« Certains textes sont plus figurés que
d’autres, donc plus problématiques »[1].
Dans un ensemble de communications consacré au rôle du questionnement dans l’argumentation, parler de la mimésis chez Ricoeur propose la difficile gageure d’associer la terminologie de la rhétorique, celle de la poétique, et celle de l’herméneutique. On se trouvera sans cesse aux limites de validité de ces divers régimes de discours. Mais l’oeuvre même de Ricoeur se situe dans ces parages[2]. Et puis la confusion, le mélange même des genres, selon les leçons de la Mimésis de Eric Auerbach[3], ne sont–ils pas la seule procédure que nous ayions pour « faire voir » un autre réel, et n’est–ce pas déjà une manière de problématiser notre monde?
I. Entrée : questionnement et réalité
Où sommes–nous quand nous racontons et agissons, quand nous argumentons, quand nous lisons ou quand nous écrivons, ou tout simplement quand nous pensons, laissant être le monde? D’où venons–nous, où allons–nous? Dans quel monde? Revenir à cette question, c’est chercher un rapport au réel qui échappe à la terrible alternative décrite par Michel Meyer :
« Très clairement on voit s’affronter deux positions sur le langage, avec des préjugés propres et des pré–conceptions inquestionnées. D’une part, un référentialisme qui ne s’appuie que sur le langage quotidien ou scientifique, avec, en plus, l’idée que les phrases– propositions existent isolément et sont intelligibles en elles–mêmes sur base d’une analyse interne; d’autre part, un anti–référentialisme qui, loin de contester cette approche du sens, part plutôt du discours et même de la fiction, du figuré au lieu du littéral » (PB 241).
Or c’est la même alternative que tente aussi de briser Paul Ricoeur :
« On peut tenter de refuser le problème lui–même, et tenir pour non– pertinente la question de l’impact de la littérature sur l’expérience quotidienne. Mais alors, d’une part, on ratifie paradoxalement le positivisme que généralement on combat, à savoir le préjugé que seul est réel le donné tel qu’il est empiriquement observé et scientifiquement décrit. D’autre part, on enferme la littérature dans un monde en soi et on casse la pointe subversive qu’elle tourne contre l’ordre moral et l’ordre social. On oublie que la fiction est très précisément ce qui fait du langage ce suprême danger dont Walter Benjamin, après Hölderlin, parle avec effroi et admiration »[4].
Si un autre rapport au réel peut se frayer une voie, c’est que la suspension du monde (la référence première) permet l’ouverture à un autre monde (une référence de second degré).
Mon propos est ici de montrer comment l’argumentation problématologique, la mimésis poétique et l’art d’interpréter herméneutique, opèrent cette transformation de la référence. Pour cela je repartirai d’une analyse proposée ailleurs[5] de la métaphore vive en termes de question et de réponse, où la vivacité de la métaphore est pensée comme le choc dans le même énoncé entre des propositions de monde plus ou moins incompatibles. Ce choc « suspend » le sens ordinaire des termes dans l’énoncé, et oblige l’imagination sémantique à faire des rapprochements inédits. C’est cette compossibilité de « mondes » hétérogènes dans un autre monde, plus « tensif » peut–être mais aussi plus réel si ce mot a encore un sens, que je voudrais maintenant chercher au plan de Temps et Récit, où l’on retrouve ce même mouvement d’interruption et de relance, de suspension et d’ouverture, qui caractérise la métaphore vive :
La lecture « apparaît tour à tour comme une interruption du cours de l’action et comme une relance vers l’action. Ces deux perspectives sur la lecture résultent directement de sa fonction d’affrontement et de liaison entre le monde imaginaire du texte et le monde effectif du lecteur. En tant que le lecteur soumet ses attentes à celles que le texte développe, il s’irréalise lui–même à la mesure de l’irréalité du monde fictif vers lequel il émigre; la lecture devient alors un lieu lui–même irréel où la réflexion fait une pause. En revanche, en tant que le lecteur incorpore –consciemment ou inconsciemment, peu importe– les enseignements de ses lectures à sa vision du monde, afin d’en augmenter la lisibilité préalable, la lecture est pour lui autre chose qu’un lieu où il s’arrête; elle est un milieu qu’il traverse » (TR3, p.262).
