Les nouveaux pouvoirs apparus en biologie sont dans le même temps vecteurs de convoitises euphoriques et objets de peurs quasi–superstitieuses. Si pourtant on les examine sobrement, en dehors de tout ce « bruit imaginaire », dans l’usage pratique qui en sera probablement fait, et dans les contextes sociaux mais aussi planétaires où ils apparaissent, on s’aperçoit que les espoirs et les craintes correspondent davantage à la manière dont ces techniques entrent en résonance avec l’évolution des moeurs, et c’est l’objet des deux premiers paragraphes de cette étude. A ce niveau proprement éthique il paraît possible de définir, comme un compromis commun, quelques règles pragmatiques pour juger de ce qui peut en justifier l’usage et en limiter l’abus.
Dans les paragraphes 3, 4, et 5 je passerai en revue trois de ces principes sur lesquels un compromis devrait être possible. Si l’on procède à partir des « techniques », en effet, on est amené à se répéter beaucoup, à revenir souvent sur les mêmes questions de fond ; c’est pourquoi je préfère, pour une fois, procéder à partir de l’éthique. On traitera d’abord de l’indisponibilité du corps humain, pour interdire tout commerce dont les plus faibles à l’échelon planétaire seraient les victimes désignées. On traitera ensuite de l’importance du projet parental en ce qui concerne l’identité et la filiation, pour résister à leur excessive biologisation et rendre au récit et à l’affection familiales leurs rôles. On traitera enfin de l’impossible définition de l’humain, qui concerne notamment l’eugénisme et la manière de traiter l’embryon.
Les deux derniers paragraphes porteront plus particulièrement sur les limites de l’éthique. D’abord à travers le problème du droit de savoir, ou d’ignorer, et le consentement du sujet, en demandant si on n’a pas exagéré l’importance de l’individu, pensé sur le modèle de l’individu conscient et maître de ses choix. Puis, en rappelant les grandes orientations éthiques qui structurent notre responsabilité devant nos prochains, on voudrait contribuer modestement au compromis législatif en montrant que ces grandes orientations ne peuvent pas être respectées ensemble, que toute morale a des effets pervers, et que le pluralisme éthique est nécessaire.
I. Critique de l’imaginaire bio–technique et bio–éthique
Le premier but serait dans ce propos de dégonfler les rêves de ceux qui voient déjà l’humanité maîtresse de sa propre génétique et refabriquant un corps artificiel et libre, capable de s’arracher aux limites de notre planète menacée, abandonnée au désastre. L’inquiétant, c’est que la croyance naïve à ces vertigineux possibles abrite et favorise de très substantielles cupidités. Mais du même mouvement il faut dégonfler la peur engendrée par ces possibles chez tous ceux pour qui ces rêves sont un cauchemar. La société du clonage généralisé, comme celle des bébés–éprouvette généralisés, n’est pas pour demain. L’inquiétant ici est que l’on attise de véritables superstitions, des craintes imaginaires qui font souvent écran aux vrais problèmes. Comment passer à travers le piège tendu par l’alternative mirobolante entre une convoitise qui se moque des limites et une superstition qui panique pour tout et pour rien? C’est tout le problème. Comment autoriser un usage sobre tant que ces techniques sont indifférentes, tout en développant la capacité à s’en abstenir dès qu’il y a une incertitude quant à leur effet (on pense particulièrement aux générations futures) ou un soupçon quant à leur motif (on pense ici particulièrement à la cupidité de certains)?
Il y a une légitimité de la peur : le sentiment s’est répandu que notre morale et notre intelligence du sens ou des finalités de l’agir humain ne sont pas à la hauteur de nos pouvoirs et de notre intelligence des moyens ou des techniques ; car chaque solution apportée à un problème en soulève d’autres que nous n’avions pas su prévoir. Mais ce sentiment légitime appelle une réserve : pourquoi, au sein des questions morales, donner une place aussi éminente à une « bioéthique » un peu spécialisée, un peu « abstraite » des contextes sociaux ou planétaires où ces techniques apparaissent? Le débat sur la fivete homologue ou hétérologue n’est–il pas un peu semblable à celui sur le sexe des anges, et la principale question éthique n’est–elle pas qu’une fivete coûte près de 200.000F, et que ce luxe de moyens au chevet de quelques couples inféconds dont il n’est pas même sûr qu’ils soient vraiment stériles mais dont il est sûr qu’ils sont malheureux, doit néanmoins être replacé dans le contexte de notre petite planète surpeuplée, où la bénédiction de la Genèse (« croissez et multipliez ») semble avoir tourné en malédiction. Ce qui vient d’être dit peut paraître révoltant pour ceux qui ont vécu cette épreuve, mais il faut insister lourdement sur un premier geste : remettre les questions dans leur contexte le plus large.
