« il y doit avoir toujours une exception, ou plutôt une règle qui est à garder devant toute chose… » (Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, IV, XX, 32). |
Les questions que nous nous posons autour de la mort sont à replacer dans le contexte de notre monde et de ses évolutions. Les progrès de la chimie, de la médecine, les développements techniques, notamment, qui augmentent sans cesse nos possibilités de choisir ; mais aussi les évolutions démographiques, la solitude de plus en plus généralisée, l’allongement de l’espérance de vie et le vieillissement global de nos populations, le rétrécissement des moyens économiques, tout cela fait le fond sur lequel les questions se posent. En ce sens là, il n’y a pas de questions absolues, pas des réponses absolues et intemporelles : elles sont toujours relatives à des situations où nous devons les interpréter ; et les meilleurs idées, les plus importantes, viennent souvent après coup. Je reprendrai ici deux séries de questions, la première solidement appuyée sur tout ce qui a été dit au long de la journée, la seconde plus personnelle, et cherchant à élargir encore le contexte.
La question du consentement dans une société de choix généralisé
Les progrès techno-scientifiques ont considérablement élargi la place faite à la possibilité de choisir, tant dans les questions de fin de vie que dans celles autour de la procréation. De moins en moins on peut dire que simplement « cela arrive ». Or le simple mourir (je ne parle pas ici du « tuer ») n’est pas un acte, et nous y sommes forcément passifs à quelque chose qui simplement arrive : la mort est de toute façon donnée avec la naissance, sans que cela puisse être un projet de notre part. Nous ne savons pas ce qui arrive, et nous ne le pouvons pas : comme disait Levinas « je ne peux pas mourir ». C’est cette condition anthropologique que nous avons non pas bouleversée mais brouillée avec les progrès thérapeutiques, en ajournant la mort. Mais ce qui est vécu apparemment comme un élargissement des libertés et des pouvoirs humains est en même temps et obscurément vécu comme une augmentation tragique : celle de l’obligation de choisir. La mort n’est plus ce qui arrive mais ce qu’on choisit d’ajourner ou d’abréger, comme si nous étions devenus maîtres du temps ; et nous ne sommes pas préparés à cela. C’est notre premier paradoxe : nos progrès semblent poussés en avant par notre modèle libéral du choix et du consentement, mais déterminent en même temps son ébranlement et ses limites.
On peut dès lors se demander si nos projets de loi et nos débats de sociétés ne sont pas des façons de vouloir échapper à cette condition tragique, soit en majorant le droit de chacun à être le maître de sa mort, comme s’il s’agissait d’un choix libre, autonome, soit en majorant l’importance de la vie à tout prix, devenue un absolu sur lequel on ne négocie pas. Karsten Lehmkuehler parlait d’une montée des demandes d’euthanasie à cause d’une sorte d’accoutumance des mentalités à celle-ci : il faudrait d’abord cependant procéder avec Georges Dugleux à une analyse sémantique serrée de la notion qui recouvre des significations parfois très éloignées (arrêt de soins inutiles ; suicide assisté par un tiers ; anticipation délibérée par quelqu’un de sa propre mort, consentie d’avance et signée devant témoins, etc). Mais je crois surtout que nous assistons à une réelle explosion des cas difficiles, due aux progrès techniques et à diverses évolutions démographiques. Quand on voit que cette demande est devenue majoritaire chez les catholiques (59%), on mesure à quel point nous avons affaire à un changement profond et inédit.
