Le succès un peu inquiétant[1] de la bioéthique tient sans doute à la singularité de ce qui s’y noue. Où vont les sciences, en effet, quand elles retournent leur regard, leur main et leur langage vers le corps humain? Peuvent–elles l’instrumenter comme n’importe quel objet, ou doivent–elle s’incliner en face d’un sujet tabou? N’en reçoivent–elles pas à leur insu une signification inédite? Le déploiement proprement prodigieux des nouveaux savoirs biologiques, dès lors qu’il se produit sur la scène publique, déborde en effet plus que jamais son statut simplement scientifique et prend dans l’imaginaire social une valeur à la fois mythologique et normative[2].
Pour le sujet, la représentation de son corps, fut–elle strictement biologique, est toujours déjà une image de soi: identité, ressemblance généalogique, figure et norme culturelle, etc. La biologie, consciemment ou pas, est donc devenue une fabrique d’images du corps qui sont aussi des images de la reproduction subjective et sociale, des figures de l’identification et de l’institution. En ce sens, la bioéthique ne surgit pas seulement pour contrebalancer et éclairer de l’extérieur les pouvoirs techniques de la biologie: elle surgit pour tenter d’assumer de l’intérieur un pouvoir moral et religieux inédit.
Entre une instrumentalisation du corps elle–même d’ailleurs inscrite dans une tradition culturelle et religieuse ancienne en Occident, et une sacralisation du corps où traditionalisme et hédonisme se rejoignent paradoxalement, le propos de cette étude serait d’abord d’esquisser les grands traits d’une représentation occidentale du corps. A travers les figures d’un dualisme immémorial et celles d’un souci thérapeutique plus ou moins globalisant, c’est du noyau mythique de nos biotechnologies, de notre procréatique et de nos neurosciences, qu’il s’agira: le rêve d’une libération du corps, dans toute l’ambivalence de l’expression.
On voudrait ensuite discerner deux ou trois lignes de résistance qui permettent de tenir tête à ce que ce rêve, porté par le bio–pouvoir dont nous parlions, a d’effrayant. L’indisponibilité irréductible du corps humain pour tout commerce, l’institution sociale d’une filiation irréductible au « patrimoine » génétique, l’indéfinition de principe d’un sujet humain irréductible aux images qu’il se fait de lui–même: ce sont là quelques–unes des ressources où l’éthique puise de quoi ne pas être entièrement manipulable, de quoi motiver une manière de juger et d’agir qui ne se borne pas à entériner la situation.
Le rêve d’une libération du corps
Les nouveaux pouvoirs apparus en biologie sont dans le même temps vecteurs de convoitises euphoriques et objets de peurs quasi– superstitieuses, qui figurent bien l’imaginaire occidental dans lequel ils apparaissent, et la manière dont ces techniques entrent en résonnance avec l’évolution des moeurs. Or cet imaginaire et ces moeurs véhiculent à la fois une objectivation, une instrumentalisation, une « disciplinarisation » du corps à un niveau inédit, et un hédonisme, une sorte de souci thérapeutique de soi que rien ne semble pouvoir gêner. Ici et là on trouve le même motif: la liberté de disposer de son propre corps, qui exige ce travail et cette discipline, laquelle en retour permet de consommer ce plaisir, entendu d’abord comme cette liberté.
C’est ce complexe qui doit d’abord retenir notre attention. Les travaux de M.Foucault nous ont rendu attentifs au fait que les progrès du savoir bio–médical ont été des progrès dans la discipline du corps, et du contrôle des individus par leurs corps[3]. On peut esquisser une histoire de cette représentation instrumentale du corps parcellisé. C’est l’histoire du savoir moderne en général, où le corps est d’abord un objet vu, une forme descriptive et géométrisable, puis une machine, un assemblage d’organes c’est à dire de fonctions isolables, enfin un langage, un code, l’exécution d’un programme génétique[4]. Mais chacune de ces configurations laisse un résidu (ou engendre un supplément) subjectif, qui demande une chair pour cette forme, une globalité pour ces parties, un sens pour ce code.
La peur pour soi d’être aplati, examiné, manipulé, disloqué, formulé ou programmé sans avoir son mot à dire, conduit alors les patients à se retourner vers des médecines alternatives, globalisantes, qui consolent, reforment un corps symbolique, et rendent sens à la souffrance et au plaisir[5]. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les nouveaux pouvoirs bio–médicaux, que certains ont nommés « une médecine du désir », et où le mot thérapeutique déborde largement de sa signification stricte, pour devenir la figure actuelle d’un mythe immémorial: celui de la délivrance du corps, celui d’une humanité enfin maîtresse de sa propre génétique et de son intelligence même, et refabriquant un corps artificiel, libre, capable de s’arracher aux limites de notre planète abandonnée au désastre.