Et c’est ce geste que je voudrais rapprocher du noeud de la problématologie résumé dans la formule : « la question à laquelle la réponse renvoie diffère de celle qu’elle résout »[6]. Formule dont la simplicité éblouissante donne un point d’appui pour soulever de nombreux problèmes!
En voici un exemple. Il me semble que ce geste est celui même de la mimésis poétique selon Ricoeur, par laquelle le monde du texte fait passer d’un monde amont à un monde en aval du texte ou de sa réception :
« Ma thèse est que le sens même de l’opération de configuration constitutive de la mise en intrigue résulte de sa position intermédiaire entre les deux opérations que j’appelle Mimésis I et Mimésis III, et qui constituent l’amont et l’aval de Mimésis II. Ce faisant, je me propose de montrer que Mimésis II tire son intelligibilité de sa faculté de médiation, qui est de conduire de l’amont à l’aval du texte, de transfigurer l’amont en aval par son pouvoir de configuration (…) Nous suivons donc le destin d’un temps préfiguré à un temps refiguré par la médiation d’un temps configuré » (TR1 p.86–87).
Mais ce geste est aussi celui d’une herméneutique qui, après avoir cherché le sens du texte en amont, comme fonction des questions auxquelles il répond (intentions de l’auteur, situation du contexte, etc.), le cherche en aval, dans sa capacité à interroger, à ouvrir de nouveaux horizons de monde :
« le postulat sous–jacent à cette reconnaissance de la fonction de refiguration de l’oeuvre poétique en général est celui d’une herméneutique qui vise moins à restituer l’intention de l’auteur en arrière du texte qu’à expliciter le mouvement par lequel un texte déploie un monde en quelque sorte en aval de lui–même. Je me suis longuement expliqué ailleurs sur ce changement de front de l’herméneutique post–heideggerienne par rapport à l’herméneutique romantique. Je n’ai cessé, ces dernières années, de soutenir que ce qui est interprété dans un texte, c’est la proposition d’un monde que je pourrais habiter et dans lequel je pourrais projeter mes pouvoirs les plus propres. Dans La Métaphore vive, j’ai soutenu que la poésie, par son muthos, re–décrit le monde. De la même manière, je dirai dans cet ouvrage que le faire narratif re–signifie le monde dans sa dimension temporelle, dans la mesure où raconter, réciter, c’est refaire l’action selon l’invite du poème » (TR1 p.122).
Dans un premier temps nous voulons exposer cette congruence entre la problématologie et l’herméneutique poétique[7] sur ce qui forme le noyau dur de la mimésis (que Ricoeur appelle Mimésis II) : la configuration textuelle, l’intrigue par laquelle un récit tisse, comme une métaphore « tensive », des effets de sens et de référence. C’est à l’occasion du double élargissement, vers l’amont (la préfiguration, Mimésis I), et vers l’aval (la refiguration, Mimésis III), que ce rapprochement soulève des difficultés intéressantes, et nous les réservons pour la suite. Pour bien comprendre l’enchaînement des trois Mimésis, en voici une brève présentation par Ricoeur, dans un texte récent[8]:
« Mimésis I désigne la précompréhension dans la vie quotidienne de ce qu’un auteur a bien nommé la qualité narrative de l’expérience; en entendant par là le fait que la vie, et plus encore l’action, comme Hannah Arendt l’exprime brillamment, demandent à être racontées, Mimésis II désigne l’autostructuration du récit sur la base des codes narratifs internes au discours. A ce niveau, Mimésis II et muthos, c’est à dire l’intrigue ou mieux la mise en intrigue, coïncident. Finalement, Mimésis III désigne l’équivalent narratif de la refiguration du réel par la métaphore ».
