La question par laquelle j’ai voulu aborder notre problème est une question frontière[1]. La question de la clôture et de l’ouverture est en effet une question de seuil, de limite. D’abord parce que ce sont les frontières qui ouvrent et ferment les échanges, et que ce sont elles qui décident de ce qui s’échange et de ce qui ne s’échange pas. La frontière est un concept critique, c’est peut-être aujourd’hui le concept le plus critique pour la démocratie — et c’est peut-être le concept sur lequel nos démocraties entrent en crise.
Dans la première partie de ce texte je pointerai le paradoxe contemporain des échanges, et son rapport au sentiment d’une crise de culture ou de civilisation. On verra ainsi que le problème ne frappe pas la « civilisation occidentale » face aux autres, mais place toutes les cultures humaines en face d’un paradoxe civilisationnel dû à l’accélération des échanges. Dans un deuxième temps je pointerai les mutations du lien social à partir des mutations de la ville et des quartiers. Dans le troisième enfin je tenterai de faire voir la fragilité de la démocratie, son problème actuel.
1. Les paradoxes du clos et de l’ouvert
Le titre choisi est pourtant apparemment simple, et pourrait s’abriter derrière le simplisme de l’opposition de Karl Popper entre sociétés ouvertes et sociétés fermées — on connaît les ennemis désignés de la société libérale ouverte, les fascismes et communismes issus des traditions de pensée de Platon, Rousseau, Hegel, Marx etc. On pourrait également appuyer cette opposition sur celle de Bergson traitant des deux sources de la morale et de la religion — là encore opposant la religion ouverte, la morale ouverte, celle de l’esprit, aux religions fermées, aux morales fermées, légalistes et littéralistes. Dans ce jeu binaire, l’ouvert est évidemment bel et bon, et le fermé évidemment bête et méchant. Tous les discours de l’émancipation et des libertés poussent à l’ouverture. Le Japon qui se ferme au gentil commerce mondial, au 19ème siècle, et évidemment un pays fermé et non démocratique, qu’il va falloir ouvrir à coup de canons.
Mais par définition les paradoxes retournent les termes, et le rapport pourrait être en train de s’inverser. Nous pourrions avoir bientôt les gentils Etats-Nations bien territorialisés et clos, qui nous protègeraient des méchants pirates qui nous assaillent depuis le nouvel océan mondialisé. La montée des nationalismes, un peu partout dans le monde, répond à ce contexte. Et c’était déjà l’idée de Carl Schmitt, relisant Hobbes en 1950, et opposant Le nomos de la terre[2] au nomos océanique des puissances maritimes impérialistes et capitalistes.
Compliquons tout
Mais revenons à l’opposition du clos et de l’ouvert. Pour reprendre le mot de Paul Ricœur pendant la guerre froide (« compliquons, compliquons tout, le manichéisme en histoire est bête et méchant »), je voudrais compliquer ce schéma simpliste et manichéen, qui a fait trop de dégâts et qui rend inintelligibles les mutations en cours. Première complication : il n’y a pas d’ouverture sans clôture, et l’on peut même dire que ces concepts sont corrélatifs : plus il y a ouverture et plus il y a clôture. Cette corrélation peut prendre plusieurs formes. Il n’y a ouverture d’un espace commun, possibilité d’une mise en commun, d’une communauté, que par la clôture d’un certain territoire, mise à part d’un impartageable, et d’un minimum d’immunité, de protection de la communauté à l’égard des corps étrangers. Et il ne faut sous-estimer ni la force de cette mise en commun, ni la force de cette immunisation. Il faudrait donc distinguer une fermeture vitale, nécessaire et bonne, d’une fermeture abusive, sclérosante, et mortelle à terme ; et distinguer d’autre part une ouverture vitale, bonne et souhaitable, d’une ouverture abusive, non moins mortelle parce que destructrice des différences organisatrices de chaque société.
Seconde complication : si l’on regarde de plus près, il arrive aussi que l’on trouve des formes de relative clôture sur tel ou tel registre, économique, culturel, scientifique, politique, religieux, militaire, etc, et de relative ouverture sur tel ou tel autre,— les différents plans de vie des sociétés présentant une certaine indépendance, au moins un certain décalage. Une société peut avoir des échanges intenses sur un de ces plans et rester réfractaire aux échanges sur un autre. Troisième complication : l’ouverture et la fermeture sont déterminés par ce qui précède, par la syntaxe générale de leur occurrence, et peuvent être interprétés diversement selon ce contexte et ce rythme qui leur donne sens. Il y a des façons de faire la guerre qui sont des façons de s’ouvrir, d’intensifier les échanges, et d’autres où la guerre sert à renforcer les frontières, se fermer, se barricader. Il y a des périodes où une société entière voudrait l’exogamie, un mariage généralisé avec autre que soi, une aération par l’ouverture au dissemblable, et des périodes où une société voudrait l’endogamie, un renforcement des liens de ressemblance interne, une consolidation du pacte social existant.
