« —L’apôtre Paul avait-il quelque fonction ?
— Non, Paul n’en avait pas.
— Alors, gagnait-il beaucoup d’argent d’autre façon ?
— Non, il ne gagnait pas d’argent, en aucune façon.
— Etait-il du moins marié ?
— Non, il n’était pas marié.
— Mais alors Paul n’était pas un homme sérieux ?
— Non, Paul n’était pas un homme sérieux »
Kierkegaard[1].
La timide protestation ici présentée est double. Il y a la protestation de Jean-François Lyotard à l’égard de Paul, telle que je crois la comprendre ; et il y aura ma protestation à l’égard de la lecture que Lyotard propose de Paul, telle que je vais tenter de la formuler. Je parle de timidité ou d’intimidation car au sujet de Paul, l’épaisseur d’archéologie remuée est douloureuse tant elle tient à nous, à notre immémorial, à notre langage. J’ai personnellement toujours eu beaucoup de réticence, presque d’irritation, à aborder frontalement la pensée de Paul, comme si c’était une sorte de point aveugle de notre culture ; nous ne l’osons ici que par le ricochet indirect de ses lectures philosophiques récentes. Qu’on le veuille ou non, un peu comme Platon, Paul est trop important. C’est la faute à Paul. En nouant l’intrigue de « sa » question il jette la problématique et l’horizon, non seulement du christianisme, mais de la culture occidentale et peut-être même de la forme prise ensuite par les trois monothéismes et leurs régimes politiques — et leurs relectures successives, comme des variations sur un thème unique.
Comme le remarque Jacob Taubes[2], et on voit tout de suite comment cela concerne Lyotard méditant sur la condition post-moderne, il y a deux moments de la modernité où l’on s’occupe particulièrement de Paul : au début et à la fin. Avec Spinoza (qui cherche une séparation émancipatrice et en trouve une figure chez Paul) et avec Freud (qui montre l’impossibilité de l’émancipation). En effet tout se passe comme si la fin d’une époque était la levée d’une parenthèse, le difficile passage de l’autre côté d’un horizon. Benjamin pensait que chaque œuvre du passé ne parvient à la lisibilité complète qu’à des moments exceptionnels de son histoire, comme une monade qui contiendrait dans une sorte de contemporanéité en dehors du temps la constellation des idées qu’elle peut mettre en présence. Nous serions alors à ce moment où une lucarne s’est ouverte dans le ciel, et si nous ne levons pas les yeux pour nous repérer grâce à elle, de longs siècles passeront avant qu’une telle occasion ne se présente ! Reprenant cette idée, Agamben également estime que notre époque a un rendez vous avec Paul[3].
Pour ma part, je crois inutile et vain de tenter de dresser la généalogie d’une pensée qui a délibérément et irréversiblement mélangé les généalogies. Non seulement qu’il soit illusoire de chercher un degré zéro, car nous pouvons seulement repérer quelques segments et quelques bifurcations dans la suite des écarts herméneutiques, déconstructions et re-constructions. Mais parce que ce geste généalogique est trop souvent lié à une recherche en paternité où il s’agit de revendiquer la paternité de ce que l’on estime bon, en déniant toute paternité de ce qu’on estime mauvais[4]. Notre réticente anamnèse ne cherchera qu’à étaler calmement quelques éléments d’un problème qu’il nous échoit de formuler, jusqu’à ce qu’un jour on puisse dire qu’on l’a trouvé, ou correctement inventé.
Quel est donc notre problème ? Il suffit de faire le tour des lectures philosophiques récentes de Paul pour en montrer la configuration. Elle touche certainement à la question du théologico-politique (non seulement dans la modernité occidentale, mais aussi parce qu’Israël a remanié la donne théologico-politique, et que l’ensemble de l’Islam est travaillé par la nouvelle forme de cette question). Elle touche aussi à la question du sujet (disons après la mort de Dieu), et de ce qu’Alain Ehrenberg a superbement appelé la fatigue d’être soi. Badiou par exemple cherche chez Paul un universel politique alternatif à la mondialisation-balkanisation, et une nouvelle forme du sujet fidèle à l’événement qui est sa vérité. Une question se pose aussitôt : l’équation théologico-politico-subjective qui semble aujourd’hui ébranlée, est-ce cette équation moderne qui va de Luther, Hobbes ou Descartes jusqu’à Nietzsche, Freud ou Carl Schmitt ? Ou bien est-ce l’équation occidentale qui va de Platon, Paul et Augustin jusqu’aux enquêtes de la post-phénoménologie heideggerienne ou déconstructionniste[5]? En tous cas il paraît impossible de toucher à l’un des termes sans modifier les autres[6].
Le problème périlleux devant lequel nous sommes réside dans le fait que nous sommes, que nous le voulions ou non, en train de passer à un régime que nous ne savons pas nommer, et qui doit être à la fois à la hauteur de la complexité des processus « techniques » de mondialisation (avec la demande d’identité ancrée que cela suscite), et de la puissance des processus « ethniques » de balkanisation (avec la demande d’urbanité que cela soulève)[7]. Ce changement de régime nous le sentons fortement à propos des incertitudes quant à ce que devient le sujet de droit avec la mondialisation (questions de bioéthique, brevetabilité du génome par exemple, question de citoyenneté et de droit des frontières, etc). C’est un moment d’autant plus périlleux qu’il s’accompagne d’une profonde dérégulation du théâtre de la guerre, comme à chaque fois : dans ces cas-là la guerre civile n’est jamais loin, et au fond ce n’est pas un hasard si historiquement ce genre de période prend justement la forme de guerre de religion
Il nous faut donc repenser ce nœud du théologico-politique, parce qu’il y a toujours du théologique dans le politique, une irrationalité propre au politique, un antipolitique de même rang ; et aussi parce que les démocraties modernes, on l’a beaucoup dit, sont épuisantes psychiquement pour des sujets qui devraient être sans cesse responsables de tout : quels sujets, quels types de citoyens devrions nous inventer, quelles formes d’appartenance du sujet à une communauté et aussi d’indépendance ? Est-ce qu’on peut rompre avec une société sans devenir fou ? Par toutes ces questions, on voit que le modèle classique lentement élaboré par Machiavel, Calvin, Hobbes, Descartes, Spinoza, Bayle, Locke, Leibniz, Rousseau, etc., est en ce moment complètement déstabilisé. On aimerait bien pouvoir conserver les anciens équilibres, mais on n’y peut rien, on est dans un temps de remaniement sur ces trois pôles. Et si l’État moderne présente un nouage du théologico-politique qui se traduit justement par une séparation fondatrice, nous commençons à comprendre que c’est encore une forme très particulière du nœud. Pour partie, le problème pourrait donc se décrire ainsi : comment créer un espace dans lequel il y aurait une réelle pluralité d’appartenances possibles, un tissu social qui se fasse par une multitude de libres-attachements et libres appartenances, sans que ces appartenances soient des incarcérations dans des communautés, des communautarismes, etc. C’est une question très intéressante et très délicate, et nous pouvons dire que nous ne connaissons pas de société qui satisfasse pleinement à cette double exigence, qui est au fond encore celle de la laïcité, de la sécularisation, et de cette chose très fragile que j’appellerai l’urbanité. Car il ne suffit pas de dire qu’il n’y a plus ni juif ni grec, ou ni homme ni femme, etc.