Cette interprétation des progrès de la procréatique et des neurosciences, notamment, mais aussi des prothèses communicationnelles et des instruments d’autodiagnostic, est proposée par J.F.Lyotard[6] comme la vision terrifiante d’un réseau d’intelligence articielle devenu « inhumain » et s’émancipant de notre condition corporelle. Or cette fiction d’un « cybercorps » a envahi l’imaginaire contemporain (B.D., jeux vidéos, etc.) et se trouve par exemple au centre de la culture « cyberpunk », comme le montre E. Soulier:
« La perspective principale réside dans la (re)construction d’un nouvel environnement –le cyberspace– et d’un nouvel homme. L’australien Spalec, adepte d’une symbiose parfaite entre l’humain et la technologie, illustre cette nouvelle perspective. A partir d’une relecture de Nietszche sur le Surhomme, il prône l’extension des capacités du corps, de l’esprit et de l’environnement par la technologie, sur fond du thème du design du corps humain (…) Comme il le dit, (…) ‘Aujourd’hui notre espace ne se limite plus à notre biosphère, nous nous dirigeons vers un espace extraterrestre, (…) la technologie nous colle à la peau, elle est en train de devenir une composante de notre corps’. (…) Roy Ascott est un autre défenseur de la cyberculture (…) ‘Nous voulons, dit–il, que l’ensemble des systèmes d’interface soient logés à l’intérieur de notre cerveau. Nous voulons que les limites entre le naturel et l’artificiel deviennent superflues (…) Ce dont il s’agit, c’est du corps post– biologique comme interface' »[7].
Pourquoi ce mythe ultra–moderne est–il immémorial? En un mot c’est toute la généalogie du dualisme qui est ici convoquée. Non que le dualisme soit exclusivement occidental: il y a d’importantes filières orientales d’un dualisme qui renait de tout contexte, ne serait–ce déjà que parce que le sujet doit se représenter dans un corps temporel et mortel, c’est à dire dans la séparation d’avec une identité première et permanente. Non même que le dualisme soit une mythologie ou un discours unique: la dualité idée–matière chez Platon a pour but de sauvegarder le multiple, de ne pas l’effacer dans l’Etre–Un ; dans les gnoses néo–platonicennes ou manichéennes, le dualisme esprit–corps a pour but de ne pas compromettre l’Un– Dieu dans l’origine du mal ; chez Descartes, la séparation esprit– matière a pour but de désacraliser notre monde pour en faire un espace mesurable, et fonder l’emprise scientifique. Répondant à des questions différentes, ces significations différentes et même contradictoires du dualisme ne sauraient être confondues. Mais elles se surimpriment dans l’imaginaire occidental, pour façonner l’image d’un corps–prison, ou du moins d’un corps à dominer et dont il faudrait s’émanciper[8].
C’est en ce sens que l’instrumentalisation bio–médicale du corps s’inscrit dans une tradition culturelle et religieuse ancienne en Occident. Le monde romain fut marqué par une doctrine opposée à la gnose, le stoïcisme, mais qui déprécie tout autant le corps et le réduit à un « déjà–cadavre », hors duquel s’exile une conscience le plus anesthésiée possible. C’est encore ce genre d’idées que l’on retrouve au début de l’âge classique français, avec le néo–stoïcisme de la fin de la Renaissance (Charron, du Vair, Montaigne), avec un certain calvinisme qui met en avant le sujet conscient, adulte et consentant, contractant, ou avec une conscience cartésienne insensible, l’acte pur d’un « cogito ». Tout cela institue un rapport au corps que l’on pourrait qualifier d’abstentionniste, le plus indifférent possible, étranger à la convoitise comme à la superstition, pour prendre le langage de Calvin[9].
Mais cette mise en scène lapidaire doit encore être compliquée. Car la tradition occidentale ne saurait se résumer à l’instrumentalisation du corps: elle comporte aussi sa formidable exaltation. A la suite de quelques autres, M.de Certeau a montré le rôle ambigü du christianisme, à la fois héritier des traditions dualistes, gnostiques ou stoïciennes, vecteur de dépréciation du corps et d’idéal ascétique, mais aussi porteur d’une tradition cynique (Diogène!) et hébraïque[10] de valorisation du corps, puis d’une théologie de l' »incarnation » qui fait du corps l’icône de Dieu, son véritable temple[11].
Ainsi, loin du présupposé que les dieux ne souffrent pas, puisqu’ils ne seraient pas incarcérés dans un corps de mort, le christianisme primitif fait du corps le lieu même de l’agonie et de la crucifixion de son Dieu, et le lieu même de la résurrection: pour Paul, celle–ci est resurrection de la chair, et non échappée de l’âme, et c’est ainsi qu’il comprend la parole de Jésus selon Matthieu « tous les cheveux de vos têtes sont comptés »(Mt.10.30). Il y a donc dans cette tradition une passion pour l’énigme du corps, et une véritable mystique de la singularité des corps, qui traverse toute l’histoire de l’art occidental. On peut même se demander si la traque du corps, sous toutes ses figures possibles, par l’image, la photo, la pub, n’est pas encore une quête théologique, extasiée ou désespérée, conduite par la question: quelle est la forme de l’image de Dieu, si les humains sont « faits à son image », et que cela reste une énigme, une image impossible ou interdite?
