte sur moi, il me donne du temps. C’est même l’une des seules façons d’ouvrir dans le présent un espace de temps supplémentaire. Une des grandes fonctions de la promesse est d’élargir le présent, et du même coup sans doute de l’apaiser, de le ralentir. On a tout le temps, on ne fait que commencer.
Encadré n°5 : Hannah Arendt, la fugacité de l’agir[27].
C’est par le verbe et l’acte que nous nous insérons dans le monde humain, et cette insertion est comme une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assumons le fait brut de notre apparition physique originelle. Cette insertion ne nous est pas imposée, comme le travail, par la nécessité, nous n’y sommes pas engagés par l’utilité, comme pour l’œuvre. Elle peut être stimulée par la présence des autres dont nous souhaitons peut être la compagnie, mais elle n’est jamais conditionnée par autrui ; son impulsion vient du commencement venu au monde à l’heure de notre naissance et auquel nous répondons en commençant du neuf de propre initiative. Agir, au sens le plus général, signifie prendre une initiative, entreprendre (comme l’indique le grec archein, « commencer », « guider » et éventuellement « gouverner »), mettre en mouvement (ce qui est le sens original du latin agere). Parce qu’ils sont initium, nouveaux venus et novateurs en vertu de leur naissance, les hommes prennent des initiatives, ils sont portés à l’action.
C’est la vertu de toute action, de toute initiative, que de lancer une promesse. Oser se lancer des promesses, en lancer aux autres, redonne un horizon temporel plus ample, un présent plus ample. D’ailleurs une promesse de bonheur futur peur rouvrir autrement le passé, faire voir des promesses non encore tenues. Et de même qu’un malheur ressenti aujourd’hui peut rouvrir des malheurs passés que je croyais effacés, cicatrisés, un bonheur présent peut rouvrir des promesses de bonheurs passés que j’avais oubliés, que je croyais définitivement perdus, manqués. C’est tout le travail du genre « prophétique » que de rouvrir ce temps de l’irruption des promesses inachevées. S’il n’y avait pas de promesse, il n’y aurait d’ailleurs pas de lamentation ni de plainte, car à quoi bon se plaindre si les choses ne peuvent pas être autrement. La promesse fait que le monde ne soit pas fini. Et c’est le rôle de la promesse que d’oser penser le bon, le bonheur, d’oser formuler le désir du bon. C’est déjà comme si c’était fait.
Bien sûr il y a une fugacité du bonheur, et Plotin estimait que le malheur à l’état pur était simplement la perte du bonheur. Bien sûr il y a un perpétuel décalage téléologique dans nos visées mêmes, et il faudrait anticiper que le bonheur puisse être autre qu’anticipé. Bien sûr il y a un effrayant écart entre les intentions et les résultats, et c’est pourquoi il faut manier la promesse avec précaution. Ce n’est pas tellement qu’on y risque la déception, car une vie sans déception serait entièrement enfermée dans l’imaginaire, et ne toucherait jamais rien. Et c’est pourquoi une société dans laquelle pour se protéger du malheur on ne ferait pas de promesses, dans laquelle on ne formulerait aucun souhait, serait une société à mourir d’ennui. Mais à l’inverse une société qui ferait des vœux qu’elle ne tiendrait pas, qui lancerait de tous côtés des initiatives qu’elle ne suivrait pas, comme on achète toutes sortes de bonnes choses dont on ne fait rien, finirait par être ensevelie sous le poids de ses promesses retombées. C’est que le temps à venir n’est pas seulement le « principe espérance » qui, selon Ernst Bloch ou Jürgen Moltmann, réouvre le monde à autre chose qu’à sa propre dialectique. C’est aussi l’ombre inquiétante de ce qui menace, puisque les plus grandes promesses, les plus grandes espérances peuvent nous retomber dessus[28]. C’est pourquoi il est si important de pouvoir être délié de ses promesses, lorsqu’inaccomplies elles se retournent en lourdes menaces.