Et cette réserve est renforcée par le fait que la bioéthique surgit dans un contexte imaginaire truffé de fausses–questions, de questions qui laissent pour l’essentiel de côté les questions véritables qui sont et seront vécues par ceux qui font et feront l’épreuve de ces nouveaux pouvoirs. Le génétique et le cérébral étant devenus les supports « biologiques » de l’identification du sujet humain, l’hérédité y devient un héritage inaliénable, le noyau de l’identité, et on tremble à l’idée de ce qu’un nouvel Hitler pourrait faire de ces « bio–pouvoirs »[1]; alors que ceux–ci sont peut–être d’autant plus indiscutés et menaçants qu’ils s’avancent sous les auspices d’une sacralisation de la Vie ou des droits imprescriptibles de l’Individu.
Ou bien on s’effraye des progrès de la neurochimie, qui supprimeront peut–être bientôt la neurasthénie et bien des troubles psychiques, alors que chaque mois on consomme en France des millions de boîtes de somnifères et autant d’excitants, et que cette automédication « douce » où la médecine est devenue la servante de nos seuls désirs, est le plus grand danger, comme si notre bonheur était une affaire thérapeutique, et comme si les dépenses de santé pouvaient augmenter à l’infini[2]. Sur tous ces exemples on perçoit que les problème réside moins dans chacune de ces techniques intrinsèquement, que dans leur usage. Et leur usage, c’est finalement la manière dont elles entrent en résonance avec l’évolution des moeurs : si nous craignons tellement que l’identité individuelle disparaisse dans les manipulations génétiques, c’est que nous sommes plongés dans une crise de la famille et de l’identité à laquelle des lois bioéthiques ne sauraient répondre ; si nous craignons tellement que l’euthanasie se répande, c’est que nous sommes dans une société qui refuse d’accueillir la mort, et qui veut encore la maîtriser ; si nous craignons le totalitarisme d’une société où une armée de clones serait au service de la Cité des Maîtres, c’est que nous sommes déjà dans une société où le trafic illégal d’organes s’est répandu dans la planète entière.
II. La bio–éthique remise dans son contexte
Dans ce contexte, l’éthique doit discerner les visées légitimes des différents acteurs des effets pervers qui les accompagnent. Elle doit se battre non seulement contre les démons des chercheurs, qui ont pour nom l’ambition, la concurrence pour le prestige, contre les démons des législateurs, qui ont pour nom l’obsession de combler d’hypothétiques « vides juridiques » et le rêve de ne jamais être en retard sur la société ou sur l’opinion, contre les démons des laboratoires qui ont pour nom la cupidité, l’attrait de commerces inédits et lucratifs, mais aussi contre les démons populaires que sont la superstition, ce mélange d’envie malsaine et de crainte panique de toucher à quelque tabou, c’est à dire finalement la peur d’assumer en face la condition humaine dans sa mortalité, dans sa responsabilité, dans son absurde impuissance parfois. Et dans ce mélange, l’éthique doit d’abord se battre contre ses propres démons, sa propre envie de bavarder sur tous les sujets, de répondre avant même d’avoir éprouvé les questions. Comment une morale débridée, n’ayant pas appris à se limiter quand elle parle, pourrait–elle donner des limites aux « bio–pouvoirs » dont nous parlons? Une telle morale ne serait–elle pas à son tour un « bio–pouvoir » concurrent? D’ailleurs l’éthique ne consiste pas à avoir des réponses, comme des parapluies que l’on pourrait ouvrir sous les diverses circonstances, mais à être responsables ; fût–ce quand on n’a pas de réponse.
On rappelera ainsi volontiers avec Jean Calvin que cette responsabilité individuelle, devant Dieu et le prochain, est irréductible tant aux normes rituelles de rapports à Dieu édictées par les Eglises et les religions, qu’aux lois juridiques des rapports entre humains contractées par les divers Etats. Insistons sur ce dernier point : l’éthique, dans sa conviction responsable qui accepte les différences, n’est pas le droit, qui construit des règles consensuelles et minimales destinées à assurer la cohabitation dans la même société entre des formes de vie diverses. Il ne s’agit pas pour autant de prôner un laxisme juridique qui toujours a favorisé les groupes d’intérêts économiques et idéologiques les plus puissants ; mais il s’agit que l’Etat, au lieu de faire produire par quelque Comité de sages une « éthique d’Etat », favorise le débat politique et public qui seul peut construire les nécessaires compromis sur ces questions complexes[3].
Il me semble que si l’on néglige le « bruit imaginaire » soulevé par ces techniques pour se concentrer sur leur divers usages possibles, concrètement, on perçoit assez aisément leurs aspects positifs dans bien des cas, et les nécessaires limites à leur généralisation. Le consensus est même plus large qu’on ne l’imagine, et en tous cas les compromis sont possibles : on peut donc partager le sentiment qu’il y a une sorte de « philosophie française » en matière de bioéthique, et qui emporte un assentiment très large, comme l’avait montré le débat sur les trois propositions de lois soumises en 1992 à l’Assemblée Nationale. C’est sur les principes qui peuvent permettre de construire ces compromis (appelons compromis tout accord pour lequel chacun des protagonistes a accepté de dépasser le caractère exclusif de sa position) que l’on va s’arrêter maintenant. Sur chaque principe je développerai des arguments « laïcs » et des arguments « théologiques », en cherchant à les distinguer autant que possible, mais pour montrer sur la base de quelles convictions théologiques je souscris au « compromis laïc » proposé.