Et pour achever d’introduire et d’illustrer mon propos, je songe à cette journée de l’automne 1982 où j’avais rencontré deux de mes anciens élèves de Galatasaray, jadis marxistes et à qui j’avais tenté d’enseigner Hegel, Kant, Rousseau ou Nietzsche. L’un m’avait dit : « j’ai compris que je suis un libéral, que seul le capitalisme peut briser le féodalisme et l’oligarchie militaire et économique qui bloque la Turquie comme une forteresse dont on nous fait croire qu’elle est toujours menacée ». Et l’autre m’a dit : « j’ai compris que je suis d’abord musulman, et que le seul recours contre l’impérialisme capitaliste et l’inondation mercantile qui déferle sur nous et sur le monde, c’est l’Islam ». J’ai aussitôt senti, bien avant la chute du mur et de Berlin et les événements de 1989, que je venais d’entendre formuler le duel géopolitique majeur, la dualité anthropologique qui domine désormais notre époque.
Une inversion de signe
On comprendra aisément le danger qu’il y aurait à qualifier ainsi de mauvais toute clôture et de bon toute ouverture : l’appréciation des situations historiques ne peut se faire qu’en tenant compte de l’équilibre global, et dans la durée, de chaque société entre ces deux limites. Sinon on se trouve nez à nez avec des inversions paradoxales, que l’on ne comprend pas, et qui me semblent caractéristiques de notre époque. En 1905, en France, l’idée de République représentait les forces de l’ouverture et du progrès : aujourd’hui, les nouveaux intellectuels de la République défendent une certaine clôture républicaine. En effet la laïcité de 1905 tablait sur une progression libérale des religions vers leur part de spiritualité la plus communicative, tandis que la laïcité d’aujourd’hui ne fait place au « fait religieux » que dans ce qu’il présente de plus fermé : le seul respect des rites fondamentaux de chaque communauté.
Nous trouvons une semblable inversion de signe entre l’ouvert et le clos sur le plan de l’histoire politique la plus globale. Comme l’observait Jan Patocka dans ses Essais hérétiques sur l’histoire, on a vu se développer au long du XXème siècle l’opposition entre des puissances fascistes ou communistes désireuses de transformer totalement le monde, et des démocraties occidentales attachées au statu quo. L’intelligence européenne et occidentale, si longtemps vouée à l’ouverture, à l’émancipation et au développement, est en train de se retourner pour tenter d’arrêter une évolution qui lui semble folle et mortelle pour l’humanité, comme un apprenti sorcier qui voudrait rompre le sortilège qu’il a lui-même déclenché, et qui désormais lui échappe.
Ce point est en tout cas très sensible avec la pensée française, qui fut longtemps championne des idées des Lumières, de la modernité, et de l’universalisme cartésien ou voltairien (même le romantisme français était progressiste, si l’on pense à Victor Hugo). Or on a vu la droite en France, au moment de l’élection de Nicolas Sarkozy, apparaître comme une force progressiste d’ouverture et de conquête, face à une gauche conservatrice, presque nostalgique d’un passé de bien-vivre partagé — une France épicurienne, retournée vers son côté jardin.
Mais plus emblématique encore,, sur le plan philosophique, une sorte d’ « école française », au travers de ses diverses figures, a développé depuis quelques décennies une pensée inversée et presque mélancolique, une anthropologie de la pluralité des cultures (Lévi-Strauss), une archéologie du savoir contre la volonté moderne de maîtrise (Foucault), une déconstruction de la pensée occidentale et une pensée de la différance (Derrida) ou du différend post-moderne (Lyotard), une pensée de l’altérité des traditions (Levinas) et du conflit des modernités (Ricœur) — j’hésite à ranger ce dernier dans cette école, parce qu’il est à le fois le penseur par excellence d’un « pluralisme » méthodique, et en même temps, plus encore qu’Habermas peut-être, le dernier penseur de la modernité.
Le paradoxe des échanges
Il existe en effet chez Ricœur, dans un article programmatique paru dans la revue Esprit en 1961[3], une analyse profonde de ce paradoxe culturel ou civilisationnel : car nous voyons se déployer en même temps un progrès technique et rationnel de la civilisation moderne et planétaire, et un péril anthropologique pour la diversité des cultures, par une subtile destruction de ce que Ricœur appelle leurs « noyaux éthico-mythiques ». Dans la tradition de pensée française, c’est évidemment Rousseau qui a jeté les bases de cette inquiétude. Et c’est ici qu’il me faut revenir sur le texte de la seconde introduction que j’avais proposée à la traduction turque de Race et histoire de Claude Lévi-Strauss, en 1994[4]. Le texte initial, aux éditions de l’Unesco, a paru en 1953, soit vingt ans après Les deux sources de Bergson, et déjà l’on voit poindre cette inversion, qui se confirme dans Race et culture, en 1973, vingt ans plus tard.