2. Mimésis ii : sens et référence comme configuration
On peut partir du problème du double–sens. Dans La Métaphore vive[9], on sait que Ricoeur déplace la question de la métaphore–mot, comme dénomination déviante (écart, substitution sémantique), vers la métaphore–énoncé, comme prédication impertinente : l’écart sémantique met en mouvement une réduction d’écart, et il y a moins substitution sémantique que tension entre des aires sémantiques hétérogènes, soudain rapprochées par l’attribution de prédicats ordinairement incompossibles avec le sujet. On peut parler d’une problématisation de l’identité sémantique, ou d’une altération de celle–ci : cette altération annonce ce que Ricoeur nommera dans Soi–même comme un autre une identité–ipséité (une identité qui, à la différence de l’identité–mêmeté, comporte de l’altérité, ou consent à de l’altération).
Ainsi comprise la métaphore n’est pas non–référentielle, mais opère une redescription de la réalité à partir d’une sorte de dédoublement de la référence entre la référence usuelle et littérale et la référence de second degré. Non que la seconde vienne effacer ou abolir la première, mais parce qu’il faut le choc et la tension entre plusieurs références pour désigner une réalité mal balisée par le langage ordinaire. Ricoeur écrit que « la mimésis est le nom de la référence métaphorique » (MV p.308). La réalité que désigne ces formes de langage est une réalité elle–même « tensive » (MV p.311,313,398), qui mêle « ce qui est le cas » à ce qui pourrait ou aurait pu l’être et à ce qui devrait l’être[10]. C’est une thèse constante, que l’on retrouve à propos du récit :
« Si la refiguration par le récit dépend en fait du pouvoir du monde du texte de révéler et de transformer le monde du lecteur, alors le concept de « réel », appliqué d’une part au passé historique et d’autre part au temps de fiction, demande à être entièrement réévalué et reformulé »[11].
On peut ainsi parler d’une référence tensive, où la métaphore répare en quelque sorte la perte de singularité occasionnée dans le langage par l’attribution de prédicats. La condensation en un seul énoncé métaphorique de plusieurs énoncés tient suspendue la question de savoir si les deux mondes évoqués sont ou non compossibles. Mais il y a alors un travail de la référence[12], où le questionnement (qui, quoi) relance sans cesse l’identification du référent[13], ou sa réidentification dans des mondes différents[14].
Chez Michel Meyer on sait que le sens d’une proposition dépend de la question implicite à laquelle elle répond (PB p.250): « des réponses sémantiquement équivalentes diffèrent en ce qu’elle répondent à des questions différentes » (LLA p.134). C’est ce qui lui permet de distinguer le sens littéral (et explicite) du sens figuré (et implicite) : dans le premier cas la réponse à une question ne fait pas de question, tandis que dans le second la problématisation de la réponse dualise le sens et figure en elle une autre question implicite. C’est ce qu’il explique au chapitre VI de De la problématologie (paragraphe 5 sur « Sens littéral et sens figuré »):
« Si une interprétation est toujours substitution d’une réponse à une autre qui dit la première, il y a cependant une différence en ce que la littéralité sans plus maintient un contenu donné, et que le dédoublement a pour effet de mener à une problématicité qui oblige à reformuler la réponse. La substitution figurative est alors le fruit d’une construction opérée sur l’extérieur de l’énoncé et à partir de lui, un énoncé voué à se poser comme problème et à ne devenir réponse qu’en étant reconstruit. Par contre, une signification littérale est purement reproductrice, même si le questionneur– interprétant met en question la réponse » (PB p.243).
C’est en ce sens qu’on peut dire que plus une réponse est « figurée » plus elle est problématique, au sens fort : elle tient en suspens plusieurs questions.
Cette configuration du sens comme reconstruction à partir de l’écart entre les questionnements, on la retrouve dans la Mimésis II de Ricoeur où le récit (d’histoire comme de fiction) propose une composition, une configuration, une véritable mise en intrigue, dans ce que Ricoeur appelle avec la Poétique d’Aristote le « muthos ». Dans la « fable » narrative, on peut considérer que l’on est au royaume du « comme si », du « quasi », qui imite la réalité ou plutôt rivalise avec elle, et sans forcément prétendre la représenter ni s’y soumettre. Le récit a l’épaisseur d’un quasi monde, et ce monde du texte représente une intrigue.