Certes on peut dire que la mort continuera à arriver (comme les enfants arrivent) dans les siècles à venir, et ne pas se laisser impressionner par le bluff technologique, ni dans la peur ni dans l’enthousiasme de ces évolutions profondes face à la mort. Mais cela n’empêche ce que j’appellerai le tragique ordinaire, l’obligation de choisir, alors qu’on ne sait pas ce qu’on fait. Le tragique est que l’on ne peut dissocier, pour tous, et jusqu’au bout, la face passive et la face active de nos existences. Et qu’il n’y a pas de « bonne solution », de solution bonne à tout point de vue. Quand on écoute le point de vue des soignants, ici celui de Georges Dugleux notamment, on est frappé de voir comment chacune des formes de soin proposées, les sédatifs, les palliatifs, présente des forces et des limites, des vertus et des effets pervers — d’ailleurs variables selon chaque cas. C’est ici que se glisse ce que l’on a appelé l’exception d’euthanasie, comme un segment manquant, ou simplement non nommé et non reconnu alors qu’il existe. Tout se passe comme si nous avions affaire à des solutions segmentaires, dont chacune est bonne dans certaines situations, mais ne saurait être généralisée, ni prétendre couvrir l’ensemble de la « fin de vie ». Georges Dugleux disait que la main qui soigne ne peut pas être la main qui tue, mais peut-on séparer ainsi les mains et les compétences ? Il faut distinguer les segments mais il est impossible de les cloisonner, il faut donc bien à chaque fois interpréter ensemble la situation. Accepter ce tragique jusqu’au bout, cette oscillation, autorise ces segments à modestement se corriger mutuellement pour s’ajuster à la singularité des personnes.
Il me semble en tous cas que la fuite de ce « tragique ordinaire », de cet embarras de choisir entre ajourner ou abréger, nous place tous dans l’hybris, dans la prétention excessive, et la recherche excessive de justifications. D’où la montée aux extrêmes et les passions des partisans de l’euthanasie, ou des soins palliatifs, etc. En examinant la façon dont nos grands débats projettent en dehors et masquent des débats que nous devrions tous davantage intérioriser, différencier, notre propos serait de convertir cette opposition massive en une dialectique plus fine, plus intime, entre la vulnérabilité et la responsabilité, entre le désir jusqu’au bout de montrer « qui » l’on est et celui de s’effacer, entre le refus de la mort et son acceptation, entre le non et le oui. Notre travail ici consiste moins, me semble-t-il, à donner des règles ou des réponses définitives qu’à aider à formuler les perplexités et les dilemmes, de façon à tenter de déplacer les oppositions simplistes pour chercher à plusieurs des formulations de problèmes où les uns et les autres se reconnaissent mieux. Bref, nous devons « installer » des occasions de paroles, et vivre avec ces questions, nous installer avec, commencer à en parler.
L’importance d’un projet de loi, un peu comme les grands procès, est à cet égard de faire avancer le dissensus public, un peu comme une pédagogie qui oblige chacun à tenir compte de la possibilité d’autres points de vue, qui peuvent être le point de vue des « autres », mais pourrait aussi devenir le nôtre à un « autre » moment de notre vie. Il ne faut donc pas prendre la loi comme un rempart clos qui chasserait tout tragique, ou comme une balance exacte qui saurait peser et arrêter d’avance toutes les responsabilités, en les plaçant sur les épaules des uns ou des autres : comme le rappelait Béatrice Birmelé avec Platon, la loi est incapable de venir s’asseoir à côté de chacun de nous pour dire le juste, qui reste à chaque fois de notre jugement. Platon continuait en remarquant que le magistrat n’est pas dans la position du berger car il fait partie du troupeau, il est de la même espèce ! Nul ne peut se prétendre dans la position pastorale ou paternelle où il saurait ce qui est bien et mal pour l’autre. La loi elle même oscille entre la protection des vulnérabilités et la répartition de la responsabilité, et oblige ainsi à nommer les points de vue possibles, à les reconnaître et à les limiter.
Du côté de l’opinion publique, nous sommes encore dans les ornières d’une vieille division de la pensée française, presque archéologique, entre ce que j’appellerai son catholicisme et son stoïcisme, et cette division affecte notre perception du problème et le diffracte. Or le point de vue protestant a la particularité d’être un condensé des deux, et de proposer, si on le prend dans sa tension complète, une vue en quelque sorte stéréoscopique du sujet. Face à un conception « stoïcienne » du sujet maître de lui, il rappellera d’abord que pour le stoïcisme lui même il y a des choses qui dépendent de nous et des choses qui n’en dépendent pas, que si justement de plus en plus de choses dépendent de nous en matière de fin de vie, il reste des choses sur lesquelles nous sommes sans pouvoir. Il demandera ce que signifie ce choix qui interdit ensuite les possibilités de choisir, selon le paradoxe bien connu des philosophies de l’autonomie. Il dira aussi, avec Karsten Lehmkuehler, que la dignité ne saurait être réduite ou confondue avec l’autonomie ou l’autodétermination. Il rappelle ainsi que Calvin lui-même est passé par le stoïcisme, qu’il a commenté Sénèque, et qu’il en est sorti, comme Montaigne (avant Montaigne) en lui reprochant de proposer une image de l’Homme trop idéal, un peu abstrait, ramené à une conscience maîtresse d’elle même mais insensible.