Il est certain, observait Lévi-Strauss, que toute culture vit d’échange, et que « l’exclusive fatalité, l’unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul »[5]. Les petites cultures entièrement isolées s’étiolent. Mais il est non moins sûr, et c’est cela qui fait tout le paradoxe et tout le problème, que si jusqu’à un certain point l’échange permet de créer de nouvelles combinaisons culturelles, et augmente donc les différences, il y a un seuil au–delà duquel l’échange finit par se nourrir des différences, et par les supprimer: « ce jeu en commun dont résulte tout progrès doit entraîner comme conséquence, à échéance plus ou moins brève, une homogénéisation des ressources de chaque joueur ». Une civilisation planétaire définitivement unifiée serait définitivement seule, condamnée à disparaître. La question n’est donc plus de décloisonner, mais de protéger la diversité — c’est d’ailleurs aussi un impératif écologique. Dans Race et culture comme dans Tristes tropiques, on voit que le nouveau problème de l’humanité est donc plutôt de protéger la diversité des langues, et des cultures : « toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon même à leur négation ». Entendons : une certaine clôture semble vitale, indispensable à la vivacité d’une tradition. Kant lui-même, en géographe autant qu’en philosophe, ne se méfiait-il pas d’une fusion prématurée des langues, des religions, et des Etats, d’une mondialisation hâtive?
Ainsi Lévi-Strauss définit-il un seuil optimal des échanges : « les grandes périodes créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles indispensables entre les individus comme entre les groupes s’amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité ». Son pessimisme nous permet de comprendre l’oscillation, la dichotomie et la double frénésie actuelle, entre d’une part l’uniformisation planétaire liée à la mondialisation des techniques par le marché libéral, où tout peut s’échanger et doit devenir ainsi commensurable (ou disparaître), et d’autre part la résistance balkanisée de tout ce qui refuse d’entrer dans l’universel relativisme des échanges, de tout ce qui ne s’échange pas (nationalisme, intégrismes, mémoires identitaires, etc.). A de nombreux égards, on a le sentiment d’avoir transgressé, à un moment donné, ce seuil optimal des échanges supportables, et c’est pourquoi toutes les valeurs sont comme inversées.
Tout cela se heurte cependant à des objections respectables. J’en pointerai ici une seule. Les cultures et les religions n’ont-elles de sens que de repli dans un passé ? N’ont-t-elle de fonction que de conserver le passé, comme dans une réserve ou un musée ? Et pour maintenir les « quotas » écologiques de ces différentes cultures, faut-il incarcérer les populations dans leur identité, dans leur héritage, dans leur dette[6]?
2. Mutations des régimes du lien politique
Mutations du lien urbain
La première évolution du lien social qui nous frappe est celle des villes et du lien urbain. Jadis on allait vers les villes comme à la liberté, et les villes étaient prisées pour leur anonymat. On allait à la ville comme on va vers la mer. La ville était certes alors un lieu de perdition mais aussi un lieu de pardon, un lieu où l’on peut recommencer sa vie, sans être incarcéré dans une identité, une appartenance, une race ou une tradition. Je ne parle pas ici de la situation complexe de cette capitale impériale très particulière qu’était Istanbul, où l’organisation en millet et en quartier maintenait sans doute une forme de contrôle social traditionnel, mais des grandes villes ménagées par l’immigration industrielle et la sécularisation. Libéré du contrôle social des communautés traditionnelles (de type quasi-familial), le citadin était libre de déployer ses potentialités les plus propres, ses excentricités et ses goûts singuliers. La ville apportait une prime à l’invention de soi, au succès individuel. Comme l’a montré l’école de Chicago, en deux ou trois générations une sorte de melting pot se produisait dans le détachement à l’égard des racines du terroir ou de la tradition. Celui qui arrivait en ville comme un étranger y était toujours aussi comme un enfant, selon la belle remarque de Georg Simmel. Il avait devant lui comme une page blanche, car les autres ne savaient pas ce qu’il pouvait devenir : peut-être quelqu’un de très important, ou simplement un grand ami. Il fallait lui faire crédit. Cela exigeait de chaque ville qu’elle tende vers l’universel, vers une lisibilité immédiate pour l’étranger, dans un espace transparent et ouvert. Mais cela supposait aussi cette forme proprement urbaine de la courtoisie, de remettre sans cesse une distance, une pellicule protectrice entre les passants, qui leur laisse la liberté de commencer quelque chose de neuf ensemble, ou de ne pas le faire.