La configuration propre à cette Mimésis II se caractérise entre autres par deux traits. D’une part elle tisse ensemble des éléments hétérogènes, disparates : ce disparate (dispersion temporelle, irréductabilité des points de vue narratifs, etc.) est la forme que prend dans le récit l’écart sémantique relevé dans la métaphore. La mise en intrigue serait alors la réduction de cet écart, qui fait de tout récit une « concordance discordante », une composition de l’incomposable, où les deux pôles doivent rester en tension (même si les différents styles jouent sur des rythmes divers entre ces pôles). On peut suivre une histoire, dit Ricoeur, parce que ses péripéties sont imprévisibles (discordance irréductible) mais acceptables (concordance possible).
Le second trait c’est que ces configurations laissent des paradigmes, des « styles de traditionalité », des genres littéraires, des tropes, etc., qui se sédimentent, structurent et enrichissent les attentes des lecteurs. Mais dans le même temps les oeuvres nouvelles (« nouvelles avant de devenir typiques ») sont proprement poétiques en ce qu’elles attestent d’une capacité d’invention qui fait leur singularité. Cette dialectique entre tradition et novation, entre la règle et l’écart, étaye la précédente et renvoie aux recherches de G.G.Granger sur le « style » (TR1 p.108).
L’ensemble de cette analyse me semble susceptible d’une lecture problématologique. Voici ce qu’écrit M.Meyer à propos du roman et des formes littéraires, qui doivent prendre l’épaisseur d’un monde, précisément parce qu’à la différence d’autres formes de langage, le contexte n’est plus là :
« En l’absence d’un tel contexte, défini par le rapport interlocutoire et les topoi qu’il suppose, la forme doit prendre sur elle la différenciation problématologique.
Le propre de la littérature est d’incorporer comme co–texte ce que les autres formes de langage laissent à l’état implicite parce qu’il y a le contexte. Il doit y avoir dans le texte même la mise en place de la différenciation problématologique, sous l’aspect délittéralisant, textualisant, que l’on a pu définir précédemment. (…) La différence problématologique est incarnée par l’histoire, ce qui fait que le récit est une intrigue, dans tous les sens du terme d’ailleurs. Si l’on considère le rapport au réel, il est forcément mimétique dans la mesure où un certain réalisme émerge d’une grande littéralité, laquelle, à son tour, est le résultat d’une différence problématologique explicitée par le texte même (…) Mais, même dans le cas de littéralité maximale du littéraire, il y a une figurativité, certes minimale, qui se définit par l’unification du texte comme texte : c’est la différence problématologique elle–même qui n’est pas dite mais qui y est littéralement mise en oeuvre. Car le texte ne dit pas « ceci est le problème » et « ceci est la solution », il fictionnalise les deux et rend implicite leur différenciation, sans faire appel au contexte mais seulement au co–texte. Unifier, par la lecture, un texte, c’est lui trouver une problématique dont il est la solution, une problématique qu’il indique plus ou moins littéralement » (PB, p.254).
Cette longue citation montre comment l’incorporation du contexte dans le texte y introduit une différenciation problématologique qui va travailler sa « configuration », certes, mais finalement son « monde »: le monde du texte est problématologisé. Non seulement donc les formes de langage métaphoriques ou narratives ont une référence dédoublée et tensive que l’on peut appeler avec Ricoeur une « mimésis », mais cette mimésis problématise le monde. Parce que le langage porte toujours sur quelque chose, le plus grand écart par rapport au contexte ordinaire, la plus grande absence de celui–ci, permet d’ouvrir le langage à un monde plus problématisé, c’est à dire peut–être aussi plus réel. Ricoeur écrit:
« S’il est vrai que tout emploi du langage repose sur un écart entre les signes et les choses, il implique en outre la possibilité de se tenir au service des choses qui demandent à être dites, et ainsi de tenter de compenser l’écart initial par une obéissance accrue à la demande de discours qui s’élève de l’expérience sous toutes ses formes »[15].