III. Le principe d’indisponibilité du corps humain
Le premier principe sur lequel il faut s’entendre, et celui qui peut le plus facilement entraîner l’adhésion dans les différentes composantes de l’opinion publique en France, porte sur l’indisponibilité, la non–patrimonialité du corps humain. Ce principe porte sur des domaines très divers. Il y a celui des dons de sperme, d’ovocytes, ou d’embryons, ce principe de non–commerce doit s’étendre jusqu’aux produits synthétisés par la recherche à partir de ces derniers, et il a été sage d’interdire la location d’utérus[4], à cause des drames affectifs possibles, mais aussi du trafic dont des femmes pauvres auraient pu être victimes. En ce qui concerne la non–brevetabilité du génome et des espèces vivantes transgéniques (végétales ou animales), on ne doit pas permettre à un laboratoire de s’approprier les formes de vie ou les produits biologiques qu’il aurait « inventés »[5]. Les produits renouvelables du corps humain ne peuvent faire l’objet de profits, même avec l’accord du donneur (et il en est de même pour les protéines produites par recombinaison génétique). C’est a fortiori le cas pour les organes non–renouvelables[6].
Cette non–disponibilité de principe est moralement importante dans un temps où nous croyons trop être les maîtres et les propriétaires de nous–mêmes, mais c’est aussi une protection dans un temps où cette maîtrise est doublée par la servitude de tous ceux qui n’ont d’autres moyens de survivre que de se mettre au service des plus riches. C’est surtout une clause radicale de respect de la dignité humaine, quand se développe un trafic mondial des produits et organes du corps, avec son cortège d’atrocités, de tromperies et de violences. Sur l’ensemble de ces questions il faut raisonner en pensant aux conséquences possibles sur les populations les plus désavantagées, et c’est en fonction de ceux qui en souffriront le plus que nous devons décider des avantages de ceux qui en bénéficieront.
Le droit international doit donc être rapidement précisé sur l’ensemble de ces points, surtout si les abandons de souveraineté nationale se traduisent par de simples déréglementations, sans lieu d’élaboration d’une véritable politique. Nous devons avoir conscience que notre position française est plutôt une exception, tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle planétaire : les pays de culture protestante, il faut le dire, se sont montrés d’un surprenant laxisme sur ces commerces. On peut comprendre l’intérêt qui permet aux laboratoires de récupérer leurs investissements, mais il doit y avoir des limites internationales claires à ces intérêts. Il est temps d’ailleurs que se développe une réflexion commune sur la protection de la diversité génétique de la biosphère, qui est assez menacée par le déploiement de bio– technologies à but de productivité.
Toute cette argumentation se base aussi pour moi sur l’idée quasi–théologique que le corps humain n’appartient finalement qu’à Dieu, qu’il est comme un Don originaire qui précède et dépasse tous nos échanges : le corps humain n’est pas à l’image de quelque monnaie ou de quelque César, mais à l’image de Dieu, à qui seul il appartient. Cet interdit jeté sur tout commerce ne veut pas dire que ces techniques (PMA, diagnostic et bientôt génie génétique, transplantations, etc.) n’émargent qu’à une pure logique du don et de la gratuité et qu’elles n’ont pas de coût: au contraire elles coûtent cher, et le facteur coût, pour les individus, mais aussi pour la santé publique et la sécurité sociale, doit toujours faire partie du raisonnement éthique complet. Il s’agit de sortir ces techniques de la seule logique du marché, justement pour les réinsrire dans leur contexte global, y compris économique.
IV. Le principe d’inscription dans un projet parental
Le second principe, déjà plus difficile à faire admettre mais qui semble faire partie du compromis majoritaire en France, est que tout ce qui peut toucher à la procréation (insémination et fécondation in vitro) à la responsabilité juridique ou à l’identité des enfants à naître, à l’usage de diagnostics pouvant conduire à l’IVG, à la manière de traiter les embryons « surnuméraires », etc., tout cela doit s’inscrire dans un projet parental, affectif, et ne doit pas être séparé en performances techniques isolées non plus qu’en « réalités naturelles » ayant un sens en soi[7]. Interdire par exemple le « déni de paternité » pour un conjoint qui, après avoir donné solennellement son accord, ne reconnaîtrait pas un enfant né avec le sperme d’un tiers, est une clause essentielle si nous voulons résister à l’excessive biologisation de l’identité et de la filiation.