Or les temps ont changé. Et si jadis la ville nous donnait le sentiment que nous pouvions laisser nos différences au vestiaire pour entrer dégagé dans l’espace public, il semble maintenant que la hantise de se dissoudre dans l’anonymat, d’être sans qualité et interchangeable, nous fait fuir l’anonymat et demander davantage d’identité. C’est à dire de sécurité, parce que le fait de savoir à qui l’on a affaire permet de donner sens aux conduites. On voudrait désormais personnaliser les liens, rétablir une proximité possible, demander que soit pris en compte les attachements et les rapports de familiarité, refaire une sorte de village affinitaire, basé sur des liens électifs et des attachements choisis, qui n’ont à vrai dire plus grand-chose à voir avec les liens obligés d’autrefois. C’est le temps des gated communities. La forme urbaine de courtoisie qui convient à cet âge voudrait un minimum de confiance, de sentiment de proximité ; et les techniques de protection, d’identification et de marquage de soi et des autres, tant qu’elle augmentent le sentiment d’une communauté où les relations s’effectuent à l’intérieur du groupe comme si l’on connaissait tout le monde, sont bien considérées. Cela suppose une certaine opacité de la ville, une certaine fermeture, où chacun puisse trouver ses repères. Nous avons donc franchi un seuil au-delà duquel la ville n’urbanise plus, l’anonymat est devenu inquiétant, et l’étranger une figure de la menace. La rupture des solidarités traditionnelles n’est plus une libération suffisante, mais détermine le besoin de nouvelles communautés (de type électives celles-ci), où l’on cherche à se rapprocher de ceux qui nous ressemblent, dans des sortes de ghettos électifs, où l’on perd l’art de cohabiter, de négocier des arrangements en absence de code parfaitement commun. La notion de « quartier » est ainsi revenu au centre du lien social et politique, comme le vecteur des nouvelles formes de l’attachement et du besoin de proximité[7].
L’opposition que je propose entre ces deux âges de la ville est évidemment simpliste, et là encore tout est plus compliqué : toute ville en tous temps a dû composer avec cette double demande, les tresser ensemble, et inventer une équation qui plus ou moins y réponde. Mais tout se passe comme s’il fallait toujours que l’une des deux ait le dessus. Peut-être faudrait-il recomposer ensemble, dans la civilité que nous cherchons, les deux dimensions de la liberté anonyme, de la distanciation, et de la confiance d’être chez soi, de la proximité. Mais nos villes tournent mal, écartelées entre les deux demandes d’anonymat et de familiarité, de distance et de proximité, d’universalité et de solidarité, d’émancipation et d’attachement.
Laïcité, sécularisation, urbanité
Cette analyse du lien urbain peut être reprise dans les termes d’une philosophie politique de la laïcité. Le grand rêve de la modernité était que l’urbanisation et la sécularisation parviendraient à briser les vieilles ségrégations de langues, de races, de sexes, de religion. Cet optimisme n’est plus de mise. Nos villes trop grosses, trop dépendantes de réseaux techniques complexes, sont vulnérables. Les gens ont peur et se barricadent dans leurs quartiers, cherchant ceux qui leur ressemble. Il n’y a plus de grand discours de l’émancipation laïque, rien que des petits discours post-modernes qui « flottent » les uns à côté des autres. Dans le même temps nous avons découvert le prix infini, et la fragilité extrême, de la pluralité des cultures et des formes d’habitats. C’est pourquoi la sécularisation elle-même a pris un virage radical.
Longtemps en effet nous avions demandé davantage de laïcité. L’Etat républicain plaçait chacun dans l’obligation d’exercer sa liberté de penser, en laissant au vestiaire ses allégeances religieuses ou communautaires diverses avant d’accéder à l’espace public. La laïcité instituait la séparation des religions et de l’État sur la séparation du privé et du public, autour d’un « vide central » qui s’élargissait. Ce type républicain, qui a formé le lien social en France, en fait un pays plus laïc que sécularisé : la culture française dominante, indissociablement jacobine et catholique, laisse peu de place aux autres traditions, qu’elles soient anciennes comme les protestants ou nouvelles comme l’islam — et c’est ce qui fait la vulnérabilité de la laïcité en France aujourd’hui.
Aujourd’hui nos sociétés démocratiques demandent davantage de sécularisation, qu’on laisse faire le jeu spontané des divers processus par lesquels la sphère religieuse, comme celle du sport ou des loisirs, se privatise, se subjectivise, se pluralise. Cette forme de lien social prend l’individu avec ses attachements, et fait place aux communautés qui tissent les réseaux de solidarité. Ce type de sécularisation démocratique est plus représenté dans l’Europe du nord et aux USA, et l’on peut dire que ce sont des pays plus sécularisés que laïcs, et que leur grand pluralisme est aujourd’hui fragilisé par le manque de cadres juridiques constitutionnels qui établirait de façon solide la séparation de la religion et de la politique.
Dans l’idéal, on pourrait progresser sur les deux registres, mais il faudrait tenir compte des inversions et des complications remarquées plus haut. Pour nous résumer, ce que nous pourrions demander, c’est au moins un peu d’urbanité. L’urbanité signifie d’un côté l’importance accordée à la diversité des manières de vivre, de se rapporter aux autres, de passer son temps. Le risque ici couru est de « conserver » ces différences, de les ghettoïser. D’un autre côté l’urbanité se fait à travers le sentiment que «l’identité n’est pas ce qui importe», que notre histoire mêlée à d’autres est faite de hasards irréversibles. Le risque ici est de ne plus avoir que des petits « moi » qui nouent des liens provisoires et sans épaisseur, malléables à toutes les démagogies.