Face à une conception « catholique », il redira avec André Dumas que la supplication par laquelle un mourant demande que son temps ne soit pas rongé par un vain combat doit être entendue, et avec Karl Barth et Dietrich Bonhoeffer que le vouloir-vivre ne se commande pas et que le suicide ne saurait être jugé. Toute souffrance qui peut être évitée doit l’être, mais le problème apparaît avec le petit nombre de souffrances que l’on ne peut soulager, qui ne sont pas toutes des souffrances physiques. La souffrance ne se réduit pas à la douleur, et les soins palliatifs ne peuvent pas grand chose face au désespoir ou à la résolution d’en finir, lorsqu’on n’éprouve plus la vie que comme un piège. Il faut donc prendre garde à ce que les soins palliatifs, qui font leur possible pour réinsérer le mourant dans ce tissu de paroles et de gestes qui améliorent les conditions de la fin de vie, ne dépassent pas leur fonction en devenant une idéologie qui prétendrait avoir réponse à toutes les situations. D’ailleurs il n’y a pas seulement la dialectique entre le patient individuel et l’institution anonyme, mais entre les deux se trouvent des proches, d’avis parfois divergents, et qui tantôt reprochent à la médecine de ne pas avoir fait tout ce qui était techniquement possible, et tantôt demandent vite d’arrêter l’agonie interminable, d’arrêter la mort.
L’oscillation entre ces deux manières de voir est rendue plus incertaine encore, comme le rappelait Claude Baty, par le fait que des personnes très favorables à l’euthanasie reculeront soudain devant elle, et que d’autres qui la repoussent avec horreur demanderont peut-être un jour à voir leur agonie abrégée. Nous ne savons pas ce que nous ferions dans de telles circonstances, et cela pose la question du consentement, qui repose sur la volonté libre et éclairée du patient : jusqu’où peut on s’engager à la place de celui qu’on sera ? Qu’est ce qu’une promesse ? De tous côtés les trahisons font partie de l’histoire des personnes — et d’ailleurs de l’évangile même. Le consentement reste évidemment capital, mais il ne faut pas le voir comme un acte pur, auto-transparent, angélique, qui ne connaît pas les vicissitudes du temps, les hésitations du subir et de l’agir, les revirements de la discursivité narrative. Bref le consentement dont il s’agit n’est pas divin mais seulement humain. Il relève de tous les indices, testament, personne de confiance, mais finalement d’une conversation qui fait place au tragique ordinaire.
La question du soin dans une société de solitude, et du rétrécissement dans une société vieillie
Pour aller plus loin dans ce travail de conversion d’une opposition massive en une dialectique plus intime, nous allons maintenant élargir le contexte. Toutes ces questions se posent aussi dans une société portée par des siècles d’émancipation et d’indépendance des individus, et qui découvre en vieillissant que nul ne peut prendre soin de soi entièrement. Le paradoxe est ici que l’autonomie se retourne en dépendance, et en solitude.
Nous avons là d’abord une évolution du paradigme thérapeutique qui découvre sa limite en découvrant l’importance du soin palliatif, et la limite de ce dernier avec l’exception d’euthanasie. Attardons nous un instant sur ce vocabulaire de l’exception, dans le sillage des remarques de Louis Schweitzer. On le trouve chez le philosophe George Canguilhem (dont on sait peu combien il était protestant), mais il nous vient, à travers Bonhoeffer, de Kierkegaard et de Calvin (voir exergue). C’est donc d’abord une notion théologique, correspondant au fait que l’ordre du monde dépend en dernière instance de Dieu seul, qui peut toujours transgresser ses propres Lois. La règle générale reste sujette à une possible objection de conscience, souvent pratiquée par la Fédération Protestante de France. Ceci dit, il faut bien voir que l’exception ici n’est pas une catégorie casuistique : il s’agit d’un cas limite, qui limite et conditionne la règle générale, dans un éthique de détresse et de tragique. Mais si elle se généralise c’est qu’elle ne marche plus comme exception : il faut alors en penser la règle, les conditions, il faut réguler ce qui n’est plus une exception, selon une sagesse post-tragique, qui est celle du moindre mal.