L’évolution des moeurs doit ici être prise à contre–courant : dans une société ultra–mobile, où les vieilles structures de parenté ont été atomisées par la multiplication des « familles monoparentales » ou diversement décomposées et recomposées, la filiation génétique est devenue une sécurité identitaire. Et tout converge vers cette évolution : ceux–là mêmes qui dénoncent toute identité nationale ou ethnique établie ne rêvent encore que d’un melting–pot « biologique »; et ceux qui rêvent d’une soi–disant loi ou morale « naturelle » prônant la famille traditionnelle le font en biologisant cette famille, en excluant insémination et fécondation in vitro hétérologues. Bref tout renforce cette « biologisation », cette sacralisation de la Vie entendue comme une réalité naturelle continue et quasi–divine.
Contre cette évolution il faut rendre au projet parental toute son ampleur, en refusant les PMA aux personnes seules (y compris dans le cas de la mort du conjoint : insémination post–mortem, comme si l’on pouvait décider de faire naître des enfants a priori orphelins); ou en refusant les PMA aux couples homosexuels[8]. Si d’autres formes de filiation et de familles apparaissent, ce ne doit pas être sous le couvert de thérapeutiques, et il existe d’autres moyens! Et puis être parents c’est accepter que toute naissance est aussi une adoption : l’enfant n’est pas que celui qui prolonge mon identité ou notre identité de couple ; c’est aussi un être autre, un étranger à accueillir ; rien ne remplace alors la simple affection familiale. Et l’enfant s’identifie en se racontant son histoire, qui n’est pas sa carte d’identité génétique : aucune hérédité biologique ne saurait suppléer à la parole affective par laquelle il est accueilli, à laquelle il est invité, et qu’aucun artifice technique ne saurait briser.
V. Le principe de non–définition de l’humain
Il n’y aura pas de compromis législatif possible sans l’accord préalable que la définition de l’humain (ce qu’il est ou ce qu’il devrait être) doit rester ouverte et discutable. Ce troisième principe prend un relief particulier dans plusieurs domaines, et d’abord en ce qui concerne l’eugénisme. Mais remarquons d’abord que la prétention à savoir ce qui définit l’humanité, a fortiori ce qui définit l’identité bonne ou idéale, est le propre des sociétés totalitaires, et le caractère même du totalitarisme. On peut penser au nazisme, avec sa systématisation de l’eugénisme non pas seulement comme technique de gestion des populations, mais comme forme de légitimité sociale et politique. Le paradoxe grotesque de l’eugénisme est d’abord de proposer une définition de l’humain, de la santé, ou de la dignité, qui exclut de la commune humanité une partie de celle–ci, niée ou « sacrifiée » au nom de l’autre partie. Or ce genre d’argumentation est beaucoup plus fréquemment utilisé qu’on ne le croit, chaque fois que l’on cherche à donner une définition de l’humain, de la santé, ou de la dignité.
Le paradoxe absurde de l’eugénisme est ensuite de proposer éventuellement une sélection en vue d’une humanité meilleure ou plus excellente, alors que cette sélection sera opérée par des humains eux–mêmes moins bons, bornés, faillibles : comment pourraient–ils savoir ce qui est mieux qu’eux–mêmes[9]? Ne proposeront–ils pas une sélection erronée, à partir de ce qu’ils croient bons ou de ce qu’ils trouvent mauvais, bref à partir de leurs propres représentations? C’est pourquoi l’eugénisme est non seulement dangereux mais ridicule et absurde. Mais il ne faut pas penser uniquement à l’eugénisme fasciste, en l’occurrence : il y a dans la manière catholique romaine de parler de « morale naturelle » ou de « loi naturelle » quelque chose comme le glissement d’une représentation très humaine et très historique dans les habits d’un idéal naturel atemporalisé, et pourtant très discutable. Et il y a également dans nos démocraties une tendance lourde à prendre notre conception de l’humanité comme la meilleure possible. C’est donc dans nos mentalités entières qu’il faut critiquer l’eugénisme, et pas seulement sous ses formes extrêmes.
Mais on retrouve cette question de la définition de l’humain à propos du statut de l’embryon, dès lors que l’on prétend savoir ou déterminer ce qui définit l’accès à l’humanité. On clôt le débat sur ce qui se cache derrière cette « personne humaine potentielle », qui est certainement dès la conception un être vivant et humain à respecter par principe, mais qui jusqu’à la naissance n’est encore qu’une personne potentielle, qui n’existe pas encore : comme personne, prise dans une lien affectif avec d’autres, son avenir ne peut se définir abstraitement, en dehors du contexte affectif et familial où elle va naître. Le débat que nous voudrions ainsi maintenir ouvert n’est pas un seulement un débat métaphysique sur ce qu’est l’humain, mais le dialogue intime par lequel doit se peser, à chaque fois que le problème de la décision se pose (contraception, contragestion, avortement, qui ne sont pas de même gravité, même si la morale catholique les confond dans la même condamnation), la responsabilité de chacun et d’abord celle de la mère, qui « porte » cette question plus que quiconque. On ne peut pas séparer l’être de l’embryon de notre manière de le traiter, de le considérer, de le rêver aussi, de préparer sa venue, de lui faire place[10].
