Vous rencontrez une fée, un poisson d’or, une étoile filante, un ange en songe ou Satan, qui vous propose de satisfaire un vœu, ou trois. Que faites-vous ? Vous ne vous précipitez pas. Vous vous souvenez des erreurs irréparables des contes de fée. Vous réfléchissez pour bien demander tout du premier coup ? Vous gardez un vœu en réserve ? Vous enfermez dans votre vœu la possibilité d’autres vœux ? Vous renoncez et espérez de votre renoncement une récompense infinie ? Mais compliquons encore : nous sommes plusieurs, une communauté entière, et nous rencontrons une puissance prête à exaucer notre vœu si nous parvenons à nous entendre sur un souhait commun : qu’est-ce que nous entendre ? Cet exaucement sera-t-il gratuit ? Quelles en seront les conditions ? Nous faut-il mériter la réalisation d’un vœu ? Ou bien un vœu n’est-il par définition jamais réalisé ? Pour un moraliste amusé, on le voit, le vœu est un sujet passionnant.
Il me faudra cependant l’assombrir par la considération d’un malaise, d’un sentiment de gêne et parfois de scandale, quand je vois les synodes de mon église galvauder parfois une faculté si magnifique. Qu’est ce qui les autorise à émettre des vœux,? Avec quelle puissance, quelle force d’obligation, quelles suites ? Qui parle à qui pour leur faire faire quoi ? Le malaise provient d’une inflation de paroles inutiles, d’une dévaluation des mots même les plus importants. C’est comme un parlement sans pouvoir qui ferait des lois jamais appliquées, et qui prendrait ses vœux pour des réalités. Est-ce encore une parole, ces discours incapables d’entrer en émulsion avec le lourd et complexe cours du monde ? Ces vœux sont-il représentatifs de quoi que ce soit ? Trop souvent il sont rédigés par des petits groupes sympathiques mais sans avoir jamais rencontré aucune vraie contradiction. Leur assurance même étouffe la possibilité d’autres vœux.
Car j’approuve à deux mains l’idée de « vœu ». Nietzsche écrivait que l’homme est un animal capable de promettre. Et il est bon de rappeler les promesses non tenues. La lutte contre l’esclavage aux USA s’est appuyée sur un vote ultra minoritaire, relu bien plus tard comme un vœu fondateur. Sans cette faculté d’énoncer les promesses fondatrices, ou de lancer de nouvelles exigences, une société se met en boule, ne prend plus le risque d’être déçue ! Et si une communauté qui multiplie les vœux en vain est malade de vouloir vouloir, un communauté sans vœu est comme impuissante à vouloir ce qu’elle dit, à approuver ce qu’elle fait. Formuler les vœux et les exigences du bonheur est aussi vital pour une société que de formuler les blessures refoulées. C’est pourquoi il m’est apparu nécessaire d’énoncer, comme un vœu sur les vœux, quelques unes des conditions d’une sorte de charte des vœux.
Un vœu est toujours la conjonction d’une volonté et d’une voix. Un désir qui n’a pas été précisément formulé n’est pas un vœu. Un énoncé qui n’exprime aucun véritable souhait, n’est pas davantage un vœu.
Un bon vœu doit comporter la tension entre deux vœux dont la composition représente et formule un désaccord durable, dont on présume qu’il sera fécond. Le meilleur vœu est celui qui représente de la manière la plus simple, la plus complète et la plus élégante un problème dans lequel tout le monde se reconnaît. C’est de cela que naît une voix, un timbre nouveau, un vouloir-dire.
Ceux qui formulent ce vœu doivent avoir une forme de vie un minimum cohérente avec ce vœu (imaginez un vœu pour une société sans voiture, ou un vœu pour l’accueil des étrangers).
Ceux qui formulent des vœux doivent manifester l’importance pour eux du vœu formulé en ne multipliant pas les vœux en vain.
Un bon vœu doit être formulé de manière à pouvoir être réinterprété par d’autres —la génération suivante doit pouvoir éventuellement s’appuyer dessus— et porter dans ses flancs la possibilité d’autres vœux. Il ne doit pas stériliser la parole, mais l’encourager.
Un bon vœu n’est pas législatif, et encre moins créateur de la réalité qu’il souhaite. Il ne fait pas ce qu’il dit — et si vouloir était immédiatement pouvoir, nous serions des anges ou des démons ! C’est seulement une parole, résistible, dont le sens et l’effet sont confiés aux récepteurs.
Un vœu doit être résiliable, c’est une parole qui comporte les conditions sous lesquelles on peut s’en délier.
C’est à ces conditions que le vœux auront, non du pouvoir, mais de l’autorité —j’entends la faculté d’autoriser, de libérer la parole et l’action. Et si on les entend ainsi, alors oui l’éthique est peut-être simplement l’art d’entendre et de formuler des vœux.
Paru dans Réforme n°3032 22 mai 2003
Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)