3. Mimésis i/iii : la question en retour et la refiguration du monde
Nous avons pointé la congruence entre la problématologie et la poétique de Ricoeur sur le pivot de la mimésis de configuration. Nous allons maintenant suivre le double mouvement par lequel Ricoeur « radicalise » son analyse vers la mimésis de préfiguration, et « déborde » la configuration par la mimésis de refiguration. Or la remontée vers la question–amont (la question implicite) chez Ricoeur est un geste herméneutique déjà classique (on pense à Gadamer) et même un geste phénoménologique (le monde de la vie dégagé par la « question en retour ») probablement très éloigné des préoccupations de M.Meyer. En outre le renvoi vers l’aval, ce monde refiguré (mixte du monde du texte et du monde du lecteur) que permet l’autonomisation du texte par rapport au contexte initial, n’est pas pensé par Ricoeur en termes de question et de réponse (problématique pour lui inséparable de l’oralité). Ce sont là les limites du rapprochement opéré, mais ces limites sont elles–mêmes très intéressantes.
Recommençons par ce mouvement de la question en retour :
« …il faut donc, suivant une fois encore Collingwood et Gadamer, ajouter la logique de la question et de la réponse ; logique suivant laquelle on ne peut comprendre une oeuvre que si on a compris à quoi elle répond » (TR3, p.251). Et Ricoeur ajoute en note : « Un rapprochement s’impose ici avec la notion de style chez Granger dans son Essai d’une philosophie du style. Ce qui fait la singularité d’une oeuvre, c’est la solution unique apportée à une conjoncture, elle–même saisie comme un problème singulier à résoudre ». En ce sens la remontée vers la question–amont ne cherche pas les intentions de l’auteur mais à saisir « la singularité de la résolution d’un problème » (TR3 p.235).
Mais c’est aussi ce qui fait que l’herméneutique littéraire et historique, à la différence de celle de Gadamer, incorpore une lecture critique : « retrouver la question à laquelle le texte offre une réponse, reconstruire les attentes des premiers destinataires du texte, afin de restituer au texte son altérité primitive, ce sont là déjà des démarches de relecture, secondes par rapport à une compréhension qui laisse le texte développer ses propres attentes »[16] (TR3 p.255).
Chez Meyer aussi, si « comprendre un discours c’est, de manière générale, le concevoir comme réponse » (PB p.250), une herméneutique virtuelle s’articule à ce principe :
« Le questionneur–interprétant s’interroge sur l’énoncé, retrouve la question à laquelle cet énoncé répond, bref, répète cet énoncé comme réponse, il en reproduit le contenu, mais il la rapporte à ce qu’elle solutionne et en cela, l’interprète répond à sa propre question herméneutique. En somme, il refait en sens inverse le chemin du locuteur–auteur. L’interprétation ne fait qu’expliciter la question implicite du propos qu’elle considère; alors que le locuteur part de la question pour aller vers la réponse, l’interprétation part de la réponse pour aller vers la question qui lui permet de voir en quoi la réponse est réponse » (PB p.242).
La différence avec Ricoeur, c’est que pour ce dernier l’herméneutique prolonge encore le geste phénoménologique du dernier Husserl, celui de la Krisis et de la « question en retour » (selon la traduction que propose Derrida de la Rückfrage). Ce questionnement à rebours[17] retourne la quête d’une subjectivité transcendantale et universelle vers un « monde de la vie », qui est toujours déjà là comme un monde de prédonation. Dans un texte publié en 1980, Ricoeur distingue d’ailleurs deux fonctions de la Lebenswelt : une fonction ontologique de limite, de référence ouverte, d’interrogation pure pourrait–on dire et qui vient rouvrir tout discours ; et une fonction plus épistémologique qui renvoie l’interrogeant au milieu du langage, d’un monde de langage dont nul métalangage ne nous fait sortir :
« Dès que nous commençons à penser, nous découvrons que nous vivons déjà dans et par le moyen de « mondes » de représentations, d’idéalités, de normes. En ce sens nous nous mouvons dans deux mondes : le monde prédonné, qui est la limite et le sol de l’autre, et un monde de symboles et de règles, dans la grille duquel le monde a déjà été interprété quand nous començons à penser »[18].
La mimésis de préfiguration se situe à ce niveau–là, car la configuration de l’intrigue et sa lecture s’enracinent dans ce que Ricoeur appelle la précompréhension des structures de l’action et des passions, la précompréhension des réseaux de symboles qui « programment » nos cultures, et aussi la précompréhension des structures de la temporalité qui forment la grammaire des travaux et des jours (TR1 p.87 sq.). Or cette précompréhension elle–même se trouve en partie thématisable par une analyse comparative et critique, et en partie non–thématisable parce que formant l’espace de préfiguration auquel appartient l’interprète.