On argumente parfois cette difficulté à définir le statut de l’embryon en montrant la difficulté qu’il y a à distinguer l’oeuf, l’embryon et le foetus dans un processus continu où la vie s’individualise depuis la fécondation jusqu’à la mort. C’est vrai, mais la vie se gaspille elle–même sans cesse (tant mieux si des couples stériles peuvent accueillir « tous » les embryons surnuméraires, mais on ne doit pas s’obséder sur l’idée qu’il ne doit pas y avoir de perte). Et puis la naissance, que toutes ces techniques ont tendance à effacer, doit rester une discontinuité radicale. Avec l’imagerie médicale notamment, les parents ont très tôt une image de leur enfant qui leur donne un sexe et donc un prénom ; mais l’impossibilité d’avoir une image, jusqu’à la naissance, d’un être qui était pourtant si proche déjà, si connu et cependant si inconnu, jouait un peu comme l’interdiction de se faire une image de Dieu dans les religions monothéistes : c’était comme une réserve qui interdisait d’identifier trop tôt cet être, qui donnait aux parents le temps de réaliser qu’ils ne « savent » pas complètement qui est cet enfant, qu’il n’est pas que la réalisation de leur projet mais quelque chose d’autre. C’est cette réserve et cette discontinuité que, d’une manière ou d’une autre, il nous faut retrouver[11].
Ainsi, pour résumer plus théologiquement ce refus de prétendre donner une définition de l’humain, l’idée que les humains sont à l’image de Dieu est une idée fondamentale, surtout si on la rapproche de l’interdiction dans laquelle nous sommes placés, de nous faire une image de Dieu. L’intérêt de la théologie, ici, est de maintenir l’anthropologie ouverte, de refuser sa cloture sur un prétendu savoir qui deviendrait normatif.
VI. Les limites du consentement et de la responsabilité
Le dernier grand noeud de questions éthiques que l’on rencontre à tout bout de champ dans le domaine bio–médical est celui du consentement responsable et le plus éclairé possible du sujet ou du patient. C’est un principe essentiel, au niveau juridique notamment, en ce qui concerne la protection de la dignité et de l’intégrité de la personne. Mais il ne faudrait pas l’isoler d’autres droits et devoirs, et surtout il ne faudrait pas oublier que dans les contextes où il doit s’appliquer on a parfois affaire à l' »irresponsabilité » du sujet : tantôt c’est un enfant, ou un mourant, tantôt c’est un patient qui ne saurait intégrer tous les paramètres d’un choix complexe, ou une situation dans laquelle on n’a pas le temps de les exposer, ou « ce n’est pas le moment », tantôt même on a affaire à des embryons ou à des morts, et il faut faire appel à la supposition d’un consentement ultérieur ou antérieur, et garanti alors par la famille ou les proches, etc. C’est à ces situations–limites d’irresponsabilité que le médecin ou l’entourage a affaire.
Passant par–dessus l’exemple des essais ou des expérimentations, on peut s’attarder sur la question des fichiers, dont la résolution est moins avancée. On a parlé de contrat préalable avec la personne « saisie », contrat portant sur le contenu, les utilisations, et la durée de vie de tel ou tel fichier ; il faudrait compléter cela par la possible vérification des utilisateurs, programmer les logiciels pour que toute utilisation soit obligatoirement « signée ». Et surtout il faut placer en dehors de tout contrat possible la diffusion des informations ainsi recueillie à des employeurs, à des assureurs, etc., bref tout transport d’information en dehors de sa sphère de définition. Au-delà des fichiers, cette limitation du droit de savoir est particulièrement valable par rapport aux informations génétiques et aux perspectives ouvertes par la médecine prédictive.
On peut rapprocher le problème du consentement de celui du droit de savoir ou du droit d’ignorer. Cette opposition entre la rigueur du savoir et la consolation de l’ignorance n’est si aigüe que par l’extension de ce que l’on sait, et nous sommes désormais dans une société qui se conçoit comme partagée entre ceux qui savent trop et qui ne peuvent plus consoler, et ceux qui consolent et qui ne doivent pas savoir. Pourtant la vérité due aux patients, par respect pour leur dignité, c’est à dire pour le sentiment qu’ils ont de leur propre dignité et de leur « autonomie », n’est pas un pur savoir clinique, c’est une aussi une parole qui est adressée à quelqu’un, et qui peut le libérer ou l’enfermer[12]. Et la parole consolatrice ne se contente pas de ne pas vouloir savoir, c’est aussi une parole qui respecte cette ignorance irréductible qui est celle du savoir même : car devant la mort, comme devant certaines souffrances, il n’y a pas de savoir qui tienne. Permettre au patient de se tenir dans cette ignorance même, accepter que nous non plus on ne sait pas, c’est parfois ce qu’il y a de plus important.