C’est pourquoi la sacralisation traditionnelle du corps[12], sensible dans nos mentalités à la réticence profonde au don d’organes, n’est paradoxalement pas très éloignée de l’hédonisme[13] contemporain, surtout si l’on remarque que ce dernier comporte une profonde orientation thérapeutique, sécularisation probable et déjà antique[14] d’une obsession séculaire du Salut. Il s’agit avant tout de sauver nos corps. Car le corps est le vaisseau du salut, dans son intégrité c’est à dire dans sa capacité à réintégrer un corps symbolique, mystique ou cosmique plus vaste, mais aussi dans sa forme, bien–être et performances, dans ses savoirs et ses compétences inconscientes et transcendantales, et que la compétence savante ne connaît pas.
C’est ce corps de rêve, objet et sujet d’une thérapeutique globale, qui seul nous sauvera de la misère du monde, et que les nouveaux pouvoirs bio–médicaux exaltent, cultivent et façonnent à l’envie. Et si la bioéthique, autour des questions de la naissance, de la sexualité et de la mort, a pris la place à peu près entière de l’éthique, c’est qu’elle est la moins éloignée des obligations hygiéniques qui font la seule morale des nouveaux corps et leur bonheur tout médical: ce sont les avatars de la même conception d’un Salut très privé. Le développement des laboratoires pharmaceutiques, des médecines et gymnastiques « douces » ou alternatives, et des sectes néo–gnostiques, relève en ce sens du même phénomène.
Le rythme profond de l’imaginaire occidental quant au corps est ainsi marqué par cette polarité entre l’instrumentalisation et l’adoration. A travers les figures d’un dualisme immémorial et celles d’un souci thérapeutique plus ou moins globalisant, on éprouve une opposition si constante entre le « mécanisme » et le « vitalisme »[15], une association si étroite, qu’on suppose soudain une complicité. Comme si la connaissance scientifique du corps trouvait son contrepoint et son accomplissement dans ce que le corps sait à notre insu. Le désenchantement du monde et la sacralisation du Corps ou de la Vie semblent appartenir à la même problématique, comme le désir d’être libéré du corps et de son poids mortel, et celui de libérer le corps de ses entraves et de ses limites. Et dans cette polarité entre la transgression technique et l’ordre naturel[16], entre la convoitise euphorique du nouveau pouvoir et la superstition panique qu’il suscite, nous déchiffrons un désir d’immortalité, le désir d’accéder à ou de demeurer dans une réalité d’où notre finitude tragique aurait été bannie.
Trois résistances éthiques
C’est sur ce fond imaginaire que les questions éthiques prennent tout leur relief. Par exemple la bioéthique surgit dans un contexte où le génétique et le cérébral sont devenus les supports « biologiques » de l’identification du sujet humain. L’hérédité notamment y devient un héritage inaliénable, le noyau de l’identité, et on tremble à l’idée de ce qu’un nouvel Hitler pourrait faire du génie génétique, alors que les bio–pouvoirs sont peut–être d’autant plus indiscutés et menaçants qu’ils s’avancent sous les auspices des droits imprescriptibles de l’Individu ou d’une sacralisation de la Vie. Ou bien on s’effraye des progrès de la neurochimie[17], qui supprimeront peut–être bientôt la neurasthénie et bien des troubles psychiques, alors que chaque mois on consomme en France des millions de boîtes de somnifères et autant d’excitants, et que cette automédication « douce », où la médecine est devenue la servante de nos désirs, est le plus grand danger, comme si notre bonheur était une affaire thérapeutique, et comme si les dépenses de santé pouvaient augmenter à l’infini.
Sur tous ces exemples on perçoit que le problème réside moins dans chacune de ces techniques intrinsèquement, que dans leur usage. Et leur usage, c’est finalement la manière dont elles entrent en résonnance avec l’évolution des moeurs: si nous craignons tellement que l’identité individuelle disparaisse dans les manipulations génétiques, c’est que nous sommes plongés dans une crise de la famille et de l’identité à laquelle des lois bioéthiques ne sauraient répondre; si nous craignons tellement que l’euthanasie se répande, c’est que nous sommes dans une société qui refuse d’accueillir la mort, et qui veut encore la maîtriser; si nous craignons le totalitarisme d’une société où une armée de clones serait au service de la Cité des Maîtres, c’est que nous sommes déjà dans une société où le trafic illégal d’organes s’est répandu dans la planète entière. Ce sont ces questions proprement éthique que nous allons maintenant considérer.