Cette urbanité qui nous manque oppose à l’incivilité d’un monde dont l’homogénéité et la politesse même ne serait qu’une indifférence généralisée, et à l’incivilité d’un monde dont la diversité et la politesse même ne serait que l’enfermement dans des codes fermés et des différences intraduisibles, un monde où la multiplication même des différenciations, recroisées en tout sens, donnerait à chacun une liberté d’attaches. C’est parce que chacun appartient en même temps à plusieurs réseaux, à plusieurs communautés, qu’il est relativement libre par rapport à chacune d’elles. L’urbanité ne nous demande pas de laisser tomber nos attachements, mais de les marier pour autoriser les civilités nouvelles qui en sortiront. Mais peut on répondre en même temps à une demande d’identité que les nations et les traditions ne parviennent plus à défendre contre le marché mondial, et à une demande de coexistence tolérante à l’échelle des échanges planétaires ?
Mutations des régimes politiques du lien
On doit enfin replacer cette analyse sur le temps long des mutations de régimes politiques. Avec Michaël Walzer[8], on peut distinguer ainsi d’une part le régime propre à l’impérialité (une forme ancienne de citoyenneté, et qui faisait se côtoyer dans les administrations ottomanes les Albanais, les Arméniens, le Turcs, les Grecs, les Arabes, etc.). Il supposait que tous ces gens travaillent ensemble à la grandeur de l’Empire, dans le respect de l’unité impériale. L’organisation notamment des « communautés » (millet) par quartiers, n’empêchait pas les échanges, parfois les mélanges, toute une coexistence subtile dont le droit ottoman est le reflet, ainsi que les formes hétérodoxes de religiosité, tout un réseau de mémoires par confréries. Dans le même temps il ne faut pas se laisser prendre à la nostalgie de ce régime politique, qui ne reconnaissait pas véritablement de droits individuels.
Et d’autre part, pour rester dans l’histoire turque, nous trouvons le régime propre au civisme de l’État-Nation. Ce dernier, notamment proposé à l’Europe par la Révolution française, est apparu dans le contexte turc tardivement, comme issu des défaites extérieures répétées de l’Empire (qui n’ont pas peu contribué à dresser ces communautés les unes contre les autres). Il est plus républicain quant aux droits individuels, mais évidemment beaucoup plus monolithique et intransigeant quant aux droits « communautaires », plus acharné à la disparition de ces appartenances qui lui semblent des féodalités archaïques. Ici le grand vecteur est l’école, et l’histoire sert à la formation du citoyen patriote.
En terme de tolérance, chacun de ces régimes a ses avantages et ses inconvénients. Les vieux empires, comme l’empire Ottoman, accordaient beaucoup de droits à la pluralité des communautés, quitte à incarcérer les individus dans leurs appartenances. Les États-Nations accordent beaucoup de droits aux individus, pourvu qu’ils laissent au vestiaire leurs allégeances religieuses ou communautaristes avant d’entrer dans l’espace public. Et comme Serif Mardin l’avait jadis noté, on ne change pas de régime par un coup de baguette magique, c’est un long travail, et ces moments de mue sont les moments de tous les dangers car les régimes sont alors instables[9].
On comprend alors que les guerres « civiles » prennent des formes différentes selon les formes de la cohabitation impliquées ou les régimes en conflit. Si la guerre civile dans un pays d’immigration, comme la guerre de Sécession aux États-Unis, ne ressemble pas à la guerre civile en Vendée, ou au Kossovo, la forme de réconciliation ne sera pas non plus la même. Nous avons trop tendance à croire que toutes les cultures vont vers un même point de la réconciliation, où tous se comprendront. Or c’est là où se trouvent les plus grandes figures de l’espérance de réconciliation qu’il y a les plus grands dangers de guerre et de destruction réciproque, car ces figures mêmes diffèrent d’une culture à l’autre. C’est pourquoi les lieux de la réconciliation sont les lieux sur lesquels nous devons être les plus prudents.
Pour revenir aux avantages et inconvénients des deux régimes, la greffe monstrueuse de la logique de l’État-Nation sur celle de l’impérialité peut aussi combiner l’intolérance spécifique des deux régimes: il n’y a ni la tolérance qu’introduit le respect impérial de la pluralité des communautés, ni celle fondée sur les libertés de l’individu-citoyen. À la fois votre identité peut être niée, éradiquée, et vous pouvez y être incarcéré sans possibilité d’en sortir. C’est sans doute en partie ce qui se produit au passage de l’Empire ottoman à la République, de l’Empire allemand au 3ème Reich, et peut être encore au moment de la chute de l’empire soviétique. C’est l’âge des génocides, des transferts de population et des purifications ethniques. Vous ne sortez d’un des deux abîmes signalés plus haut que pour tomber dans l’autre[10]. Et il y a un reste de cette combinaison dans le fait que la Turquie contemporaine, si soucieuse de laïcité, inscrit la religion sur la carte d’identité.