Et l’on peut dire la même chose au fond en ce qui concerne la vérité due aux enfants sur leur origine. Cette vérité due par respect pour leur dignité et leur autonomie n’est pas seulement la vérité de leur carte génétique : c’est une parole qui met à leur disposition une généalogie qu’ils recomposeront au fil de leur histoire vécue. Dans la mesure où tout enfant est aussi un enfant « adopté » par ses parents, il faut respecter cette ignorance irréductible dont nous parlions plus haut, qui veut que nous ne sachions jamais vraiment « qui » est notre enfant.
Dans la mesure où, comme on le remarquait plus haut, le consentement est manipulable, on peut se demander finalement si les « bio–pouvoirs » ne se développent pas à l’ombre même des « droits imprescriptibles de l’individu », de l’être humain individuel considéré comme le sujet de droit universel. Et certes l’ancrage de la bio–éthique dans les Droits de l’Homme est un garde–fous absolument nécessaire. Mais on peut se demander si l’on n’a pas été trop loin dans la survalorisation de l’individu, sur le modèle de l’homo sapiens, de l’individu responsable et maître de lui[13]. Je n’écris pas cela sans beaucoup d’hésitations, et c’est aussi une auto–critique pour la morale protestante qui a tellement souligné la responsabilité individuelle. Mais cette insistance ne conduit– elle pas à dénier toute irresponsabilité, et à ne plus voir de dignité là où il n’y a plus de conscience, là où le sujet est simplement un corps, un corps tout bête? Le fond du problème, avec l’augmentation des sciences, n’est–il pas aussi l’augmentation concomitante de la conscience, de l’angoisse d’avoir à tout choisir? Je laisse cela comme une interrogation sans réponse.
VII. Pour un pluralisme éthique
En rappelant pour finir les grandes orientations éthiques qui structurent notre responsabilité, on voudrait contribuer modestement au compromis législatif en montrant plusieurs choses : 1) tout discours (même le plus technique) présuppose ou vise des justifications éthiques, et nous allons en passer quelques–unes en revue ; 2) il n’y a pas de discours (même le plus moral) qui puisse satisfaire à toutes les conditions de l’éthicité, car les grandes orientations que nous allons voir ne peuvent pas être respectées ensemble ; 3) toute morale a des effets pervers, et le pluralisme éthique est nécessaire.
La première grande orientation éthique correspond au sentiment que toute vie, toute action, mais aussi tout art et toute technique humaines sont traversées par une visée du bien ou du bon. Cette orientation positive, qui fait crédit au désir en tant que désir de ce qui est bon, et qui pourrait simplement être appelée le courage, cette vertu du corps enfin entendu comme sujet, souffrant, agissant, désirant, et non plus comme objet, correspondrait aussi à ce que certains nomment la prudence. Car on s’y aperçoit aussitôt de l’extrême diversité, de l’extrême pluralité des visées du bien, des expériences du bon : tout le monde n’aime ni ne souhaite la même chose. Mais le courage demeure, de chercher à travers tout cela la commune condition et le « bien commun ».
La seconde orientation tient au fait que nos visées éthiques, si elles sont enracinées dans des formes de vie et de désir, sont aussi ancrées dans différentes narrations, qu’elles interprètent. La prudence consiste ici à reconnaître la diversité des formes de langage, de culture, de traditions, et que la morale ne pousse pas sur du vide, mais sur un sol de moeurs que l’on doit respecter et cultiver sans cesse, nourrir et rouvrir à la vie. Si dans la culture française la plus laïque le catholicisme sécularisé reste majoritaire, pourquoi ne pas en respecter le langage et la sensibilité? La prudence consiste ici à mêler les styles dans une juste proportion, surtout si les propositions éthiques doivent se traduire dans le « droit civil ».
Une troisième orientation serait celle de l’éthique de responsabilité, en tant que l’intention éthique sait qu’elle va s’inscrire dans un contexte. Une compétence est donc requise, la connaissance maximale du contexte, du système dans lequel va intervenir l’action ou le choix, et des conséquences probables de ceux–ci dans ce système. Assumer la responsabilité lointaine des résultats de l’agir, et non pas seulement de ses intentions initiales, ne pas plus se laisser éblouir par les intentions généreuses que trop effrayer par les intentions douteuses, mais savoir discerner là où de vraies menaces peuvent apparaître et savoir arrêter le système de l’agir avant qu’il ne soit trop tard, voilà une troisième forme de prudence, qui est aussi une forme de justice, une manière de respecter la dignité des éventuelles victimes du système et des options qui le gouvernent.