La seconde difficulté ou angoisse est celle de la finitude, de la fugacité, de la vulnérabilité et du disparate des choses humaines. Face à elle, il faut trouver la force de rassembler et de durer. Vient un moment où il n’est plus temps de promettre, de commencer, d’essayer, d’ouvrir des possibles, mais de maintenir, de tenir bon. C’est aussi le temps de l’habitude, au sens où aucune morale n’est possible dans une improvisation constante : on s’appuie sur des dispositions acquises, où nos capacités sont aussi nos incapacités, comme les plis que nos corps prennent avec le temps. On est né dans un certain corps, dans une certain paysage, dans une certaine culture, dans une certaine époque ; on se trouve planté là au milieu de l’histoire, il faut faire avec, et trouver un modus vivendi là-dedans. Comme le dit Ricœur « nous survenons en quelque sorte au beau milieu d’une conversation qui est déjà commencée et dans laquelle nous essayons de nous orienter afin de pouvoir à notre tour y apporter notre contribution »[29]. Cela suppose que chacun doit à la fois se maintenir, persévérer dans son engagement, et accepter qu’il existe d’autres points de vue. Or c’est justement la faculté de narration qui nous permet de tisser cette dimension active et passive de nos vies, continuées et entrelacées avec d’autres, et acceptant de se situer entre un commencement et une fin.
Prendre le temps de raconter, c’est explorer les modes narratifs divers qui sont autant de manière de persévérer, de durer, de mettre en intrigue, et du même coup aussi de ralentir, de résister à l’accélération qui pulvérise nos vies. Le temps humain n’est pas un temps purement chronologique, c’est un temps narratif, un temps qui se raconte, et c’est ce qui lui donne sa qualité humaine. C’est par là que les humains apprennent leur fragilité, leur inconsistance, mais aussi leur résilience, leur capacité à durer, et finalement leur responsabilité. L’affaissement des capacités narratives n’entraîne-t-il pas celui des capacités éthique et politique, par lesquelles les sujets se déplacent pour prendre sur eux non seulement un passé qui n’est pas toujours le leur, mais aussi leur part de responsabilité commune ? Et puis ce temps de la maintenance narrative suppose la pluralité, et n’apparaît que dans l’intervalle entre les points de vue, dans leur différend. Il n’y a pas de point de vue tiers ou synoptique qui permettrait de tout comprendre et de mettre tout le monde sur la même « longueur d’onde ». La seule chose qui pourrait en temps réel rendre tout le monde contemporain ce serait la guerre atomique mondiale, ou bien que nous accédions tous à l’ubiquité angélique d’une vitesse absolue où nous serions tous et simultanément partout — et ce sont bien là des figures limites de notre imaginaire. Mais heureusement notre finitude temporelle nous en empêche.
Raconter, c’est accepter l’étroitesse de nos points de vue, non pas en surmontant cette condition, mais en apprenant à l’entrecroiser avec d’autres points de vue possibles. Le récit nous place dans le décalage des points de vue, dans une intrigue qui est toujours constituée par la discordance entre plusieurs façons de raconter et de mettre en série ce qui se passe. C’est même l’éthique du récit que de ne pas se prétendre intégral — un grand récit, un méta-récit, qui comprendrait tous les autres et donc tous les temps, serait une contradiction dans les termes. Du point de vue historiographique, Pierre Bayle a été très loin dans cette mise en scène d’une histoire irréductiblement polycentrique. Dans le même temps, et c’est ce qui fait la difficulté d’une éthique de l’histoire, si l’histoire reconnaît sa dépendance à l’égard des témoignages, et sa responsabilité de mettre en récit jusque dans la façon dont elle est reçue dans le public, la mémoire doivent accepter une certaine distanciation critique, un minimum de recoupement comparatif des témoignages et narrations, quelque chose comme un dissensus civil où l’histoire trouve son institution. C’est tout le problème posé par Ricœur de la « juste mémoire », par laquelle le travail de mémoire rejoint le travail du deuil, pour échapper tant aux abus de l’oubli qu’aux abus de mémoire[30].