Pourquoi faut–il remonter jusque là? J’y vois deux motifs. Le premier est que l’interprétation ne peut pas s’installer sans reste dans un projet d’explicitation des questions implicites : on ne peut pas thématiser toutes les problématiques de précompréhension qui se trouvent en arrière de nos usages. Il y a des métaphores déposées, toute une épaisseur de préfiguration où le langage se confond avec l’affectif et le corporel, et qu’on ne peut pas entièrement expliciter. C’est problablement ce qui fait la réserve de Ricoeur envers l’entreprise de Habermas : on doit accepter l’existence d’expériences, de questions, de convictions non explicitables entièrement et qui résistent dans la même proportion à l’argumentation.
Il y a me semble–t–il un second motif, et c’est ici que la différence entre le geste problématologique et l’herméneutique poétique devient significative : c’est que la mimésis poétique, à la différence de l’argumentation rhétorique qui s’adapte aux présuppositions de son auditoire, ne vise pas moins qu’à remanier et à bouleverser ces présupposés, cette préfiguration :
« La conversion de l’imaginaire, voilà la visée centrale de la poétique. Par elle, la poétique fait bouger l’univers sédimenté des idées admises, prémisses de l’argumentation rhétorique. Cette même percée de l’imaginaire ébranle en même temps l’ordre de la persuasion… »[19].
Si la visée poétique est de changer le monde, elle ne peut le faire que parce que les attentes propres du texte et son monde viennent bouleverser, suspendre et réorienter les attentes préalables du lecteur, qui change ainsi de monde. Mais ce bouleversement même n’est–il pas dû à la différence problématologique condensée par la métaphore vive ou mise en scène par l’intrigue textuelle? N’est–ce pas cette différence qui déplace le lecteur et l’oblige à changer de monde?
La refiguration du monde dans la Mimésis III prend appui dans cette visée pour déborder la pure configuration du monde du texte. Ricoeur, en dépit de Gadamer, affirme la positivité de l’autonomisation du texte par rapport au contexte d’origine. Cet affranchissement du texte par rapport aux intentions de l’auteur, mais aussi par rapport à son contexte et à ses destinataires, est ce qui permet sa décontextualisation et son indéfinie recontextualisation virtuelle. Ricoeur insiste à de multiples reprises sur le fait que c’est une spécificité de l’écrit par rapport à l’oral : car celui–ci peut toujours donner lieu à des questions et des réponses supplémentaires, mais non le texte orphelin de son auteur[20]. Si l’herméneutique exige des méthodes spécifiques, c’est parce que le texte est le paradigme de la distanciation dans la communication, et que « l’interprétation est la réplique de cette distanciation fondamentale que constitue l’objectivation de l’homme dans ses oeuvres »(TA, p.110).
Pour Ricoeur, l’autonomisation concerne donc seulement le texte qui, par son « inscription », se détache du contexte initial. Ce faisant, Ricoeur semble abandonner « le mouvement spontané de la question et de la réponse » au domaine de la seule oralité, celle–ci demeurant le lieu de l’immédiateté que revendique Gadamer pour la compréhension originaire (TA p.368). Mais n’est–ce pas dommage? N’y a–t–il pas la moindre distanciation ni autonomisation dans l’oral, et n’y a–t–il pas quelque chose comme une différenciation problématologique dans l’autonomisation du texte? L’autonomie du texte, de l’écriture, ne naît–elle pas discrètement de cette autonomisation des réponses, qui fait leur vivacité sémantique propre? A trois reprises au moins, en distinguant dès l’oral le dire et le dit, Ricoeur le suggère[21].