Mais ce problème politique se complique d’un problème psychique, qui est aussi un problème d’aliénation, un problème de folie. Car il y a un histoire de notre folie : nous avons déployé la liberté de choisir nos combinaisons, nos conditions. Puis nous avons compris que cette liberté déterminait une augmentation extraordinaire de la responsabilité, et nous avons célébré l’avènement de l’individu responsable, capable de s’impliquer en même temps dans plusieurs jeux, de se plier simultanément de lui-même au plaisir et à l’excellence de plusieurs règles. Mais nous avons peu à peu compris, et on entre ici dans l’histoire de notre découragement moral et politique, que cette liberté pouvait être angoissante, et cette responsabilité épuisante. On ne peut pas être tout le temps à ce point insouciant de sa propre cohérence, de sa propre identité. On ne peut pas se croire forts sur tous les tableaux, ni croire qu’on sera toujours les plus forts. L’émancipation absolue se brise sur une limite qui devait la fonder : on ne peut pas se choisir soi-même, se donner toutes ses conditions, sans sombrer dans un « conformisme ultime » — pour reprendre un mot superbe du Zelig de W.Allen, qui est un des plus grands commentaires philosophiques des apories comiques du sujet paulinien. On ne peut pas être « tout à tous » et adopter indifféremment tous les langages et les règles de vie des autres, par une sorte d’amour qui passe toute langue, sans finir par s’isoler dans une langue privée, dans une langue vide. Nous avons donc besoin de lire Paul aujourd’hui pour comprendre un peu plus ce que nous faisons, pour vouloir un peu plus ce que nous disons.
Notre mémoire présente l’exige
Notre mémoire l’exige. D’autres ont commencé ou poursuivi ce travail et il me paraît important de dater les éléments de la séquence, sinon de raconter l’histoire sincère de toutes ces rencontres plus ou moins ratées. On le sait, c’est en février 1987 que Jacob Taubes donna ses quatre conférences sur « La théologie politique de Paul », au FEST de Heidelberg ; le texte en fut publié en 1993 en allemand, et en 1999 en français. Le Saint Paul de Stanislas Breton sort aux PUF en octobre 1988. Le premier texte de Jean-François Lyotard dont je vais rendre compte ici, « Le temps, aujourd’hui », est publié dans Critique en juin 1988[8]. Il m’avait alors tellement frappé que je lui ai demandé d’intervenir en 1989 à la Faculté protestante sur le thème de « l’émancipation comme problème »[9]. La conférence a lieu dans l’amphithéâtre Liard, à la Sorbonne, et les autres intervenants devaient être Paul Ricoeur, malheureusement absent, et Pierre Geoltrain[10]. Le texte de la conférence de Lyotard sur l’émancipation, intitulé « La mainmise », paraît dans la petite revue protestante Autres Temps n°25 en mai 1990[11]. Lyotard n’en reste pas là, et il me demande d’être son répondant pour un séminaire du Collège International de Philosophie, qui se tient le 5 février 1991, sur l’intitulé « Un trait d’union ». Avançant sur ce terrain délicat, je me souviens que c’était comme s’il avait attendu que je le fasse reculer — peut-être pour avancer davantage. Ma réponse est cependant plutôt le blanc d’un silence théologique et philosophique, doublé du sentiment que Paul est encore plus compliqué que cela —j’ai toujours aussi ce genre de sentiment avec les lectures de Platon[12]. Ce sont ces bribes de réponses que je reprendrai plus loin. Alain Badiou, toujours au Collège International de Philosophie, donne son séminaire en 1996 et le texte en paraît en 1997[13]. Giorgio Agamben, dont on sait que lui aussi travaille depuis longtemps sur le temps, donne au Collège en octobre 1998 les premiers éléments de son commentaire à l’épître aux Romains, qui paraît en 2000[14].
Je ne sais s’il faut dire que ces séminaires successifs se répondent (peut-être davantage qu’ils ne l’avouent) ou sont sourds les uns aux autres. En décembre 1997, Lyotard répond à ma demande d’organiser à la Faculté protestante une conversation entre lui et Badiou, il hésite et conclut :
« loin d’adopter le parti (politique) de l’Apôtre comme Badiou, il me faudra le réfuter au nom d’une judéité que j’ignore en vérité et sans doute, fantasme, et dont ce catho fanatique qu’est Badiou n’a même pas idée. Non, à la réflexion, en dépit de mon amitié pour vous, il vaut mieux renoncer »[15].
Ce qui m’émeut et qui m’effraye avec Lyotard, c’est son intelligence capable de passer sans coup férir du service des rudiments païens à celui des rudiments du judaïsme. Paul est bien dans son angle mort ! Mais sur le fond, Lyotard est moins opposé à Badiou qu’à Taubes. L’opposition de Lyotard à Badiou est d’inversion de signe : là où Badiou ne veut voir qu’une tête, une militance récapitulatrice et exaltante, Lyotard voit quelque chose qui le terrifie. Mais jusqu’à Buber et souvent encore ensuite, jusqu’à certains égards chez Lyotard lui-même, il y a justement eu une complicité judéo-chrétienne pour effacer le judaïsme de Paul. Taubes est de ceux qui marquent à cet égard un tournant dans l’attitude du judaïsme : jusque là Jésus était considéré comme un rabbin sympathique, mais Paul avait vraiment passé les bornes[16]. Avec Taubes on découvre un Paul trop yiddish pour les hellénistes et trop grec pour les juifs, et dont le type de foi-conversion est typique du messianisme et d’un judaïsme prosélyte [17]. Agamben déploie cette inversion de regard.
Il est toutefois aussi vain de chercher à s’approprier Paul que de tenter de s’en débarrasser sur le voisin. Même si nous le voulons beaucoup nous ne pouvons pas beaucoup nous rapprocher de lui, ni nous en éloigner ! C’est peut-être d’ailleurs distraitement, et par une réflexion concentrée sur un point très « latéral », que l’on pourrait avancer le plus loin dans notre sujet[18]. On se demande parfois si le problème central n’est pas celui de la jalousie, ce qui serait normal puisque nous avons là un drame de l’élection, du choix préférentiel, comme dans tout consentement amoureux. Taubes montre que chez Paul les païens entrent en jeu pour exciter la jalousie d’Israël [19]. La jalousie est un sentiment terrible et magnifique qui peut arriver, mais faire quelque chose pour exciter la jalousie, c’est quand même spécial ! C’est comme obliger les autres, par tous les moyens, à avoir besoin de vous, ou envie de ce que vous avez, sans même peut-être avoir besoin d’eux. C’est exactement le lieu de la véhémence de Nietzsche contre Paul : « Si je t’aime est ce que cela te regarde ? voilà une parole qui suffit à critiquer tout le christianisme »[20]. Peut-on lire Paul et répondre à la hauteur de cette interpellation ? Et de toutes celles que Lyotard nous lance ?
Lyotard et la dialectique de l’émancipation
Je rassemblerai la lecture de Lyotard sous sept thèses ou têtes de chapitres, mais où je désignerai tout de suite deux lignes particulièrement vives, qui formulent bien nos réticences à Paul.