Pour traiter sobrement les questions éthiques véritables qui se posent, il faudrait donc dégonfler les rêves de ceux qui voient déjà l’humanité et refabriquant un corps artificiel et libre, transgressant les limites de notre planète dévastée. L’inquiétant, c’est surtout que la croyance naïve à ces vertigineux possibles abrite et favorise de très substantielles cupidités. Mais du même mouvement il faudrait dégonfler la peur engendrée par ces possibles chez tous ceux pour qui ces rêves sont un cauchemar. La société du clonage généralisé, comme celle des bébés–éprouvette généralisés, n’est pas pour demain. L’inquiétant ici, comme on l’a vu, c’est que l’on attise des craintes superstitieuses qui font souvent écran aux vrais problèmes. Comment briser l’alternative mirobolante entre une convoitise qui se moque des limites et une superstition qui panique pour tout et pour rien? C’est tout le problème.
Ce qui l’aggrave, c’est qu’il y a une légitimité de l’espoir suscité: la malédiction de la stérilité est brisée, les plus lourds handicaps génétiques peuvent être prédits et prévenus, et l’on pallie de mieux en mieux aux « maladies mentales ». Qui voudrait sacrifier ces promesses au motif que la nature sait mieux ce qu’il nous faut, ferait bon marché de ces diverses souffrances. On doit ainsi résolument autoriser un usage sobre de ces techniques, tout en développant la capacité à s’en abstenir dès qu’il y a une incertitude quant à leur effet (on pense particulièrement aux effets pour les générations futures) ou un soupçon quant à leur motif (on pense ici particulièrement aux gigantesques profits financiers qu’elles peuvent générer).
Car il y a aussi une légitimité de la peur: le sentiment s’est répandu que notre intelligence morale n’est pas à la hauteur de notre intelligence technique, et que chaque solution apportée à un problème en soulève d’autres que nous n’avions pas su prévoir. La procréatique et la génétique touchent par exemple à la capacité de symboliser la filiation. P.Legendre écrit que:
« l’effondrement du capital symbolique équivaut, dans la vie et la reproduction de l’animal parlant, à l’effondrement de la barrière immunitaire. La désinstitution du sujet, par désintégration du système des images, c’est cela: l’équivalent d’une mise à mort »[18].
C’est pourquoi je proposerai maintenant, à titre exploratoire et beaucoup plus personnel, trois principes de résistance à cette convoitise comme à cette panique.
Le premier principe de discernement que l’on peut proposer porte sur l’indisponibilité ou la non–patrimonialité du corps humain. La même idée peut s’exprimer et s’argumenter diversement. On peut dire que le corps humain, n’étant pas à l’image de quelque monnaie ou de quelque César, mais à celle de Dieu, n’appartient qu’à Dieu. Il est en ce sens radicalement indisponible pour nos échanges. On peut aussi dire que le corps humain, en tant qu’origine de toute autre appropriation, est une propriété inexpugnable et inaliénable du sujet[19]. L’intention éthique est la même, et porte sur des domaines très divers. Il s’agit de protéger de la logique du marché les dons de sperme, d’ovocytes, ou d’embryons, mais aussi les produits synthétisés par la recherche à partir de ces derniers, et la location d’utérus, à cause des drames affectifs possibles et du trafic dont des femmes pauvres auraient pu être victimes. Les produits renouvelables du corps humain ne peuvent faire l’objet de profits, même avec l’accord du donneur (et il en est de même pour les protéines produites par recombinaison génétique). C’est a fortiori le cas pour les organes non– renouvelables.
Tout cela constitue un des horizons éthiques les plus aigüs, face auquel le débat sur la fivete homologue ou hétérologue est un peu semblable à celui sur le sexe des anges. Cette non– disponibilité de principe est moralement importante dans un temps où nous croyons trop pouvoir entièrement disposer de nous–mêmes, et surtout dans un temps où cette maîtrise est doublée par la servitude de tous ceux qui n’ont d’autres moyens de survivre que de se mettre au service des plus riches. C’est une clause radicale de respect de la dignité humaine, quand se développe un trafic mondial des produits et organes du corps, avec son cortège d’atrocités, de tromperies et de violences. Sur l’ensemble de ces questions il faut raisonner en pensant aux conséquences possibles sur les populations les plus désavantagées, et c’est en fonction de ceux qui en souffriront le plus que nous devons décider des avantages de ceux qui en bénéficieront. Le droit international doit donc être rapidement précisé sur l’ensemble de ces points, surtout si les abandons de souveraineté nationale se traduisent par de simples dérèglementations, sans lieu d’élaboration d’une véritable politique.