Une règle morale plus directement orientée vers la justice, vers le respect de la dignité de chacun, tiendrait à l’accès équitable de tous aux mêmes biens, ou mieux encore à la protection équitable de tous contre les mêmes maux. Cet équivalent moral de l’égalité devant la loi souscrit à un impératif catégorique d’universabilité : on ne peut pas refuser aux uns ce qu’on accorde aux autres, et plus généralement les diverses justifications par lesquelles on argumente une différence de traitement doivent pouvoir être partagées par tous les protagonistes, non seulement présents ou représentés, mais absents et éventuellement les « êtres à venir ». Cette règle morale serait ainsi fondée sur un principe de stricte réciprocité, c’est à dire de « substituabilité » des points de vue : traiter semblablement tous les cas semblables.
Une cinquième orientation pourrait chercher, dans une enquête éperdue d’une justice vraiment universelle, et par pessimisme quant à la définition commune de la justice ou quant à la possibilité de trouver des cas semblables, à relever dans le désordre la diversité des sentiments d’injustice et de malheur. Elle montrerait, avec un sens shakespearien du tragique, combien ces injustices sont hétéroclites, irréductibles à une injustice ou à un malheur général, et intraitables, impossibles à combattre ensemble (la distribution inégale de la richesse, de la santé, des cadres de vie, des emplois, de la vie affective, des libertés civiques, de la solidarité sociale, etc., ne donne pas lieu à un sentiment d’injustice unique ni à une forme unique de « réparation »). C’est pourquoi le tort éprouvé par l’un pourra être tenu pour négligeable par un autre qui estimera pour sa part que les vrais torts sont ailleurs. La sagesse tragique consisterait à pointer ces « différends » incommensurables.
On peut parler d’une sixième orientation, où la sagesse devient un art, l’art de dire le désir du bon là où l’on ne voit plus que les maux, l’art d’inventer un langage commun là où il n’y a plus de commune tradition, l’art de rendre tangible la responsabilité là où les conséquences de notre agir nous ont complètement échappé, l’art de montrer comment nos règles les plus justes ne sont pas encore vraiment « universalisables », bref l’art de construire des compromis entre des langages, des règles et des expériences incommensurables. Cela suppose la perplexité tragique de la cinquième orientation, mais aussi une passion pour le possible, la capacité poétique à construire un monde plus complexe, plus riche, plus large, où cohabiterait ce qui ne parvient pas à cohabiter dans ce monde–ci.
Terminons cette énumération empirique (on pourrait continuer longtemps) par une dernière orientation, qui correspondrait à ce que l’on nomme souvent la compassion, ou la charité. Dans cette sagesse ou cet amour–là, qui est aux limites de la morale, et qui procède souvent du sentiment que « tout est grâce » et que rien n’est jamais vraiment mérité, on se moque de la réciprocité ou de l’équité : chacun est unique, et doit être aimé et traité dans sa pure singularité, à chaque fois incomparable. Devant la douleur par exemple, plutôt que chercher à l’expliquer ou à la combattre en cherchant les coupables et les causes, le pardon apporte l’acceptation qu’il y a aussi une souffrance pure, absurde, simplement bête à pleurer, insoluble, et devant laquelle il n’y a plus à juger[14]. L’amour total ici est l’acceptation de perdre, d’oublier, de laisser naître l’autre. Cette pure sollicitude, ce dévouement silencieux à l’autre que soi, cette abnégation, ne peut être réduite à un exemple d’aliénation : ce peut être une forme extrême de lucidité.
Dans l’exposé des principes régulateurs pour une bioéthique proposé plus haut il y a un fort mélange de morale chrétienne sécularisée et de morale humaniste et laïque ; ou de morale latine marquée par le souci du bien commun et de morale protestante marquée par le pessimisme quant à la nature humaine. C’est ce mélange qui rend possible le compromis entre diverses morales dont chacune a ses effets pervers : on a vu que le catholicisme sacralisait trop la Vie et que le protestantisme accordait trop à la seule responsabilité individuelle. Si toute éthique doit : 1) être enracinée (dans la diversité des désirs, dans la diversité des traditions, dans la diversité des contextes), 2) être universalisable (par son exigence de responsabilité généralisée, de justice équitable, de respect des incommensurables), 3) être praticable (interprétable selon la diversité des expériences vécues, capable d’inventer un autre monde possible comme d’aller à la rencontre de chacun dans sa singularité), aucune éthique ne saurait satisfaire toutes ces conditions à la fois. C’est pourquoi une société vivante a besoin du débat éthique, du débat entre plusieurs éthiques ; et ne pas se contenter d’une réponse, même bonne, à chaque problème.
Olivier Abel
Publié dans La Gazette Médicale n°23 T.101, 16/6/94.
Version plus longue dans « Sept propositions pour une éthique biomédicale », Ouvertures n°74 et 75.
Notes :
[1] Ou bien on fantasme autour de la transplantation d’un cerveau dans un autre corps, comme si le cerveau était le « sujet », comme si son individualité n’était pas liée à son ancrage corporel!