La gloire et la force de Paul fut longtemps d’avoir été l’apôtre de l’émancipation. On peut désigner pêle-mêle ici le long combat qu’il inaugure contre la séparation libre-esclave, mais aussi une figure de la filiation où l’émancipation, la sortie de la minorité, fait partie de la filiation, etc. Et pourtant, au bout de ce long programme civilisationnel, une sorte de scandale éclate : à quoi conduit l’émancipation, sinon à une logique de « développement » sans fin ni sens autre qu’une sorte de frénésie de puissance qui remodèle entièrement l’homme nouveau, son nouvel esclave ?
La gloire et la force de Paul fut longtemps d’avoir été l’apôtre de l’universel, c’est à dire de l’unité humaine par-delà la différence des époques et des nations. Même la dualité du commandement d’aimer Dieu et d’aimer son prochain est rapportée à l’unité christocentrique qui comprend tout. Aujourd’hui, l’idée que « par un seul » et « une fois pour toute » tout est sauvé[21], est un scandale au moins aussi radical que le fut, pour les Lumières, la possibilité du malheur sous un Dieu bon et tout-puissant —ou pour l’Antiquité une suite de défaites brisant la confiance au dieu impérial de la cité. L’idée d’une sorte de synthèse chrétienne ou christique est le lieu même de notre irrémédiable incrédulité.
Commençons par le thème de l’émancipation. La première thèse de Lyotard que je voudrais mettre en place apparaît assez tôt dans « La mainmise »:
« dans des moments noirs, j’imagine ce que nous appelons encore émancipation, ce que les décideurs appellent développement, comme l’effet d’un processus de complexification (ce que la dynamique appelle entropie négative) qui aurait affecté et affecte la petite région du cosmos formée par notre soleil et sa minuscule planète. L’humanité, bien loin d’être l’auteur de ce développement, n’en serait que le véhicule provisoire et la forme provisoirement la plus achevée »[22].
Il y a donc un point à partir duquel l’émancipation humaine comprend qu’elle a été jouée, et Lyotard se demande « quelle est cette part dans l’humain qui pense à résister à la mainmise du développement ? ». Nous aurions donc affaire à un processus inhumain, qui a déjà commencé à abandonner comme inutile une partie de l’humanité, et une partie de nos corps (remodelage des sexes et de la génération, télécommunications et techniques d’identification implantées dans le corps, neurosciences, etc.). Ce processus « manage » peu à peu la forme de nos sociétés et de nos existences, pour préparer ceux d’entre nous qui pourront encore lui servir à quitter une condition mortelle et natale, terrestre, d’avance condamnée. Cette idée, qui n’est à vrai dire pas très éloignée des remarques de Hans Jonas sur la Gnose et la Technique, Lyotard l’avait déjà déployée dans « Le temps, aujourd’hui », et c’est l’idée que le temps est l’effet d’une mise en séquence où l’intervention d’un tiers médiateur permet d’augmenter la mémoire et la contingence, la complexité du système : à la limite (Dieu ?) on aurait donc une grande Monade complexe, capable de récapituler la totalité des informations qui constituent le monde. On imagine la consternante importance théologique d’une remarque de ce genre, et dans ma conférence introductive au colloque de 1989 sur l’émancipation[23], je rapprochais déjà, de manière problématique, cette grande monade de l’idée paulinienne de « récapitulation »[24].
Dans la lettre finale par laquelle Lyotard répond à Gruber, il termine par un différend « sexuel » : selon lui la femme juive est corps, inscrit dans la série générationnelle, mais qui reste toujours au bord de l’alliance, intraitable. Le hors-alliance est ainsi respecté, et l’alliance même n’est jamais complètement incarnée, enfin présente, mais toujours comme une retenue, et « la chair revient au juif du dehors comme l’enjeu le plus intime de son pacte d’écoute ». Côté chrétien, le corps s’offre au verbe pour une alliance qui est grâce, et qui dévoile la « bisexualité intrinsèque à la créature. Quel que soit son sexe dans l’ordre du monde, elle est en outre et toujours épouse selon la grâce d’amour » (p.98). Ce différend sur la chair, deuxième thèse que je voulais établir, explique l’opposition qu’il expose dans « la mainmise » entre la stérilité de Sara et la virginité de Marie, comme deux interprétations très différentes du manque[25], de ce manque qui manque aux machines, au processus technique de complexification, non seulement de ne pas être mortelles mais de ne pas être nées, de ne pas avoir eu d’enfance.
Cela ne signifie pas qu’il n’y aurait pas d’enfance du côté chrétien, mais que celui-ci soit moins intraitable que le côté juif sur l’enfance, sur l’impossibilité d’une émancipation définitive. Car la filiation chrétienne pense l’enfant comme une promesse d’émancipation[26]. L’idéologie de l’émancipation, qui a véhiculé à son insu la puissance inhumaine du Développement, nie l’enfance. Elle repose sur l’idée que nous sommes tous promis à l’affranchissement, à devenir propriétaires de nous mêmes : certes il y a un reste d’enfance, mais comme une fatigue ou une peur que le courage doit combattre si les Lumières sont « la sortie des hommes hors de l’état de minorité où il se maintiennent par leur propre faute » (Kant, cité p.4). D’où les apories de la tâche d’émancipation comme liberté et comme salut : il faut être libre pour se libérer et il faut être bon pour devenir bon. D’où le combat notamment protestant contre une conception trop pédagogique de la Loi, qui nous tiendrait toujours en minorité, et nous ferait croire que le mérite comme le péché seraient toujours imputables et rétribuables (p.33 et 35). L’idéal moderne occidental serait l’autonomie, le fait de se donner la règle du savoir, la loi du vouloir, le contrôle de ses affects. Il faudrait ne rien devoir qu’à soi. Ce que l’on croyait donné, l’Occident « le reprend, l’élabore et se le re-donne mais au seul titre d’un cas possible de la situation » (p.7). A rebours, « par enfance (…) j’entends cette condition d’être affecté alors que nous n’avons pas les moyens —le langage et la représentation— de nommer, d’identifier, de reproduire et de reconnaître ce qui nous affecte » (p.5). Ce qui nous affecte ou qui nous appelle, et à quoi nous ne pouvons nous dérober — c’est ce qu’il appelle fidélité[27].
Où se trouve ici le différend ? C’est que le tour pris par la liaison et la déliaison n’est pas le même ici et là. C’est la quatrième thèse que je retiens, et encore une fois nous allons voir comment Paul modifie profondément les choses. L’émancipation, des deux côtés, est de pouvoir se dresser à l’appel du père, de pouvoir simplement l’écouter —alors que l’émancipation moderne voudrait une émancipation sans autre, ce que Lyotard appelle un paganisme sans Olympe et désespéré[28]. Mais dans le judaïsme Yahveh éprouve Abraham : le fils Isaac a été donné mais pourrait être repris, il n’est délié que parce qu’il a été lié pour le sacrifice ; Dieu aurait pu oublier d’envoyer le bélier, et cela montre la précarité du lien, qui n’est jamais sûr comme un dogme, mais toujours interprété et réinterprété. Alors que dans le christianisme la nouvelle alliance a été garantie une fois pour toutes. Et le texte se termine aussi sur la possibilité d’un pardon, d’une déliaison définitive. On peut donc à la fois concéder (ou résister, selon que l’on ne goûte pas trop ce genre d’exagération) à l’idée que tous ont péché (tous salauds !) et tous sont justifiés gratuitement par confiance, comme Abraham, mais pourquoi faut-il que cela soit une fois pour toute, universellement ? Pourquoi effacer le travail de la transmission (p.29 et 31) : qu’est ce qu’une élection qui se transmet non par la chair ni par l’enseignement de la loi, mais qui s’annonce d’un coup à tous ?