Le second principe est que tout ce qui peut toucher à la procréation (insémination et fécondation in vitro) à la responsabilité juridique ou à l’identité des enfants à naître, à l’usage de diagnostics pouvant conduire à l’IVG, à la manière de traiter les embryons « surnuméraires », etc., tout cela doit s’inscrire dans un projet parental, affectif, et ne pas être séparé en performances techniques isolées non plus qu’en « réalités naturelles » ayant un sens en soi[20]. Interdire par exemple le « déni de paternité » pour un conjoint qui, après avoir donné solennellement son accord, ne reconnaîtrait pas un enfant né avec le sperme d’un tiers, est une clause essentielle si nous voulons résister à l’excessive biologisation de l’identité et de la filiation.
L’évolution des moeurs doit ici être prise à contre–courant: dans une société ultra–mobile, où les vieilles structures de parenté ont été atomisées par la multiplication des « familles monoparentales » ou diversement décomposées et recomposées, la filiation génétique est devenue une sécurité identitaire. Et tout converge vers cette évolution: ceux–là mêmes qui dénoncent toute identité nationale ou ethnique établie ne rêvent encore que d’un melting–pot « biologique »; et ceux qui rêvent d’une soi–disant loi ou morale « naturelle » prônant la famille traditionnelle le font en biologisant cette famille, en excluant insémination et fécondation in vitro hétérologues. Bref tout renforce cette « biologisation », cette sacralisation de la Vie entendue comme une réalité à la fois biologique et divine, sans perte ni rupture.
Or être parents c’est accepter que toute naissance est aussi une adoption: l’enfant n’est pas que celui qui prolonge mon identité ou notre identité de couple ; c’est aussi un être autre, un étranger à accueillir ; rien ne remplace alors la simple affection familiale. Et l’enfant s’identifie en se racontant son histoire, qui n’est pas sa carte d’identité génétique: aucune hérédité biologique ne saurait suppléer à la parole affective, à la narration familiale par laquelle il est accueilli, à laquelle il est invité, et qu’aucun artifice technique ne saurait briser. La vérité due aux enfants sur leur origine n’est pas seulement génétique: c’est une parole qui met à leur disposition une généalogie qu’ils recomposeront au fil de leur histoire vécue[21].
Le troisième principe, c’est que la définition de l’humain (ce qu’il est ou ce qu’il devrait être) doit rester ouverte et discutable. Ce troisième principe prend un relief particulier dans plusieurs domaines, et d’abord en ce qui concerne l’eugénisme. Mais remarquons d’abord que la prétention à savoir ce qui définit l’humanité, a fortiori son identité bonne ou idéale, est le propre des sociétés totalitaires, et le caractère même du totalitarisme. On peut penser au nazisme, avec sa systématisation de l’eugénisme non pas seulement comme technique de gestion des populations, mais comme forme de légitimité sociale et politique. Le paradoxe grotesque de l’eugénisme est d’abord de proposer une définition de l’humain, de la santé, ou de la dignité, qui exclut de la commune humanité une partie de celle–ci, niée ou « sacrifiée » au nom de l’autre partie. Or ce genre d’argumentation est beaucoup plus fréquemment utilisé qu’on ne le croit, chaque fois que l’on cherche à donner une définition de l’humain, de la santé, ou de la dignité.
Le paradoxe absurde de l’eugénisme est ensuite de proposer éventuellement une sélection en vue d’une humanité meilleure ou plus excellente, alors que cette sélection sera opérée par des humains eux–mêmes moins bons, bornés, faillibles: comment pourraient–ils savoir ce qui est mieux qu’eux–mêmes[22]? Ne proposeront–ils pas une sélection erronée, à partir de ce qu’ils croient bons ou de ce qu’ils trouvent mauvais, bref à partir de leurs propres représentations? C’est pourquoi l’eugénisme est non seulement dangereux mais ridicule et absurde. Mais il ne faut pas penser uniquement à l’eugénisme fasciste, en l’occurence: il y a dans la manière catholique romaine de parler de « morale naturelle » ou de « loi naturelle » quelque chose comme le glissement d’une représentation très humaine et très historique dans les habits d’un idéal naturel atemporalisé, et pourtant très discutable. Et il y a également dans nos démocraties une tendance lourde à prendre notre conception de l’humanité comme la meilleure possible. C’est donc dans nos mentalités entières qu’il faut critiquer l’eugénisme, et pas seulement sous ses formes extrêmes.
Mais on retrouve cette question de la définition de l’humain à propos du statut de l’embryon, dès lors que l’on prétend savoir ou déterminer ce qui définit l’accès à l’humanité. Il s’agit certainement dès la conception d’un être vivant et humain à respecter par principe, mais aussi bien peut–on dire que jusqu’à la naissance ce n’est pas du tout une personne. Le débat que nous voudrions ainsi maintenir ouvert n’est pas un seulement un débat métaphysique sur ce qu’est l’humain, mais le dialogue intime par lequel doit se peser, à chaque fois que le problème de la décision se pose[23], la responsabilité de chacun. On ne peut pas séparer l’être de l’embryon de notre manière de le traiter, de le considérer, de le rêver aussi, de préparer sa venue, de lui faire place. Et comme le vivant le montre sans cesse, toutes les vies ne sont pas « compossibles », compatibles, toutes les promesses de vie ne seront pas tenues, et nous nous inscrivons sans cesse dans cette condition tragique nous le voulions ou non.