3. Le problème de la démocratie
Ce détour nous aide à mieux comprendre la fragilité actuelle de la démocratie, face au regain des nationalismes. En effet, cette fièvre nationaliste est le signe d’une très profonde crise et faiblesse actuelle de l’Etat-Nation. Cette forme de rationalité politique, avec son sens réaliste des frontières, avait surgi dans un contexte de guerre de religions, pour aider à dissocier la carte politique de la carte religieuse de l’Europe, qui devenait trop complexe. L’allégeance à un Etat en dehors de toute considération religieuse établissait une sorte de « paix de religions ». La force de l’Etat-Nation n’était pas seulement la possibilité militaire inédite de levées en masse, mais aussi la mobilisation de solidarités nationales correctrices d’inégalités, et la faculté de se doter d’une mémoire collective.
Mais d’une part aujourd’hui cette rationalité (l’Armée la Santé, l’Ecole, etc) n’est pas à l’échelle de la complexité et de la systémicité des problèmes mondiaux (écologiques, économiques, mafias, internet, etc.) ; et d’autre part, face à la flexibilisation générale, aux flux de connexions de toutes sortes, l’identité qu’elle propose n’est pas assez solide, pas assez ancrée dans le proche. Cette crise de légitimité doit cependant nous conduire à la prudence, et il ne faut pas croire trop vite que l’on puisse liquider le cadre de l’Etat-Nation. Car si nous sommes dans la période de gestation d’un nouveau régime à la hauteur de cette complexité, ce régime ultérieur n’est pas encore stabilisé ni même apparu.
Il ne faut d’ailleurs pas plus céder au mythe du dépérissement de l’Etat qu’il ne faut céder à celui du dépérissement du Capital ou à celui du dépérissement de la Religion. Le premier a abrité des États d’autant plus totalitaires qu’on les pensait provisoires : ne pas penser la rationalité propre du politique interdisait d’en penser les maux spécifiques. Le second nous a trop longtemps interdit de penser sérieusement la mise en place de régulations spécifiquement économiques, de contre-pouvoirs sans lesquels la force économique retourne elle aussi à la barbarie. Et le dernier a autorisé la prolifération d’un n’importe quoi religieux, à la fois hors institutions et hors tradition critique, ce qui a interdit d’en penser tant les formes spécifiques que les perversions spécifiques. Dans le contexte contemporain des déplacements accélérés de populations et de mémoires, qui brouillent plus que jamais le contour des identités, la démocratie exige ainsi de renoncer à la confusion mythique entre Etat et Nation (et langue, et religion, etc), mais sans céder au mythe du dépérissement de l’Etat ou de la disparition des nations.
Un partage hypocrite
Mais la fragilité de la démocratie ne se confond pas seulement avec la fragilité de l’Etat-Nation. Car on peut avoir un Etat très solide et une démocratie incertaine. Et le discours de l’ouverture libérale peut-être en complet décalage avec la réalité. Le libéralisme politique cache mal la xénophobie et la dureté des nouvelles frontières. Le libéralisme économique ne saurait occulter l’exclusion de plus en plus résolue de tous ceux qui sont superflus, inemployables, insolvables. Le libéralisme culturel laisse libre cours à ce que les religions ont de plus fermé dans leur identité, leur intégrismes, leur complaisance à être chacune la meilleure.
Pire : on peut se demander si ce décalage n’est pas un jeu hypocrite. Comme si les sermons démocratiques ou moralistes n’étaient là que pour faire paravent. La chute du mur en 1989, ouvrant à un prétendu décloisonnement mondial, a débouché vingt ans plus tard sur la fermeture de blocs de plus en plus séparés. Le triomphe de l’idéologie ultra-libérale n’a-t-il pas masqué la généralisation, à l’échelle mondiale, d’une équation effroyablement stable entre un apparent libéralisme économique et financier et un certain despotisme politique et policier. D’un côté les multinationales sans entraves, et de l’autre les nomenklatura plus ou moins mafieuses. N’est-ce pas un partage géo-politique ou géo-économique terrible qui est en train de se mettre ainsi en place, avec un centre libéral et une périphérie hérissée de régimes autoritaires ? Qu’est ce que ce mur qui s’élève pour empêcher les sociétés pauvres d’envahir les sociétés riches, un mur de plus en plus purement technique et militaire, apolitique ? Serait-ce la structure du capitalisme mondial que de distinguer le capitalisme qui commande et celui qui exécute ? Une liberté et une ouverture mondiale des échanges économiques de marchandises, et un cloisonnement mondial des populations de plus en plus bloquées dans des territoires sans issues ? Serait-ce la structure géo-politique de la démocratie ?