C’est que « Paul l’apôtre, Shaoul de Tarse le pharisien, citoyen romain sous le nom de Paulus », trace un trait d’union qui relève la pudique lecture des lettres (l’abolit et l’accomplit) dans le mystère d’une présence avérée : le verbe se fait chair, la voix se voise. Elle se montre et demande à être aimée : « ce geste d’amour est une demande d’amour (…) le seul témoignage du testament nouveau, de ce qu’il y a eu ce geste d’amour, c’est l’amour qu’on lui porte » (p.26). Rien n’est retenu dans ce don (p.91). C’est la dialectique de l’amour : « Je viens, me voici, viens. Cette dialectique se présuppose elle-même, toujours. Si tu n’es pas déjà venu, je ne peux pas venir. Mais aussi je viens pour que tu viennes » (p.39)[29]. La voix est là, sans signes sans preuve autre que le fait qu’elle me possède et me dépossède. Dans le Judaïsme au contraire il ne faut jamais faire parler la voix en direct, puisqu’on ne peut qu’interpréter interminablement ses traces, ses lettres sans voyelles, et il faut une retenue pour qu’il y ait sens (p.23 et 96). « La tora n’est pas la voix mais sa trace déposée », et la voix aussi est soumise à l’interdit de la figuration, de l’incarnation, de la présence en direct.
On est ici au cœur de la réflexion sur le trait d’union comme dialectique qui barre le blanc, la césure, qui relève et reclasse ce qu’elle raye et déclasse. La plupart de nos philosophes contemporains lecteurs de Paul s’attardent un moment sur cette ressemblance avec l’Aufhebung hégelienne (Agamben relève justement que Luther traduit le katargein —désactiver, désoeuvrer, suspendre l’efficacité— de l’épître aux Romains par Aufhebung). C’est évidemment ici notre sixième thèse et l’occasion d’une inquiétude, d’un effroi supplémentaire de Lyotard lisant Paul. Qu’est-ce que cette accomplissement-abolition ? Qu’est-ce que cette injonction aux juifs d’avoir à devenir chrétiens pour rester juifs ? La dialectique hégelienne ici résume bien la prédication de Paul aux juifs, qui est une stratégie contre l’exil millénaire qui se prépare : la lettre est morte, la chair stérile, il faut trouver d’autres voies, prendre le détour de l’assimilation, « désirer ce que l’autre désire, aimer qu’il m’aime assez pour me faire perdre l’amour de moi » (p.42-43), bref se perdre pour se trouver. Qu’est ce donc que cette puissance du négatif qui prétendrait enfin révéler la vérité de ce qu’elle détruit ? « Sous le nom de juif je cherche ce qui ternit et endeuille l’accomplissement occidental » (p.89 et 90). Autrement dit, ce qui résiste au dépassement, au passage. La dialectique d’une élection en quelque sorte négative vise à réconcilier le monde par la mise à l’écart des juifs, pour que la conversion des juifs soit vraiment la résurrection du monde entier. Que dit le juif ? « il est terrifié j’imagine (…) il sourit dans sa frayeur. Encore un juif se dit-il qui croit avoir percé le sens des lettres » (p.38). Mais Lyotard précise aussi, montrant à quel point Paul appartient à la tradition de ses pères : « il émane de ces épîtres une souffrance qui va jusqu’à la folie (…) il lui faut tuer le père de la tradition qui est la sienne, ou constater sa mort. Et engendrer le vrai père tel que révélé par Jésus. C’est la souffrance du fils à se faire le père de son père »[30].
La dernière thèse peut aisément se rassembler sous un renvoi aux dernières phrases de « d’un trait d’union » :
« le texte des Évangiles, des Actes, des Épîtres et de l’Apocalypse n’est pas sous le même régime littéral, littéraire, donc ontologique, que celui du Pentateuque. En dépit du trait d’union tracé entre les deux textes par les Correspondances. Ou bien : en raison de ce trait d’union » (p.43).
Le trait d’union est ici le signe même de la dialectique à l’œuvre. Dans les premières de ces thèses, on a vu comment Lyotard cherchait à penser la condition post-moderne comme l’effondrement des grands Récits d’émancipation — non plus le fait de tourner la page dans la valse de ces grands récits à la fois révolutionnaires et progressistes, mais le fait de ne plus y croire, de cesser de tourner les pages. Ce qui était visé c’était aussi la prétendue liberté de se choisir , de se (re)donner ses conditions, et la prétendue supériorité de l’esprit sur la chair, sur les êtres nés et mortels[31]. En substituant aux grands récits les petites plaques de discours soumis à des régimes différents, et qui interdisent de prétendre tenir tous les régimes à la fois, Lyotard a cherché à penser le différend contre l’unité dialectique. Si nous voulons relire Paul après Lyotard, en dépit de Lyotard,nous devons montrer en quoi Paul s’oppose à l’émancipation désespérée qu’il décrit — ou trouver dans l’intention des Lumières de quoi repenser une émancipation qui tienne compte de la génération, de la condition filiale d’être né. Nous devons également montrer en quoi Paul est rétif à une dialectique qui récapitulerait tout dans une mémoire sans perte, en croissance infinie, dans un discours qui comprendrait tous les discours.
Décliner la récapitulation
Je ne répondrai pas à Lyotard, aussi bien il n’est plus là pour sourire. Je prolongerai simplement quelques lignes de perplexité, en laissant pour le moment de côté la question de la double équation théologico-politique et theologico-subjective. Quand je reprendrai ces deux lignes, je repartirai moi aussi de l’épître aux Romains, à la fois comme déclaration de l’impossibilité de s’émanciper soi-même (Karl Barth) et comme déclaration de guerre à Rome (Taubes : les officiers romains n’étaient pas forcément tous des idiots). Il m’importe cependant de suggérer ici que cette guerre au nomos, à l’ordre de la sécurisation, ne doit cependant pas se réaliser ou se radicaliser au-delà d’une sorte d’ébranlement. Vers le début de notre ère une nouvelle religion romaine était en train d’apparaître, pour pérenniser le culte de la victoire : la religion de l’empereur —ce n’est plus un magistrat qui triomphe en quelque sorte pour un jour avant de rentrer dans le rang. Face à cela Paul, citoyen romain, n’oppose pas un simple messianisme, comme on le croit trop dans nos temps de simplification, et les figures du théologico-politique sont diverses et complexes. Pour en rappeler la double lecture construite par Karl Barth et Paul Ricoeur, il faut à la fois penser de l’intérieur la possibilité de l’empire comme subordonné à un empire plus vaste qui comprend aussi les vaincus, car tout appartient à la seigneurie unique du Christ ; et penser, depuis les marges, la résistance tragique ou eschatologique à la confusion entre tout empire humain et le royaume de Dieu. C’est pourquoi il y a bien chez Paul un problème institutionnel non seulement de refondation mais d’installation provisoire dans la durée du monde. En tous cas il ne faut pas se borner à une théorie de l’exception souveraine[32], mais penser Paul comme cherchant à établir une sorte d’exceptionalité ordinaire, commune — c’est à dire une sorte d’installation dans la conflictualité ordinaire.