On argumente parfois cette difficulté à définir le statut de l’embryon en montrant la difficulté qu’il y a à distinguer l’oeuf, l’embryon et le foetus dans un processus continu où la vie s’individualise depuis la fécondation jusqu’à la mort. C’est vrai, mais la vie se gaspille elle–même sans cesse. Et puis la naissance, que toutes ces techniques ont tendance à effacer, doit rester une discontinuité radicale. Avec l’imagerie médicale notamment, les parents ont très tôt une image de leur enfant qui leur donne un sexe et donc un prénom ; mais l’impossibilité d’avoir une image, jusqu’à la naissance, d’un être qui était pourtant si proche déjà, si connu et cependant si inconnu, jouait un peu comme l’interdiction de se faire une image de Dieu dans les religions monothéistes: c’était comme une réserve qui interdisait d’identifier trop tôt cet être, qui donnait aux parents le temps de réaliser qu’ils ne « savent » pas complètement qui est cet enfant, qu’il n’est pas que la réalisation de leur projet mais quelque chose d’autre. C’est cette réserve et cette discontinuité que, d’une manière ou d’une autre, il nous faut retrouver.
Le corps comme métaphore du sujet
En guise de conclusion, quittant le ton de l’affirmation éthique mais en maintenant le fil conducteur d’une réflexion sur l’image du corps, nous allons reprendre à nouveau frais le dilemme exposé en première partie, pour voir comment en sortir. Comment ne pas réduire le sujet à une conscience trop extérieure à son corps instrumentalisé, et comment ne pas le réduire à un corps considéré comme biologiquement sacré et immuable?
La conscience éclairée, consentante, parlante et décidée, ne saurait supporter à elle seule toute la responsabilité du sujet éthique. C’est ce que l’on pourrait reprocher à l’anthropologie protestante et plus généralement « moderne », comme une trainée de dualisme (cartésien) entre le corps et la conscience, le génétique et le relationnel, le « bios » et le « logos ». Or c’est une question que l’on rencontre à tout bout de champ dans le domaine bio–médical que celle du consentement responsable et le plus éclairé possible du sujet ou du patient. Car il y va de la dignité et de l’intégrité de la personne. Mais il ne faudrait pas l’isoler d’autres droits et devoirs, et surtout il ne faudrait pas oublier que dans les contextes où il doit s’appliquer on a parfois affaire à l' »irresponsabilité » du sujet: tantôt c’est un patient qui ne saurait intégrer tous les paramètres d’un choix complexe, ou une situation dans laquelle on n’a pas le temps de les exposer, ou « ce n’est pas le moment », tantôt c’est un embryon, un enfant, ou un mourant, et il faut faire appel à la supposition d’un consentement ultérieur ou antérieur, et garanti alors par la famille ou les proches, etc. Et puis le fond du problème, avec l’augmentation des sciences, n’est–il pas aussi l’augmentation concommitante de la conscience, de l’angoisse d’avoir à tout choisir? C’est à ces situations–limites d' »irresponsabilité « que le médecin ou l’entourage a affaire. Or la parole qui peut alors éclairer le consentement est aussi une parole qui respecte cette ignorance irréductible qui est celle du savoir même: car devant la mort, comme devant certaines souffrances, il n’y a pas de savoir qui tienne.
En outre le consentement ne peut–il être manipulé au nom même des « droits imprescriptibles de l’individu », de l’être humain individuel considéré comme le sujet de droit universel. Certes l’ancrage de la bio–éthique dans les Droits de l’Homme est un garde–fous absolument nécessaire, mais on peut se demander si l’on n’a pas été trop loin dans la survalorisation de l’Individu, sur le modèle de l’homo sapiens, de l’individu responsable et maître de lui. Je n’écris pas cela sans beaucoup d’hésitations, et c’est aussi une auto–critique pour la morale protestante qui a tellement souligné la responsabilité individuelle. Mais cette insistance ne conduit–elle pas à dénier toute irresponsabilité, et à ne plus voir de dignité là où il n’y a plus de conscience, là où le sujet est simplement un corps, un corps tout bête?