Face à l’éclatement des modèles de soin, on comprend que les patients voient leur inégalité devant la mort (mort rapides ou lentes, douloureuses ou pas, etc) redoublée par la diversité des soignants : certains iront trop facilement vers l’euthanasie, d’autres y seront excessivement rétifs. Là encore il est précieux de commencer par dialectiser le soin lui-même entre son orientation technique (il n’y a pas de soin sans un équipement en matériel et en compétences) et son orientation de sollicitude (au sens des éthiques du care, qui font voir un autre genre de compétences). Il est important se s’appuyer sur un savoir faire, qui facilite l’agir, mais il est non moins important de montrer à celui que l’on soigne qu’il n’est pas superflu, de ne pas s’insensibiliser — or il est difficile de tenir ensemble les deux aspects. Et chacun de ces versants du soin présente des risques : d’un côté le soin purement technique peut réduire l’autre à un objet, de l’autre la sollicitude du care peut tomber dans la relation trop familière, presque domestique, humiliante — même dans les liens de famille il ne faut ne pas trop rapprocher, rapetisser les proches, mais les considérer avec respect comme des personnes qui réservent jusqu’au bout une sorte d’inconnu.
Mais ces questions se posent de façon particulièrement aigüe dans une société de solitaires. C’est l’effet bien involontaire d’une longue période menée par le discours libéral de l’émancipation, et qui aboutit à une société d’exclusion, de désafiliation générale. Les déclarations d’indépendance ne suffisent plus à libérer car le problème n’est pas l’esclavage mais la solitude et l’exclusion. Notre modèle a été celui du sujet qui grandit et s’émancipe, celui de Robinson Crusoë capable de rebâtir une monde avec sa seule Bible et sa hache : mais Robinson est jeune, il va vieillir, et découvrir qu’il a besoin de Vendredi : personne ne peut prendre entièrement soin de soi-même — c’est le cœur du mariage selon Calvin, prendre soin mutuellement l’un de l’autre. Notre société se trouve alors en porte à faux car elle ne cesse de proclamer une autonomie qui se retourne en une dépendance d’autant plus grave que l’autonomie est survalorisée.
Et puis ces questions se posent dans le contexte d’une société vieillie. Ce n’est pas seulement que le paradigme massivement dominant du soin thérapeutique (qui suppose sinon la guérison du moins le maintien de l’autonomie), est de toute façon malheureux et comme en échec face à la vieillesse : le vieillissement en ce sens accélère l’équilibrage des soins thérapeutiques par les soins palliatifs. Ce n’est pas seulement qu’il faut un jour cesser de rêver et prendre conscience que la courbe de l’espérance de vie a déjà commencé à retomber, bref mesurer simplement la finitude, la fin d’un allongement perpétuel. C’est aussi un problème culturel : jamais l’humanité n’avait été confrontée à ce problème de faire une culture vivante et créatrice, confiante, avec une moyenne d’âge aussi élevée. Ce problème redouble avec la ségrégation actuelle des âges — sans doute plus grave aujourd’hui que la ségrégation des sexes au 19ème siècle. C’est la tragédie de la culture que cette impuissance à transmettre et autoriser, et cette impuissance réciproque à hériter et à exprimer de la reconnaissance, impuissances qui redoublent le malheur de mourir non seulement tout seul, mais dans un monde où tout change, où rien ne demeure. Tout ce qui peut briser la solitude, mêler les milieux et les âges, élargir les liens, et amener les personnes âgées à cohabiter, à rester ainsi contemporaines de leurs successeurs dans le même monde, un monde plus durable qu’eux tous, est à favoriser.