La troisième difficulté ou angoisse est celle de l’irréversible, du caractère irréparable du passé. Nous rêvons parfois de pouvoir revenir aux portes du passé, de répéter pour bifurquer autrement et faire en sorte que ce qui a été ne soit pas arrivé, et que surgisse ce qui aurait dû être. Face à cette irréversibilité du temps, qui nous enferme dans les suites de ce que nous avons fait, comme dans un sortilège, Hannah Arendt affirme que nous disposons d’une dernière faculté, celle de pardonner. Quand le passé, malheureux ou même heureux, ne passe pas, il faudrait pouvoir en être délié et délivré. Le pardon est cette faculté de délier, de même que la promesse est la faculté de lier. Mais le pardon n’a rien de magique. Il suppose au contraire de renoncer au rêve de toute puissance magique qui voudrait abolir le passé : on ne peut changer le passé, revenir en arrière, le temps ne peut être changé, c’est une terre inaccessible. Tout ce que l’on peut c’est montrer d’autres avenirs possibles du passé que l’actuel présent. Le pardon suppose aussi de renoncer au rêve qui voudrait faire en sorte que tout le monde ait les mêmes souvenirs, la même histoire, et que toutes les mémoires soient réconciliées : c’est impossible, il y a toujours un conflit des mémoires. Tout ce que l’on peut c’est accepter de relativiser l’étroitesse des points de vue. Enfin le pardon n’est pas un « laisser tomber », et suppose un travail de mémoire, même s’il s’agit d’une manière de se souvenir telle que l’oubli devient possible, pour revenir au présent ordinaire. Le travail du pardon passe par ce deuil qui fait la séparation entre ce qui est fini et ce qui n’est pas fini[31].
C’est d’ailleurs la fonction vitale de la mémoire que de repousser le passé, de même que le travail de l’attente est de repousser le futur, et le sujet ne cesse ainsi de séparer les temps, d’introduire une discontinuité, un hiatus, un intervalle et presque un anachronisme qui fait le temps humain, un temps éthique. Avec le pardon comme avec la promesse ou le récit, on ne se pardonne pas tout seul, mais c’est avec l’autre et par autrui que l’on peut découvrir la puissance du pardon, la possibilité de tout voir autrement. L’idée même de répétition ou de reprise selon Kierkegaard correspond à cette acceptation, sinon à cette approbation de ce qui a été, une approbation assez puissante pour faire voir ce que l’on n’avait jamais vu, et qui soudain est simplement là.
Encadré n°6 : Soren Kierkegaard, La reprise[32].
La reprise est le terme décisif pour exprimer ce qu’était la « réminiscence » (ou ressouvenir) chez les Grecs. Ceux-ci enseignaient que toute connaissance est un ressouvenir. De même, la nouvelle philosophie enseignera que la vie toute entière est une reprise. Le seul et unique philosophe moderne qui en ait eu le pressentiment est Leibniz. Reprise et ressouvenir sont un même mouvement, mais en direction opposée ; car ce dont on a ressouvenir a été : c’est une reprise en arrière ; alors que la reprise proprement dite est un ressouvenir en avant. C’est pourquoi la reprise, si elle est possible, rend l’homme heureux, tandis que le ressouvenir le rend malheureux, en admettant, bien entendu, qu’il se donne le temps de vivre et ne cherche pas, dés l’heure de sa naissance, un prétexte (par exemple qu’il a oublié quelque chose) pour s’esquiver derechef hors de sa vie. L’amour selon le ressouvenir est le seul heureux, a dit un auteur. En quoi il a parfaitement raison, à condition, toutefois, de se ressouvenir que cet amour a d’abord rendu l’homme malheureux. En vérité, l’amour selon la reprise est le seul heureux. (…) La reprise est une épouse aimée, dont on ne se lasse jamais ; car c’est du nouveau seulement qu’on se lasse. Du vieux, on ne se lasse jamais et, quand on l’a devant soi, on est heureux. Seul est vraiment heureux celui