Quant au sujet, il faudra que ce soit déjà un sujet capable de soutenir cette tension, cette temporalité faite d’une superposition de régimes hétérogènes. Un sujet capable de se plier de lui même simultanément à des règles diverses, sans les mélanger, et sans savoir au fond si elles sont tout à fait compatibles. Un sujet ayant assez de confiance en soi pour garder une certaine consistance alors même qu’il pourrait éprouver un sentiment de déchirement tragique : comme si le décalage entre ses désirs et ses réalités faisait partie du jeu, de son tragi-comique. Un sujet assez incertain de sa propre existence pour pouvoir se détacher de ses propres paroles, de ses propres actions, car l’émancipation est à cette condition ; mais assez attaché à l’enfance qu’il porte en lui pour accepter d’être né, d’être simplement là où il est sans loucher perpétuellement vers ailleurs, pour accepter d’être proche et inséparable de tout ce qui en lui et autour de lui est mortel.
Mais laissons ces deux lignes. Je repartirai ici du point qui me semble le plus difficile, le plus passionnant, l’idée de récapitulation. Elle contient dans la logique christocentrique, monocentrique, du « par un seul », à la fois la logique du grand Récit qui prétend tout conserver, tout contenir, tout sauver, et la logique de surenchère et de surabondance du « combien plus – à plus forte raison ». Dans un texte superbe des années 50 sur « l’image de Dieu et l’épopée humaine »[33], Ricoeur faisait de la récapitulation un motif épique de la théologie, et il regrettait que l’image de Dieu ait été réduite à une petite marque intérieure et privée, que l’on ait perdu le sens d’une épopée plus vaste de l’humanité et de la création. Selon lui le siècle a montré qu’il y a une ampleur épique du mal qui traverse notamment les passions de l’avoir, du pouvoir et du valoir (les malheurs de l’exploitation économique, de la domination politique, de l’aliénation culturelle, sont irréductibles les uns aux autres et débordent de loin les petits péchés individuels). Il faut donc penser, avec les pères grecs, une rédemption qui soit non moins épique. Dans ce grand récit de la création, de la chute et de la rédemption, on reconnaît ce qu’il y a d’anti-gnostique chez Paul lui-même. Il y épopée parce que ce monde n’est pas foutu, parce qu’il est travaillé et aimé.
Parlant d’épopée, cependant, j’aggrave le problème : n’est ce pas la figure par excellence du grand Récit salvateur, progressiste et triomphal ? N’est-ce pas justement la puissance d’une dialectique capable de tout neutraliser, de tout relever dans un « nouvel Adam » ? Ne dit-on pas que c’est tout le stratagème de la modernité occidentale que d’avoir su glisser dans la dialectique de l’émancipation universelle son dispositif narratif et temporel qui raconte sans cesse la séparation et la réconciliation, l’origine perdue et retrouvée ? Mais je pense que ce dispositif narratif est susceptible d’interprétations extraordinairement différentes les unes des autres, qui résistent à la synthèse. Et ce n’est pas parce que ceux qui ont trop cru à un grand récit sont désillusionnés qu’ils doivent saccager et démolir une fois pour toute la possibilité même d’une intrigue épique. Oui pourtant je crois que l’on peut parler du style épique de Paul. Non seulement par ce que tout commence toujours ou recommence avec l’épopée, et qu’il s’agit bien ici de la fondation d’un peuple paradoxal, je veux dire d’un peuple qui s’ignore et qui n’existe que parce qu’il s’ignore — qui disparaîtrait à trop prendre conscience de lui-même.
Mais je crois que ce n’est pas un hasard si Ricoeur, dans son texte sur « Paul apôtre, proclamation et argumentation », termine par la récapitulation les cinq stratégies argumentatives (généalogique, allégorique, autobiographique, universalisante, récapitulatrice) qu’il démêle à l’œuvre dans ce que Lyotard appelle les Correspondances. Cela signifie d’une part que l’on ne peut lire la récapitulation, le « par un seul », que face à cette pluralité de genres littéraires, de postures ou de régimes de langage, qui ne s’y résorbent pas. Lyotard estime que les textes du Nouveau Testament sont sous un autre régime littéral et littéraire que le Pentateuque, mais n’y a-t-il pas de part et d’autre une étonnante pluralité de régimes ? Est-ce le seul différend auquel on pourrait réduire tous les autres ? N’est-ce pas un différend qui fait taire à bon compte tous les autres différends ? Telle serait ma première ligne de réponse à Lyotard.
Vers la fin de la première partie d’un texte sur Paul paru dans Esprit, consacré à la proclamation (le point de la plus grande proximité avec Badiou) Ricoeur évoque déjà la récapitulation comme « détotalisation », indissociable de l’idée de reste. Quand il y revient, la récapitulation est alors ce qui doit ébranler l’imagerie pseudo-politique d’un jugement dernier, et la logique élitiste d’une élection qui exclut l’autre. Mon ennemi peut être aimé de Dieu. La récapitulation est alors une figure eschatologique au sens kantien de figure-limite, d’hymne à ce qui nous échappe[34]. Ma thèse ici tient précisément que c’est le « petit déplacement » (ou la brève condensation) introduit par la récapitulation qui fait sentir l’irréductible pluralité des régimes et des langues, qui pourrait sinon demeurer dans une sorte de juxtaposition indifférente, et dont ce motif épique fait ici jouer les tensions, ressortir la tensivité[35]. L’épopée réside alors moins dans un récit unique que dans la mêlée pluri-narrative de plusieurs histoires encore contradictoires et dont on ne sait pas encore comment les contradictions seront résolues[36]
Avec ce travail de l’intrigue on se rapprocherait de l’idée d’Agamben du temps messianique comme d’un temps contracté. Il suffit d’une toute petite contraction, qui fasse sentir la contemporanéité d’évènements apparemment éloignés, pour bouleverser complètement le régime de temporalité — n’est-ce pas exactement la protestation de Kierkegaard contre le processus du temps hégélien ? J’évoque ici Kierkegaard car je trouve qu’on ne lui rend pas assez ce qu’on lui doit, dans toutes ces réflexions sur le messianique comme figure limite ou comme irruption et césure[37]. Même le retard kafkaïen du Messie qui arrive le lendemain du jour attendu[38] doit être pensé comme cette inversion du temps qui fait sentir autrement le passé comme inachevé ou le présent comme reprise — ce qui est advenu vient. Agamben penché sur les constellations rythmiques de la langue de Paul montre comment il introduit quelque chose qui n’existait pas, la rime, la répétition qui fait du poème une machine sotériologique[39]. Ce point me semble certes important par rapport à ce que disait Lyotard de la modernité comme re-commencement, ré-volution, re-naissance, etc[40]. On peut en effet y voir le désir de ne rien devoir, de se re-donner ses conditions ; on peut cependant au contraire y voir le rendre grâce du fait d’être né, la réponse, la réplique au fait d’être né par le fait de commencer à son tour, de faire naître, dans un perpétuel décalage tragi-comique sans lequel la contraction messianique n’aurait rien à rapprocher. Le messianisme détotalisé passe ainsi en négatif, il devient une sorte de figure anti-politique ou anti-religieuse.