Pire sans doute : nous avons consacré des moyens humains et financiers considérables pour allonger et augmenter la vie, et la valeur de la vie de chacun, mais ces normes finissent par être au-dessus de nos moyens, tant individuels que collectifs et planétaires. Il suffit de faire la multiplication : développement de moyens techniques et humains et de leur coût, augmentation de la population et notamment de la population âgée (on va y revenir), déploiement de normes juridiques et de standards de vie de plus en plus exigeants : tout cela nous place sur un train de vie (si je peux m’exprimer ainsi) au dessus de nos moyens. Une grande partie de nos lois supposent des gens qui en ont les moyens et déterminent une partie de la population à vivre en dehors de ces lois — qui ne « marchent » que parce qu’une partie de la population n’accède pas à ses « droits ». Bref notre société est portée par un rêve, des normes et des standards du vivre et du mourir qui nous empêchent de voir la réalité en face. Nous ne mesurons pas la fracture que nos normes induisent dans la société, où une partie de la population est en train de passer à côté et en dessous de nos normes hypocrites — ils n’en ont pas les moyens, et s’ils les réclamaient tous, nous devrions déjà démolir une partie de ces normes et standards.
Bref on ne peut pas écarter les questions économiques : tout cela a un coût et à cette échelle là aussi nous sommes face à des obligations de choisir, avec des moyens limités et rétrécis. Il ne faut pas croire que les questions de financement soient neutres : ce sont des questions citoyennes. Nos sociétés ont toujours été meilleures pour augmenter que pour diminuer, réduire et rétrécir. Il est temps de mesurer le rétrécissement général, de nos moyens, de notre horizon, de notre planète, de nos ressources, et le soin doit se repenser dans ce rétrécissement général. Comment reconsidérer alors notre vie et notre mort, et accepter le rétrécissement ? Rétrécissement des moyens humains à proportion de l’augmentation du nombre de personnes âgées par rapport à la population active. Mais plus généralement rétrécissement de nos modes de vie. Comment accepter une manière de mourir un peu plus modeste, un peu plus sobre, un peu plus « naturelle ». Cette interrogation me semble devoir être replacée à l’horizon de nos débats.
Pour finir je dirai qu’il ne tient qu’à nous d’inventer collectivement une manière de vieillir qui soit elle-même créatrice et confiante, et une manière de mourir qui ne soit pas au-dessus de nos moyens de vivre individuels, collectifs, et planétaires. Il n’est pas jusqu’au coût somptuaire des obsèques et des rituels de sépulture qu’il nous faudrait réviser, et là encore nous avons des normes juridiques luxueuses, contre lesquelles le protestantisme aurait de quoi réveiller sa tradition et sa protestation ! Il nous faudrait inventer une manière d’interpréter la mort plus sobre, plus modeste. Nous avons une conception misérabiliste du rétrécissement, nous en avons honte, nous ne voulons pas le voir, alors qu’il faudrait l’honorer : le rétrécissement, c’est bien, c’est bon ! Nous sommes sur une petite planète, il faut accepter de rétrécir, de rétrécir nos vies. Sinon la mort même est un luxe, une manière d’entraîner le monde dans notre mort, et « après nous le Déluge ! »
Il ne s’agit bien sûr pas de dire aux mourants, au vieux, écartez vous, poussez vous ! Mais de favoriser et d’autoriser la possibilité que quelqu’un, après avoir montré qui il était, s’être rassemblé, puisse aussi se dépouiller du souci de lui même et reporter son souci de vivre sur d’autres. Ces deux mouvements constituent une fine oscillation qui est celle de la vie même, dans son souci et son insouci. Cela suppose que la dialectique du refus et du consentement puisse être vécue jusqu’au bout, et n’avoir empêché personne d’en passer par ici ou là. Dans une conférence (d’ailleurs inédite), le pasteur André de Robert, reprenant les mots de l’épitre, disait : « A mesure que mon corps se détruit, mon étonnement augmente. Ce que je fais là ? Maintenant que je ne fais pratiquement plus rien ? Je m’étonne ».
Olivier Abel
Synthèse colloque de la Fédération Protestante de France