qui ne s’abuse pas lui-même dans l’illusion que la reprise apporterait du nouveau ; car, c’est alors qu’on s’en lasserait. Il appartient à la jeunesse d’espérer, à la jeunesse de se ressouvenir ; mais il faut du courage pour vouloir la reprise. Celui qui veut seulement espérer est lâche. Celui qui veut seulement se ressouvenir est voluptueux. Mais celui qui veut la reprise est viril ; et il est d’autant plus profondément homme qu’il a su plus énergiquement la prendre en charge. Par contre, celui qui ne saisit pas que la vie est une reprise, que la reprise est la beauté de la vie, s’est jugé lui-même ; il ne mérite pas mieux que ce qui va lui arriver : il périra. Car l’espérance est un fruit alléchant qui ne rassasie pas ; le ressouvenir est un piteux viatique, qui ne rassasie pas ; mais la reprise est le pain quotidien, une bénédiction qui rassasie. Quand on fait le tour de l’existence, on doit s’apercevoir, si on a le courage de le comprendre, que la vie est une reprise dont on a le plaisir de se réjouir. Celui qui n’a pas fait le tour de la vie, avant de commencer à vivre, n’arrivera jamais à vivre. (…) Supposons que Dieu lui-même n’ait pas voulu la reprise : le monde n’aurait jamais existé. Ou bien Dieu aurait suivi les plans faciles de l’espérance, ou bien il aurait tout rappelé à sa mémoire, pour le garder dans le ressouvenir. Mais il ne fit pas. Le monde subsiste donc et il continue de subsister parce qu’il est une reprise.
On a vu comment, avec le temps, tout s’efface. En face de cette terrible « simplification » se développe un procès de « complexification » qui n’est sans doute pas moins terrible. La croissance des échanges, et même des dettes, est une des formes de cette complexification, qui exclut tout ce qui n’est pas capable d’y entrer. Le pardon, le récit, et la promesse seraient alors, à l’échelle de nos formes de vie, diverses manières de garder une mémoire vivante de ce qui a été, de puiser dans l’immémorial des générations de quoi attester ce qui résiste à l’entropie, à l’universelle indifférence. Mais ils seraient aussi ce qui en nous perd son temps, badine, et se refuse à anticiper l’événement, le surgissement présent ; par là ils s’opposent à l’augmentation infernale de la maîtrise du temps.
Olivier Abel
Publié « Ethique du temps »,
Introduction à l’éthique,
sld D.Müller et JD Causse,
Genève, Labor et Fides, 2009.
Bibliographie sélective
- Olivier Abel, Le pardon, briser la dette et l’oubli, Paris, Autrement 1991.
- Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), trad. fr., Paris, Calmann-Lévy, 1961.
- Gaston Bachelard, La dialectique de la durée, Paris, Presses Universitaires de France, 1950, et L’intuition de l’instant, Paris, Stock 1992
- Karl Barth, Dogmatique IV/1* (1953) trad. fr, Genève, Labor et Fides, 1966.
- Henri Bergson, Matière et mémoire, Paris, Presses Universitaires de France, 1946.
- Rudolf Bultmann, Histoire et eschatologie (1957), trad. fr., Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1969.
- Gilles Deleuze, Le pli, Leibniz et le baroque, Paris, Minuit, 1988.
- Gilles Deleuze, Le bergsonisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.
- André Gounelle, Le dynamisme créateur de Dieu, Paris, van Dieren, 2000.
- Martin Heidegger, Etre et Temps (1927), trad. fr.,, Paris, Gallimard, 1986, 19987.
- Soren Kierkegaard, La reprise (1843) trad. fr., Paris, Garnier-Flammarion, 1990.
- Emmanuel Levinas, Le temps et l’autre, Paris, Presses Universitaires de France, 20049.
- Jean-François Lyotard, L’inhumain, causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988.
- Jürgen Moltmann, Théologie de l’espérance (1964), trad. fr., Paris, Cerf-Mame 1970.
- Paul Ricœur, Temps et récit, 3 volumes, Paris, Seuil, 1984.
- Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
- Paul Ricœur, Penser la Bible, Paris, Seuil, 1998.
- Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
- Alfred N. Whitehead, Procès et réalité. Essai de cosmologie (1929) trad. fr., Paris, Gallimard, 1995.
Notes
[1] Sur cette question, cf. dans la présente introduction le chapitre 11 intitulé « Le mal, la faute et le péché ».
[2] Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), Paris, Calmann-Lévy, 1961, chapitres 1, 4, et 5. Sur « la brèche entre le passé et le futur » ; voir aussi la Préface à Crise de la culture (1954-1968), Paris, Folio Essais, 1995.
[3] Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 166-167.
[4] L’éthique de l’information elle-même intègre ces nouvelles données : voir Daniel Cornu, Journalisme et vérité. L’éthique de l’information au défi du changement médiatique , Genève, Labor et Fides, 20092 (Le champ éthique).
[5] Norbert Elias, Du temps (1984), trad. fr., Paris, Fayard, 1997.
[6] Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel (1964), trad. fr., Paris, Minuit, 1968.
[7] Soren Kierkegaard, Le concept d’angoisse (1844), trad. fr., Paris, Gallimard, 1935.
[8] Repris dans Jean-François Lyotard, L’inhumain, causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1998, p. 71-72.
[9] Op. cit, p.71.
[10] Saint Augustin, Les confessions, livre XI, trad. fr, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade, tome 1, Paris, 1998. Cf. l’étude approfondie des Confessions proposées par Jean-Luc Marion, Au lieu de soi. Approche d’Augustin, Paris, Presses Universitaires, 2008.
[11] Martin Heidegger, Etre et Temps (1927), trad. fr., Paris, Gallimard, 1986.
[12] Gottfried Wilhelm von Leibniz, La monadologie (1714), trad. fr., Paris, Delagrave, 1881.
[13] André Gounelle, Le dynamisme créateur de Dieu, Paris, Van Dieren, 2000, II. 5 Le mode d’être de Dieu.
[14] Gilles Deleuze, Le pli, Leibniz et le baroque, Paris, Minuit, 1988, collection « Critique », p. 105-107.
[15] Alfred N Whitehead, Procès et réalité (1929), trad. fr., Paris, Gallimard, 1995, p. 524.
[16] Cf. le chapitre de Condition de l’homme moderne, d’Hannah Arendt, sur le triomphe de la Vie.
[17] Søren Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate (1841), trad. fr., Paris, L’Orante, 1965, p. 235-239.
[18] Paul Ricœur, Temps et Récit, Paris, Seuil, 1983-1985 (3 tomes), tome 1, p. 17-18.
[19] Vladimir Jankélévitch, Fauré et l’inexprimable, Paris, Plon, 1974.
[20] Londres, SCM Press, 1962, 19692.
[21] Paul Ricœur, Penser la Bible, Paris, Seuil, 1998. Un premier texte déjà dense et développé à cet égard s’appelle « Temps biblique », in Archivio di filosofia, LIII (1985) 1, p.23-35.
[22] Cf. le mythe central du Politique de Platon. On retrouve cette dualité dans la durée bergsonienne qui « à chaque instant, se dissocie en deux mouvements, l’un de détente qui retombe dans la matière, l’autre de tension qui remonte dans la durée » vitale (cf. Gilles Deleuze, Le bergsonisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1966, Quadrige, p. 98).
[23] Félix Ravaisson, De l’habitude, Paris, Rivages, 1997.
[24] Emmanuel Levinas, Le temps et l’autre, Paris, Presses Universitaires de France, 20049.
[25] Gaston Bachelard, La dialectique de la durée, Paris, Presses Universitaires de France, 1950.
[26] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p.198.
[27] Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), op. cit., p. 233.
[28] Cf. dans la présente introduction le chapitre 15 intitulé « L’utopie et l’espérance ».
[29] Paul Ricœur, Du texte à l’action, Paris, Seuil, 1986, p.48.
[30] Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
[31] Olivier Abel, Le pardon, briser la dette et l’oubli, Paris, Autrement 1991.
[32] Søren Kierkegaard, La reprise (1843), trad. fr., Garnier-Flammarion 1990 p .65-67.