Je n’ai pas répondu à la hauteur de ce que j’appelais le scandale du « par un seul », j’ai seulement voulu porter le problème à son point de tension maximum. Il demeure ici cependant une perplexité quant à ce que j’appelais la logique de croissance infinie, de surabondance exponentielle. Pourquoi ce permanent développement, pourquoi cette conception sotériologique de la mémoire, et ce messianisme du détail perdu qui retrouvé ferait retrouver tout le reste ? Je n’ai pas le temps de déplier ici cette idée, mais il me semble qu’il faudrait mettre cette prolifération morbide en rapport avec une mélancolie, avec un ressassement désespéré[41]. Jadis il fallait être sans cesse victorieux pour vérifier la bénédiction divine ; naguère il fallait être fécond et fortuné pour vérifier la grâce divine ; aujourd’hui, c’est comme s’il fallait être sans cesse créatif pour prouver que notre existence a un sens. Mais justement ce ressassement est incrédule, il ne s’agit plus que de « ne pas en finir » (pour reprendre la définition nietzschéenne du nihilisme)[42].
J’ai été très frappé lorsque Taubes écrit curieusement que ce que Carl Schmitt considère comme des réalités, Blumenberg le considère comme des métaphores (p.105). Il remarque chez Adorno également une sorte d’esthétisation du messianique, là où Benjamin parle tranquillement du Messie (p.113). Cette sécularisation du messianisme, cette incrédulité profonde qui demande de plus en plus de signes, cette neutralisation qui ne cherche plus qu’à maintenir l’ordre mais qui en même temps ne croit plus au monde (on retrouve le thème du hos me, du comme si ne pas, et le désœuvrement), témoignent peut-être d’un problème lié au traumatisme de la génération. Pourquoi ce qui réellement répondait pour une génération n’est plus que vaine métaphore incertaine pour la seconde ? Kierkegaard, dans un texte magnifique sur l’ironie socratique, écrivait que :
« l’ironie ne concerne plus tel ou tel phénomène particulier, être-de-fait isolé, mais la vie toute entière est devenue étrangère au sujet ironique qui, à son tour, devient étranger à la vie ; comme la réalité n’a plus de valeur aux yeux de ce dernier, il devient, dans une certaine mesure, irréel lui aussi. (…) Nous remarquons ici une contradiction par où passe le monde en évolution. La réalité donnée à une époque précise vaut pour la génération et pour les individus qui la composent ; or, à moins de dire que le monde a cessé de se développer, il faut qu’une autre réalité supplante la première et la supplante à travers les individus, la génération, et par eux»[43].
Un excès de messianisme, un exigence insoutenable de mobilisation permanente, parce que l’événement ne vient pas combler l’attente, parce que les enfants des saints ne sont pas des saints, retombe ainsi dans une sorte de résignation sceptique, qui s’insensibilise au deuil comme à la naissance, qui n’éprouve plus nostalgie, ni mélancolie véritable, mais qui interdit aussi tout tragique et toute prophétie, toute possibilité d’un conflit entre l’ancien et le nouveau.
C’est peut-être cela que vise Benjamin dans ce passage cité par Taubes, que « Seul le messie lui-même achève la totalité des événements historiques (…) c’est pourquoi le Royaume de Dieu n’est pas le telos de la dynamis historique (…) mais fin (…) Car dans le bonheur tout ce qui est terrestre aspire à son déclin, mais dans le bonheur seul il peut trouver son déclin » (p.107-109). Ce déclin, cette faculté de ne pas s’agripper aux choses qui passent, cette acceptation heureuse de s’effacer pour laisser place à autre chose que soi, est peut être la seule riposte à la mélancolie qui la regarde en face. Il y a de la perte, et même une sorte d’universelle perdition. Le Christ de Paul est celui qui fait place à ce geste d’effrayante docilité, et qui brise le grand récit par sa passion — comme l’observe Kierkegaard, on ne comprend pas sinon pourquoi Jésus aurait été crucifié pour la pratique de banales remarques. Ce serait ici ma seconde ligne de réponse à Lyotard. Tôt ou tard tout s’efface, même les langues et les écritures, qui laissent un jour place à d’autres langues et écritures. Et la question n’est pas seulement de savoir comment relever les promesses non tenues, mais comment délier Dieu de ses serments (Taubes p.52 sq.). C’est la possible déliaison des promesses sans laquelle il n’y a pas de promesse ni d’alliance qui tienne.
Délier la promesse
Nous rejoignons ici le thème de la précarité du lien, et ce sera ici notre conclusion. Rien n’est lié une fois pour toutes, rien n’est garanti. Lyotard sur ce point comme sur beaucoup d’autres a tout a fait raison. Loin de chercher une morale universelle qui donnerait le sens de la fable ou du monde, on devrait alors se pencher sur les incertitudes de l’intrigue. C’est le lieu de ma plus grande réticence au Paul de Badiou, cette morale sans la fable, cette militance sans points d’appui biographiques[44]. Mais s’il n’y a plus d’intrigue, de tension entre des programmes narratifs incompatibles, la fidélité ne comprend plus la trahison, nous sommes dans une conception angélique de la parole et de l’action, d’un coup et d’un seul irrévocables, accomplies et sans remords. La trahison n’est-elle pas une possibilité sans laquelle on ne comprend pas la fidélité ? L’histoire de la fidélité ne comprend-elle pas aussi la trahison ?
À la fin du chapitre I de sa Doctrine et discipline du divorce, Milton compare l’invention du divorce à une douce caresse : « je ne doute pas d’effacer, avec une douce caresse, dix mille larmes de la vie de l’homme » ; cela m’évoque le wa-yehal hébreu dont parle Taubes dans le passage cité ci-desus, qui signifie à la fois prier Dieu, caresser (presque flatter un animal), délier, faire renoncer quelqu’un à son vœu. Car la question est bien là : qu’est ce que promettre si on ne tient jamais ? Mais qu’est ce que promettre si on tient toujours[45]? Que serait une promesse irrévocable, qui décrirait en quelque sorte ce qui fatalement doit arriver ? Il y a certes des promesses non encore tenues, et qui méritent d’être rouvertes. Il y a aussi des promesses qui ne peuvent être rompues et déliées que parce que d’autres résistent à la rupture des alliances. Mais il y a aussi de fausses promesses, des promesses au-delà de ce qu’on peut jamais tenir. Il y a des promesses qui deviennent des menaces lorsqu’elles retombent inaccomplies. Et le problème est parfois d’ouvrir la possibilité de lancer des promesses inédites, à la hauteur de situations historiques inédites.
Car la déliaison certes est déliaison du passé irréparable dans le pardon. Mais plus délicat encore, me semble-t-il, c’est la déliaison de l’irréversible que crée en nous une promesse de bonheur : comment se détacher d’un vœu de bonheur, comment se délier d’une attache heureuse lorsqu’elle n’est plus que nostalgie douloureuse, comment renoncer à une alliance amoureuse, comment consentir à la fugacité du bon ? La promesse est inséparable du pardon en ce sens que la faculté de lier suppose la faculté de délier.