[2] C’est la raison pour laquelle l’insistance que l’on croit « morale » pour que les PMA soient réservées aux indications médicales, à l’exclusion de toute convenance sociale, est illégitime. La frontière entre le « mormal » et le « pathologique » est historique, et passent aujourd’hui pour « thérapeutiques » des demandes qui ne l’ont pas toujours été (ou qui ne le sont pas : une fille–mère, victime le plus souvent de violence dans un milieu défavorisé, ne peut demander « hors–délai » d’avortement que pour motif médical!). Au contraire, si l’on savait à qui les confier, on pourrait souhaiter doubler l’entretien médical par un entretien « familial » ou « social » qui serait très utile dans bien des PMA.
[3] Je n’ai rien contre les Comité d’éthique, qui jouent un rôle impor–tant dans ce débat, ni contre le Comité National Consultatif d’Ethique, qui a découvert de larges consensus et fait apparaître des problèmes plus précis que ceux qui partagent d’ordinaire les média : il faudrait plutôt que ces débats plus fins et plus difficiles passent dans le public.
[4] Il n’y a pas de critère a priori pour juger d’un prêt d’utérus vraiment gratuit.
[5] Ou alors il faut définir un type de « brevet » particulier, qui comporterait notamment des clauses se responsabilité très strictes quant aux conséquences de l' »invention ».
[6] C’est la raison pour laquelle le Comité National Consultatif d’Ethique a raison de demander une séparation la plus nette possible entre les équipes médicales qui prélèvent et celles qui réalisent les transplantations.
[7] C’est une des principales raisons pour lesquelles il faut limiter très strictement dans le temps la congélation des embryons.
[8] Dès lors que l’on a affaire à un couple hétérosexuel, qu’elles soient homologues ou hétérologues, et même si elles posent des problèmes différents qu’il faut laisser à la réflexion des personnes concernées, il n’y a pas d’objection de principe aux inséminations artificielles ni aux fécondations in vitro.
[9] Toutes les interventions clairement thérapeutiques sur l’embryon ou sur le foetus, si elles doivent être acceptées (dans la mesure où les risques courus ne sont pas disproportionnés, et surtout dans la mesure où ensemble ces risques et le coût de l’opération ne devraient pas faire préférer un avortement), se heurtent à cette zone d’incertitude qui concerne les thérapies géniques germinales : elles risquent de porter une atteinte irréversible à la diversité du génome, et on n’en sait pas les conséquences ; et pourtant, pour les sujets concernés, ce serait une vraie délivrance. Le plus sage serait de s’en abstenir provisoirement.
[10] C’est pourquoi la destruction des embryons est tolérable. certes, si la recherche permettait de réduire la question des embryons surnuméraire à un coût qui ne soit pas prohibitif, ou bien si un système d' »adoption » des embryons permettait de n’en détruire aucun, ce serait mieux ; mais cela ne doit pas devenir une obsession. La recherche sur les embryons, qui doit être strictement limitée dans le temps, est une question plus lourde : il faut probablement l’accepter provisoire–ment.
[11] C’est cette question–là qu’il faut poser aux différentes sortes de diagnostics : le diagnostic génétique préimplantatoire (dont l’efficacité semble encore parfois douteuse), ou le diagnostic pré– natal sur le foetus, ne soulèvent pas tant d’objection morale a priori qu’a posteriori : que veut–on en faire? Dans quelle responsabilité va–t–on placer les parents? Et si un avortement thérapeutique ne s’avère pas nécessaire, quelle image de leur enfant vont–ils construire? Pourront–ils l’attendre et l’accueillir pour lui–même, sans l’avoir trop imaginé?
[12] Il y a aussi des cas, comme dans les maladies contagieuses (les MST ou le SIDA par excellence aujourd’hui), où l’on peut parler d’un devoir de savoir : car le savoir va changer ou non la conduite de celui qui saura, et qui sera responsable (non de ce qui lui est arrivé, mais de ce qui peut arriver à ses proches). Néanmoins ce savoir–là a fortiori ne saurait être réduit à l’information technique, et pour être assumé il suppose la solidarité de tous. Et ne parler que de la préservation (et des préservatifs!) est encore une forme d’exclusion. Dans une société d’exclusion, un tel savoir s’avère au contraire mortifère. Dans une société de solidarité, il participe de la formation de la responsabilité, de tous.
[13] Ce qui est gênant, dans l’euthanasie, c’est cette prétention à disposer de soi, et à faire de la mort un acte, et non quelque chose que l’on subit ; sous cet aspect–là, l’euthanasie est très proche de l’acharnement thérapeutique. Il existe néanmoins une demande d’euthanasie qui est comme la demande qu’on cesse de s’activer autour du mourant, qu’on le laisse consentir à la mort ; cette demande est respectable.
[14] C’est cette interdiction de tout jugement, de toute forme de savoir, qui doit prévaloir en face du suicide.