Je reconnais que bien des pays, notamment ceux de l’Occident riche et de la vieille Europe, tiennent à préserver leur démocratie et leur libéralisme politique : mais c’est à usage interne, et ce sont de plus en plus des sociétés à double face, avec une face douce à l’intérieur, et une coque bien dure vis à vis des « extérieurs » — inverse exact des sociétés totalitaires en oignon décrites par Hannah Arendt, qui présentaient une succession de faces douces à l’extérieur, et de plus en plus impitoyablement dures à l’intérieur. Est-ce là une société libérale ? Qu’est-ce qu’une démocratie, si c’est un régime qui n’existe qu’à sous-traiter ses guerres à d’autres acteurs non démocratiques dont elle a besoin pour exister ? Les penseurs de la démocratie ont-ils jamais vraiment pensé la guerre, et même les conflictualités de faible intensité, autrement que comme des opérations de police, sans prendre au sérieux la dimension politique de l’ « ennemi » ? Tout cela ce sont des questions qui nous aident à prendre la mesure du problème de la démocratie, non pour la liquider, mais pour en chercher la trame, le fil, ce qui peut en faire aujourd’hui le tissu.
Étoffer la démocratie
Quel est le cœur de l’idée démocratique qui bat sous l’idée de civisme national comme sous l’idée de citoyenneté du monde ? C’est que chacun de nous pourrait être né dans une autre condition, une autre langue, un autre pays, que la naissance n’est en rien un mérite mais un hasard. Jacques Rancière montre ainsi l’importance du tirage au sort au cœur de cette utopie de démocratie radicale qui traverse toute l’histoire humaine[11]. Ce sentiment démocratique suppose la continuité des institutions, la durabilité d’un espace public où chacun puisse accepter la fugacité de sa parole, de son action, le caractère éphémère de son passage, et finalement la mise en place d’une sorte d’habitus démocratique partagé par tous. Mais il exige aussi l’imagination, la faculté de se mettre à la place des autres, et de réinventer les règles du jeu dans des contextes à chaque fois inédits.
Dans son fameux texte de 1957 sur « le paradoxe politique », Paul Ricœur concluait : « le problème central de la politique c’est la liberté ; soit que l’Etat fonde la liberté par sa rationalité, soit que la liberté limite les passions du pouvoir par sa résistance »[12]. Il a raison : la démocratie demande à être pensée de l’intérieur des pouvoirs et des régimes existants, et notamment dans le cadre de l’Etat-Nation actuel (mais ne négligeons pas le fait que toutes nos sociétés sont aussi en train de devenir des sociétés d’immigration qui brouillent les nations). Elle demande également à être pensée du dehors de ce cadre, sur des échelles de valeurs et d’intérêts qui soient à la fois plus vastes et plus locales, plus universelles et plus attachées au proche. Elle demande enfin à ce que les grands choix, les grandes priorités, restent discutables, autant que possible révocables, objets possibles de dispute. C’est pourquoi je proposerai ici de distinguer trois niveaux, qui correspondent à trois registres de la condition démocratique, qui se présupposent, se complètent et se corrigent mutuellement : celui des institutions de la confiance qui de l’intérieur fondent le politique, celui des institutions de la limite qui du bord du politique résistent aux abus et empiètements des pouvoirs, et celui des institutions du dissensus qui à la fois du dedans et du dehors du langage politique ne cesse d’augmenter la représentativité et la densité en conflits soutenables par la société.
Ainsi, quand on le reprend sur son socle le plus large, le libéralisme politique suppose d’abord un véritable ethos de la démocratie, un « vouloir-vivre ensemble », une convention des institutions dont l’adhésion au suffrage universel a longtemps été le vecteur et qui semble ne plus suffire. Ce fut la grande force de l’idée de nation, et pour critiquer les dangers du nationalisme, il faut relever la fonction épique légitime de ce sentiment, je dirai de ce stade « oral » des sociétés. Comment rouvrir ce sentiment de participer à une aventure commune ? Comment rouvrir une confiance dans les institutions telle que les citoyens se souviennent du pacte implicite fondateur de leur alliance, se sentent mutuellement endettés, et impliqués par l’exercice du pouvoir, même quand celui-ci est au mains de leurs adversaires politiques ? Dans tous les cas il est bon de refaire régulièrement la séparation des pouvoirs effectifs dans une constitution équilibrée. Mais pour obtenir le soutien public des institutions dans une confiance partagée, il faut aussi sans cesse remailler le tissu des formes de participation, la pluralité réelle de tous les corps intermédiaires qui font le lien social, et le sentiment plus général qu’il y a, sinon du civisme, du moins de la civilité, une fonction de service public. Mais peut-être ces institutions de la confiance passent-elles toujours par une reconversion de l’imaginaire social qu’il est impossible de « commander ».