Mais cette précarité du lien n’est justement pas très éloignée du sens de ce que Lyotard appelait la dialectique de l’amour : « Je viens, me voici, viens ». Et ne rejoint elle pas la critique de Nietzsche « Si je t’aime est ce que cela te regarde ? voilà une parole qui suffit à critiquer tout le christianisme ». Mais c’est justement la découverte surprenante de Kant que les joies humaines n’existent qu’à être partagées, et que celui qui tente de les partager, en fonction d’un pacte originaire de communicabilité, doit néanmoins savoir que rien n’est acquis, et que sa joie peut être refusée.
Qu’est-ce qu’un message dont la seule garantie est confiée aux récepteurs ? Paul, sommé de présenter des preuves de sa crédibilité, répond « mes lettres de recommandation, c’est vous » (2 Corinthiens, 3). Qu’est-ce que ce sentiment qui n’existe qu’à être partagé, mais dont la communicativité n’est pas imposable ? Qu’est-ce que ce zigzag perpétuel de l’argumentation, de la proclamation, de la supplication, de l’hymne ? On pense ici au Cantique des Cantiques, non seulement pour l’appel « aime-moi » dont il retentit tout du long, mais pour cette non-coïncidence, ce décalage perpétuel, ce zigzag qui interdit toute conception de l’amour comme baiser hollywoodien. Loin de toute prétention réconciliatrice, voilà qui porte plus loin ensemble nos incertitudes entremêlées.
Olivier Abel
Paru in Pierre Geoltrain, ou comment faire l’histoire des religion,
Paris : Brepols (Bibliothèque de l’EPHE n°128), 2006, p. 325-339..
Notes :
[2] Jacob Taubes, La théologie politique de Paul. Schmitt, Benjamin, Nietzsche & Freud, Paris : Le Seuil, collection « traces écrites », 1999, p.115 sq.
[3] Giorgio Agamben, Le temps qui reste, Paris : Rivages, 2000. Quatrième de couverture.
[4] C’est parfois ce que Lyotard fait lui-même, basculant comme tant d’autres d’une généalogie à une autre. Après avoir écrit les Rudiments païens, il écrit maintenant « la nuit s’est étendue, la lumière gréco-chrétienne elle-même étend sa nuit » Cf. Jean-François Lyotard, Un trait d’union (& E. Gruber, Un trait, ce n’est pas tout), Presses universitaires de Grenoble, collection « trait d’union », 1993, p.89. Ce petit livre, qui comprend aussi une lettre de Lyotard en réponse à Eberhard Gruber, rassemble les deux textes les plus importants pour notre sujet.
[5] Le premier point de vue me semble plutôt celui de Taubes, et le second qui réancre la modernité jusque chez Augustin, est plutôt celui de Lyotard.
[6] Qu’on en juge par ces quelques thèmes pauliniens : Qu’est ce que l’universalité et la mondialisation ? Qu’est ce que la différence des sexes et la chasteté ? Qu’est-ce que la souveraineté ? Qu’est-ce qu’un sujet, et qu’est-ce que la folie? Qu’est ce que le nihilisme qui ne croit plus à la réalité de ce monde ? Qu’est-ce qu’un message dont la seule garantie est confiée aux récepteurs ?
[7] Le passage du régime d’impérialité au régime de nationalité, au sens politique de régime mais aussi de régime d’historicité, de mémoire, d’identité collective, etc., correspond à des formes de conflits différentes. Et les compromis politiques fondateurs ont également pris des formes différentes, avec des formes de l’accord différentes. Or le passage aujourd’hui de l’État-nation à ce qui est en train de préparer, est lié à l’âge de la mondialisation des échanges, mais aussi à l’âge où face à cette mondialisation les communautés et les personnes se replient sur ce qu’elles ont d’inéchangeable.
[8] C’était une conférence donnée à Munich en juillet 1987, et le texte est au cœur du recueil L’inhumain, Paris : Galilée, 1988.
[9] C’était, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution Française, en septembre 1989, un colloque des facultés de théologie protestante des pays latins d’Europe sur ce thème.
[10] Pierre Geoltrain a fait lui aussi ce soir là un magnifique exposé sur le paradoxe de l’émancipation des sciences religieuses par rapport aux mémoires et convictions religieuses, qui finit par vider le contenu autour duquel elles tournent, au point de n’avoir plus que le geste conservatoire d’une forme extérieure.
[11] Ce texte est repris avec quelques retraits et ajouts dans le petit livre cité plus haut intitulé Le trait d’union. Il a aussi été repris dans une version plus proche de l’original, dans un ouvrage collectif Lyotard, les déplacements philosophiques, Bruxelles : De Boeck, 1993.
[12] J’avais bien quelques éléments sur la question du mélange des langues et des régimes langagiers chez Paul (le théologien des mariages mixtes !), sur la manière dont l’amour est ce mélangeur qui délie pour lier autrement et engendrer d’autres différences — je les avais redisposés pour un dialogue avec lui à l’Evangelische Akademie Loccum (près de Hanovre) en mai 1995, mais il n’avait pu venir. Par contre Eberhard Gruber cette année là déploie en réponse au « trait d’union » une longue réflexion sur le différend que le trait d’union selon lui ne vient jamais effacer mais exposer.
[13] Alain Badiou, Saint Paul, la fondation de l’universalisme, Paris, PUF collection « Collège International de Philosophie », 1997.
[14] Giorgio Agamben, Le temps qui reste, Paris, Rivages, 2000 (traduit de l’italien par Judith Revel).
[15] Lyotard devait mourir peu de temps après ce courrier, et je regrette cette conversation brisée, décalée.
[16] Taubes, p. 22. Mais les chrétiens aussi préfèrent souvent Jésus, facile et lumineux, à Paul, compliqué et obscur!
[17] Ibid.p. 25. Sa conversion est moins trahison ou remplacement que confirmation : il ne cherche pas tant à faire table rase qu’à délivrer une signification émancipatrice du don de la loi. Taubes rappelle aussi que les juifs, religio licite dans l’Empire, ont jetés ceux d’entre eux qui pour eux n’étaient plus des « juifs » (judéo-chrétiens, chrétiens convaincus que le christianisme était un judaïsme), dans l’illégalité (les adversaires de Paul n’étaient pas tous « des rigolos » Taubes p.43).
[18] Qu’est-ce par exemple que la stérilité, s’oppose-t-elle à la surabondante fécondité ? C’est par une logique d’antinomie voisine que l’on pourrait penser le par un seul en contrepoint de la pluralité des langues et des nations, ou le désœuvrement de la grâce en contrepoint de la diversité militante et virtuose des charismes, des manières de rendre grâce, de contre-donner.