En bref, ce que l’on peut reprocher à ces morales de la discussion et du consentement conscient, c’est de supposer que l’intersubjectivité suffit à engendrer une subjectivité. Comme si une subjectivité sans corporéité était possible. Cela revient à postuler une intersubjectivité sans subjectivité, sans perspectivisme, sans ce point de vue sur le monde que donne la finitude spatiale et temporelle d’un corps: un corps insubstituable physiquement à un autre, comme n’importe quelle chose; un corps qui a la mémoire, l’habitat et le territoire, les attentes de n’importe quel vivant; un corps qui est lui–même pétri et transfiguré par les bribes de parole, de langage, de culture, de modes de vie, qui sont celles de sa société. C’est à travers toute cette corporéité–là que le sujet se découvre peu à peu, et découvre qu’il n’a pas pour lui– même la transparence, d’une pure conscience, mais l’opacité, le poids propre, les blessures immémoriales, et les altérations spécifiques d’un corps.
Mais du coup le corps humain dans sa biologie « immuable », tel que la « nature » le produit ou que le Créateur l’a voulu, ne saurait être érigé en norme morale universelle et suffisante[24]. C’est ce que l’on pourrait reprocher à une anthropologie catholique ou « scientiste », ici paradoxalement réunies. Le corps n’est sujet que parce qu’il a été nommé, convoqué à la parole et à l’image, et qu’il se révèle à son tour parlant, imaginant, projetant des figures possibles, qui sont autant d’interprétations de soi. Le corps biologique n’a pas cette densité de singularités qui caractérise un sujet que sa corporéité autorise à parler et à agir, et à se singulariser par ses oeuvres. La recherche d’un corps « en forme » rejoint l’idéal d’un loi ou d’une « norme » naturelle dans un imaginaire dominé par la reproduction en série, la standardisation marchande des objets, et le mimétisme télévisé des figures du désir.
Le corps n’est sujet que parce que nous le recevons d’une longue histoire du vivant, des cultures, des moeurs, et de notre généalogie personnelle qui fait plonger sa mémoire dans un passé immémorial. Les machines n’ont pas cette mémoire immémoriale. Mais il n’est sujet, aussi, que parce que nous le faisons et le refaisons, le recréons sans cesse par nos oeuvres, nos images, nos dires, et nos actes. Nos corps sont subjectifs parce qu’ils sont, de part en part, poétiques. Dans la mesure où tout corps humain est un corps poétique, un corps métaphorique, on comprend que ce soit un corps qui s’écarte à chaque fois de la forme, du fonctionnement ou du code biologique où l’on voudrait le ranger.
Les dernières considérations nous éloignent de la conception sacralisatrice d’un corps qui aurait « de nature », dès le départ, un stock immuable de schèmes, de normes, de compétences cognitives et morales, qu’il ne pourrait que déployer plus ou moins parfaitement. Le corps n’est sujet que par cette capacité qu’il atteste d’incorporer les figures, les paroles et les actes qu’il projette ou qu’il rencontre. Par ce travail de l’incorporation, il augmente son schématisme et ses compétences natives par un schématisme proprement poétique[25]; il augmente ses capacités et ses singularités. Que seraient nos corps, si la parole ne pouvait s’y incorporer? C’est en ce sens que le corps humain est toujours déjà un corps « artificiel », un corps culturel. Toute l’histoire des moeurs et des représentations montre cette aptitude à assimiler les inventions et les découvertes (du feu et du dessin « primitif » jusqu’au piano et aux télécommunications), à les recréer en nous, et nous donne ce minimum de confiance sans lequel nous ne pourrions pas même juger ni critiquer les nouveaux pouvoirs que nous avons acquis.
Olivier Abel
Publié dans Diogène n° 1995. Diogenes (anglais)
n°172 vol.43/4 1995
Notes :
[2] Pierre Legendre, Dieu au miroir, Etude sur l’institution des images, Paris : Fayard, 1994 ; p.13 sq. et 261 sq.
[3] « Ce bio–pouvoir a été, à n’en pas douter, un élément indispen–sable au développement du capitalisme ; celui–ci n’a pu ête assuré qu’au prix de l’insertion contrôlée des corps dans l’appareil de production et moyen–nant un ajustement des phénomènes de population aux processus économi–ques » (Michel Foucault, Histoire de la sexualité, Tome 1, Paris Galli–mard 1984, p.185).
[4] Qu’on me pardonne cette schématisation expéditive, que l’on pourrait étayer par l’histoire des musées scientifiques (à Paris, le Jardin des Plantes, le Palais de la Découverte, la Cité des sciences) ou par celle des manuels de médecine.
[5] Daniela Cerqui, « L’homme mis en pièces » in Cahiers médico– sociaux, Genève 1995, N_39/1, p.33–37.
[6] L’Inhumain, Paris: Gali–lée, 1988, p.20, 64, 74–76.
[7] E.Soulier, in Chroniques de l’Hypermonde n_20, Juin 1995.
[8] P.Ricoeur insiste sur cette parenté entre la gnose antique et l’ins–trumentalisation scientifique du monde contemporain, dans une étude sur H.Jonas où il montre le lien entre ses trois grands ouvrages : La reli–gion gnostique, Le phéno–mène de la vie, et Le principe responsabilité (P.Ricoeur, Lectures 2, Paris : Seuil, 1992, p.306 sq.).