Dans un second temps l’exigence démocratique doit faire passer cet ethos du pacte, ces institutions de la confiance, par le crible des institutions de la limite. C’est le moment le plus juridique de la démocratie, qui passe par les contrôles de constitutionalité, le respect des organisations, accords et engagements internationaux, et l’établissement d’instances vraiment impartiales, c’est-à-dire susceptibles de protéger vraiment les droits des faibles — sur les divers tableaux de la faiblesse, de la domination, de l’exploitation, de l’aliénation, etc. C’est ici que l’on attend, en marge du politique et presque au bord d’être en dehors de lui, des institutions indépendantes de vigilance démocratique, capables de pointer les abus de pouvoir, et ayant des pouvoirs tribuniciens de veto. La démocratie demande aussi un sens aigü du droit des minorités de toutes sortes, et plus généralement le maintien de deux droits fondamentaux des humains : le droit d’habiter, de se retirer à l’intérieur d’un chez soi inexpugnable, et le droit de partir de sortir, de passer, de ne pas être incarcéré dans une identité définitive, dans un apartheid. A cet égard il ne faut pas laisser penser que les droits de l’homme ne sont que le luxe de sociétés développées et riches, quand tout le reste va bien ; mais il ne faudrait pas non plus que les droits de l’homme soient puérilement considérés comme un acquis pour lequel il n’y aurait rien à donner, à perdre, à prendre, à recevoir.
Dans un troisième temps seulement on en vient à cet étage visible de la démocratie que sont les institutions du dissensus et du pluralisme, où s’affronte la pluralité des visées du bien commun et la pluralité des droits. Autant dire que l’on n’y accède vraiment que par le sentiment d’une irréductible conflictualité de la vie en société. Le pluralisme des partis prendra sa véritable ampleur lorsque, au lieu de refouler les conflits vers les marges et vers les extérieurs, les citoyens accepteront d’intérioriser davantage le dissensus. Un vrai citoyen est toujours partagé, divisé, il sait qu’il n’y a pas de bonne solution à tous les problèmes en même temps. C’est pourquoi toute « politique » doit être révisable, révocable — et ne pas prétendre changer la vie de façon définitive. La résolution des différends ne peut se faire que « localement » ou « provisoirement », mais en cherchant toujours à traduire le conflit dans ce qu’il comporte de plus intéressant pour tout le monde et pour chacun. Seules de telles institutions du dissensus ordinaire peuvent entraver la facilité avec laquelle la démocratie prépare aujourd’hui la guerre sans jamais la penser.
Olivier Abel
Publié in Turquie, Europe, le retour des nationalismes,
Paris : L’Harmattan, 2010, p.33-50.
Notes :
[1] Cette question est semblable à la situation géographique et géoculturelle exceptionnelle de l’Université Galatasaray, et ayant moi-même enseigné pendant quatre ans, il y a de cela une trentaine d’année bientôt, dans ces bâtiments mêmes et sur cette même limite, je suis sensible au génie du lieu.
[2] Carl Schmitt, Le nomos de la terre, Paris : PUF, 2008.
[3] Paul Ricœur « Civilisation universelle et cultures nationales », Esprit, octobre 1961. Repris in Histoire et Vérité, Paris : Seuil.
[4] La Préface à la première édition de Ilk ve Tarih de Lévi-Strauss, Istanbul : Metis 1984, intitulée « Sur l’anthropologie structurale », portait davantage sur une discussion du structuralisme et plus largement sur Rousseau. La seconde préface à l’édition de Metis en 1995 porte justement ce titre « Communication planétaire et diversité des cultures ».
[5] Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, chap.9.
[6] La meilleure manière d’ « incarcérer » est de créer un malheur commun assez irréversible, assez inoubliable, assez incommunicable pour que ceux qui essayent de le partager soient comme enfermés dans cette mémoire.
[7] Cf. les actes du colloque de l’IFEA en 2000 « De l’empire ottoman à la Turquie moderne : le quartier (mahalle), approche des normes et des usages » (textes réunis par Isik Tamdogan), Anatolia moderna n°X – 2004.
[8] Michaël Walzer Traité sur la tolérance, Paris : Gallimard,1998.
[9] J’ai développé ce point dans mon étude « Le conflit des mémoires. Débris ottomans et Turquie contemporaine », Esprit 2001 n°1, p.124-139.
[10] L’individualisme est impuissant face au totalitarisme du premier type (où les humains sont superflus et malléables à partir de zéro), et le communautarisme est impuissant face au totalitarisme du deuxième type (où les humains sont incarcérés dans leur milieu de naissance), et l’on voit poindre ici la double-frénésie qui s’est emparée du XXème siècle entre la mondialisation qui déracine tout et la balkanisation qui bafoue les droits individuels.
[11] Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Paris : La Fabrique ed., 2005.
[12] « Le paradoxe politique », Esprit, mai 1957. Repris in Histoire et Vérité, Paris : Seuil.