[19] Taubes p.64, et il parle plus loin de drame de la jalousie (79-80) en se référant au texte de l’épître : « Dieu ne veut pas répudier son peuple mais exciter sa jalousie » (Ro. 11 11-32). Je dirais que l’élection peut comprendre à la rigueur la souffrance du frère ou du rival évincé, alors que l’élection se situe pourtant dans la logique de la surabondance, du « en plus », mais justement ce qui est curieux dans cette logique est qu’elle a du mal à comprendre que le frère puisse aussi être par ailleurs et tout autrement non moins élu. Shmuel Trigano dans son remarquable livre sur L’e(xc)lu (Paris : Denoël, 2003) ouvre également ce débat.
[20] Frédéric Nietzsche, Le gai savoir, § 141. Sans le nommer, il cite ici Emerson, dans son petit essai sur l’amour, dans La confiance en soi, Paris : Rivages-Poche, 2000, p.148.
[21] De quoi faudrait-il être sauvé, de quoi sommes nous accusés, de quoi sommes-nous graciés ? Kafka met en scène un labyrinthe dont Taubes dit qu’il est aussi bien le labyrinthe de la loi côté juif que le labyrinthe de la grâce côté chrétien.
[22] Un trait d’union, p.8 Il ajoute : « cette fable a cette vertu très émancipée qu’elle ne prescrit rien à celui qui l’entend, et n’a donc pas besoin d’être crue » (p.9).
[23] Parue dans le même dossier d’Autres Temps n°25 que « la Mainmise », sous le titre « Kant et l’émancipation ».
[24] Je tâchai, de manière à vrai dire assez ricoeurienne, de détacher l’idée de récapitulation d’une problématique de style hégélien pour la relire en régime kantien justement d’une pluralité irréductible de régimes, sous l’horizon eschatologique c’est à dire inaccessible d’une impossible synthèse.
[25] Je suis à vrai dire de moins en moins sensible à l’intimidation par la rhétorique du manque (comme celle de l’altérité et d’autres notions à la mode), qui fait immédiatement taire toute contestation, et dont on ne sait pas si c’est une notion esthétique, éthique ou religieuse —et peut-être une notion qui sert à récupérer la mise sur tous les registres.
[26] Dans sa discussion de Nietzsche, Taubes oppose au contraire une figure dostoïevskienne de Jésus comme grand enfant, qui rejoint peut-être la lecture shopenhaurienne de l’enfant comme en marge des luttes du vouloir-vivre.
[27] Où nous retrouvons ce thème commun et central de la dispute.
[28] Parlant des Rudiments païens, il m’avait dit une fois « vous savez, j’étais tellement triste ».
[29] C’est dans ces parages là que Lyotard évoque à son tour la jalousie : Saul « fait jouer la dureté jalouse du mauvais héritier par la chair pour l’amener à résipiscence » p.37. On voit ici l’inversion radicale que propose Badiou, puisque chez lui la fidélité à l’événement s’autorise de ce qu’elle déclare, et que le sujet est constitué par le seul fait d’accueillir dans la langue un événement qui n’y était pas — même si cette déclaration semble une folie.
[30] Lyotard ici s’étonne que Freud, dans L’homme Moïse, s’étonne que les juifs ne parviennent pas à tirer ce trait (p.27).
[31] Il est tout à fait remarquable que ce soit justement les principaux thèmes « théologiques » développés par le rabbin Irving Greenberg, dans La nuée et le feu, Paris : Cerf, 2000 (contre la barbarie issue de l’émancipation p.43, contre le vertige de vouloir tout choisir p.115, ou contre la supériorité de l’esprit sur la chair p.116).
[32] Pour Carl Schmitt, on le sait, le souverain décide de la situation exceptionnelle, et dans son commentaire de Paul, Badiou encore s’émerveille de « la sévérité exceptionnelle des lois mathématiques ».
[33] Paru en 1960 dans la revue du Christianisme Social (ancien nom de la revue Autres Temps où parut la mainmise »), et repris dans Histoire et Vérité, Paris : Seuil, 1964.
[34] Voir « la liberté selon l’espérance », dans Ricoeur, Le conflit des interprétations, Paris : Seuil, 1969. A la fin du premier texte de cet ouvrage, Ricoeur dit du sujet parlant et réfléchissant que comme Moïse il meurt avant d’avoir atteint la terre promise. Et la communauté messianique est alors celle un peuple en marche qui s’ignore, porté qu’il est par une pluralité de récits dont on ne sait pas s’ils sont coordonnables.
[35] C’est le sens des travaux de Ricoeur sur la métaphore vive, que de montrer comment la prédication impertinente, rapprochant des aires sémantiques éloignées, refait une tension : le prédicat ne cède au sujet qu’en protestant (La métaphore vive, Paris : Seuil, 1975, p.249).
[36] C’est d’ailleurs la remarque centrale de mon texte paru conjointement à celui de Lyotard, dans Autres Temps n°25, et portant sur « Kant et l’émancipation de l’humanité », où je vais chercher dans les petits textes de philosophie de l’histoire de Kant une structure d’accueil pour cette façon d’interpréter le régime épique.
[37] Il commente la chrétienté à peu près en ces termes : « Moi je ne peux pas être chrétien ; mais mes enfants le seront ! Et cela dure depuis deux mille ans… ».
[38] Un peu comme il y a un temps chez Lévinas qui est constitué par le retard, et « on est toujours avec ses bagages ».
[39] Giorgio Agamben, Le temps qui reste, Paris, Rivages, 2000, p.133-134.
[40] Jean-François Lyotard, « réécrire la modernité », L’inhumain, op. cit. p.35.
[41] N’y a-t-il pas quelque chose de désespéré dans la forme touristique qu’a pris l’universalité ? « Nous pouvons très bien nous représenter un temps qui est proche où n’importe quel humain moyennement fortuné pourra se dépayser indéfiniment et goûter sa propre mort sous les espèces d’un interminable voyage sans but (…) ce serait le scepticisme planétaire, le nihilisme absolu dans le triomphe du bien-être. Il faut avouer que ce péril est au moins égal et peut-être plus probable que celui de la destruction atomique » (Civilisation universelle et cultures nationales, in Esprit Oct 1961, repris dans Histoire et Vérité, Paris: Seuil, 1964, p.281-282). Mais Paul est-il vraiment l’inspirateur de cette mondialisation là ?
[42] Dans le même temps, Taubes a raison, il y a dans la véhémence de Nietzsche contre Paul quelque chose comme un dépit : aussi bien voilà quelqu’un qui cherche délibérément à fonder un nouveau peuple, à lui donner une table de valeur ou de transvaluation de toutes les valeurs (p.118) !
[43] S.Kierkegaard, Le concept d’ironie, éditions de l’Orante., p.234–239.
[44] On le voit bien dans le traitement qu’il donne du scénario de Pasolini (p.39), qui justement fait tellement place à la fable, à l’intrigue.
[45] Dans un passage célèbre de Quand dire c’est faire, Austin cite Euripide « ma langue prêta serment mais non mon cœur », pour refuser que l’intérêt de cette parole d’Hippolyte soit sa profondeur éthique, car « notre parole c’est notre engagement ». Cela veut bien dire que la promesse ne décrit pas une réalité intérieure et antérieure. Mais la sincérité que nous cherchons ici réside dans le fait justement que la personne soit engagée par ce qu’elle dit, dans ce qu’elle dit. Qu’elle en porte le trouble et l’émotion, sans quoi ses actes et ses paroles n’emportent aucune confiance, aucune crédibilité.