[9] Un auteur calviniste comme l’éthicien D.Müller objecte ainsi, d’ail–leurs judicieusement, que la tentation juridique d’élever le corps au rang de sujet de droit, en personnalisant trop la matière, risque d’ins–trumentaliser paradoxalement la personne humaine (Cahiers médico–so–ciaux, Genève 1995, N_39/1, p.7).
[10] Il faut toutefois résister à la tentation de simplifier la « généalo–gie » des cultures et des mentalités, en affirmant que le dualisme serait purement d’origine grecque, ou que le monde hébraïque serait a priori étranger à ce genre de catégories. Les cultures sont originairement « mêlées ».
[11] Quand A.Rimbaud écrit « les corps seront jugés », il s’inscrit bien dans cette tradition.
[12] Surtout peut–être dans l’aire de la culture catholique. Dans la culture protestante, il y a plutôt une louange du corps comme créature, un « rendre grâce » à Dieu que cela soit, et que cela soit « pour le plai–sir » de Dieu. Le plaisir en ce sens n’a pas à être soumis à la logique pénale et mercan–tile de la rétribution d’une peine ou d’un effort. C’est l’expé–rience même de ce qui est donné pour rien, tran–quil–lement absurde comme une grâce divine. Cette louange n’implique aucune soumission aux souffrances « naturelles », mais au contraire de tout faire pour les réduire.
[13] Notre « hédonisme » n’a pas grand–chose à voir avec celui de l’Anti–quité, qui cherchait le plaisir dans le repos ou le mouvement des sens: « un mouvement doux accompagné de sensation » (Aristippe). Nous le cher–chons me semble–t–il dans la consolation et l’excitation de l’imagi–nation.
[14] L’Antiquité s’achève dans une explosion du souci thérapeutique : quête d’immortalité dans les gnoses, recherche des « plai–sirs » et souci du corps que viennent bientôt codi–fier les nouvel–les morales stoïcien–nes, la médecine comme aboutissement des philosophies scepti–ques (Timon, Aenésidème d’Alexan–drie, Méno–dote de Nicomédie, Sextus Empiricus, Favo–rinus d’Ar–les, sont des médecins ou le deviennent).
[15] Tout se passe comme si, à chaque progrès des sciences « mécanistes » et à chaque âge des représentations technologique du monde et du vivant, avait correspondu un développement concommitant d’un certain romantisme magique, vitaliste ou finaliste (voir H.Bergson, L’évolution créatrice).
[16] R.Caillois, L’homme et le sacré, Paris: Gallimard, 1963.
[17] Ou bien on fantasme autour de la transplantation d’un cerveau dans un autre corps, comme si le cerveau était le « sujet », comme si son indivi–dualité n’était pas liée à son ancrage corporel!
[18] P.Legendre, op.cit. p.16.
[19] C’est la perspective du juriste J.P.Baud, qui s’appuie sur Locke pour critiquer tout commerce d’organes, et penser cette propriété pre–mière comme une défense du faible (Cahiers médico–so– ciaux, Genève 1995, N_39/1, p.62–63).
[20] C’est une des rpincipales raisons pour lesquelles il faut limiter très strictement dans le temps la congélation des embryons.
[21] P.Ricoeur montre que le temps humain est un temps raconté, et que parmi ce récit transmis et continué de génération en génération, le discours généalogique sert à jeter un pont entre le temps vécu et le temps cosmique, à cosmologiser le temps vécu et à humaniser le temps cosmique et par la narration, entre la mémoire in–divi–duelle et le passé historique, faire que la mémoire des généra–tions se chevauche (Paul Ricoeur, Temps et Récit T.3, Paris Seuil 1985, p.153 sq. et 160 sq.).
[22] Toutes les interventions clairement thérapeutiques sur l’embryon ou sur le foetus, si elles doivent être acceptées se heurtent à cette zône d’incertitude qui concerne les théra–pies géniques germinales : elles risquent de porter une atteinte irréversible à la diversité du génome, et on n’en sait pas les conséquences ; et pourtant, pour les sujets concernés, ce serait une vraie délivrance.
[23] Contra–ception, contragestion, avortement, ne sont pas de même gravi–té, même si la morale catholi–que les confond dans la même condam–nation.
[24] Je ne suis pas d’accord avec cet ami qui répondait à sa fille lui demandant si elle pouvait se faire percer les oreilles, qu’il avait fait ses filles avec le nombre de trous qu’il faut!
[25] P.Ricoeur, La métaphore vive, Paris: Seuil, 1975, p.253, et Temps et Récit T.1, Paris: Seuil, 1983, p.106 et 108 pour ce jeu de la représen–tation entre innovation et sédimentation.