Cela permettrait alors de formuler la refiguration en termes de questions et de réponses, non comme un automatisme de langage, mais parce qu’au fait de comprendre un texte par rapport à la question à laquelle il répond (en amont) correspond, de l’autre côté de l’arc de la mimésis, le fait de le comprendre par rapport à la question qu’il ouvre. Si les textes anciens répondaient à d’autres questions que celles que nous nous (et leur) posons, ils soulèvent d’autres questions que celles auxquelles ils répondaient. C’est l’axe de la démarche de Ricoeur, où l’herméneutique renvoie à une poétique, au sens où il n’y a « rien derrière » le texte, mais plutôt un monde ouvert devant lui, en aval, et que là se trouve le véritable espace de l’interprétation, en rapport avec les attentes ouvertes par le texte. Le projet le plus vaste de l’herméneutique ainsi comprise, loin de vouloir trancher entre des interprétations rivales, « est bien plutôt de maintenir ouvert un espace de variations » (L2 p.490). « Le texte (…) est ouvert en avant, du côté du monde qu’il découvre » (L2 p.492) :
« Ce qui est communiqué, en dernière instance, c’est par–delà le sens d’une oeuvre, le monde qu’elle projette et qui en constitue l’horizon. En ce sens, l’auditeur ou le lecteur le reçoivent selon leur propre capacité d’accueil qui, elle aussi, se définit par une situation à la fois limitée et ouverte sur un horizon de monde » (TR1 p.117).
Cet horizon de monde apparaît à l’intersection entre le monde du texte et le monde du lecteur.
Michel Meyer insiste également, on l’a déjà vu, sur ce rôle du lecteur :
« Le lecteur doit revenir sur ses pas pour répondre à la textualité qui lui pose davantage problème, ce qui fait que le texte ne se termine pas sur sa fin physique si l’on peut dire, mais doit se totaliser par une seconde lecture inscrite dans l’énigmaticité même que le lecteur découvre au fur et à mesure. Le rôle de ce lecteur, dont Wolfgang Iser dans L’acte de lecture a si bien fait la théorie, est d’autant plus grand que le texte a moins de sens par soi et qu’il le demande d’autant plus, que l’unité narrative est rompue par le fait de l’absence d’un point de vue narratif, d’un narateur unique, et que le lecteur se trouve problématologiquement impliqué dans l’apocriticité du texte par la forme même. Solution purement problématologique, le texte fait littéralement appel à la figurativité, à l’imagination de son lecteur, d’autant plus que par la problématisation plus grande, le réel commun est plus problématique, il y a moins de référentialité à laquelle lecteur et narrateur puissent se référer en commun »(PB p.255).
Dans un texte assez parallèle et qui rassemble plusieurs des traits que nous avons relevés au long de cette étude à travers préfiguration, configuration et refiguration, Ricoeur écrit :
« d’un côté , les paradigmes reçus structurent les attentes du lecteur et l’aident à reconnaître la règle formelle, le genre ou le type exemplifiés par l’histoire racontée. Ils fournissent des lignes directrices pour la rencontre entre le texte et son lecteur. Bref, ce sont eux qui règlent la capacité de l’histoire à se laisser suivre. D’un autre côté, c’est l’acte de lire qui accompagne la configuration du récit et actualise sa capacité à être suivie. Suivre une histoire, c’est l’actualiser en lecture. (…) C’est encore l’acte de lire qui accompagne le jeu de l’innovation et de la sédimentation des paradigmes qui schématisent la mise en intrigue. C’est dans l’acte de lire que le destinataire joue avec les contraintes narratives, effectue les écarts, prend part au combat du roman et de l’anti–roman, et y prend le plaisir que Roland Barthes appelait le plaisir du texte. C’est enfin le lecteur qui achève l’oeuvre dans la mesure où, selon Roman Ingarden dans La structure de l’oeuvre littéraire et Wolfgang Iser dans Der Akt des Lesens, l’oeuvre écrite est une esquisse pour la lecture ; le texte, en effet, comporte des trous, des lacunes, des zones d’indétermination, voire, comme l’Ulysse de Joyce, met au défi la capacité du lecteur de configurer lui–même l’oeuvre que l’auteur semble prendre un malin plaisir à défigurer. Dans ce cas extrême, c’est le lecteur, quasiment abandonné par l’oeuvre, qui porte seul sur ses épaules le poids de la mise en intrigue » (TR1 p.116–117).
Un peu plus haut (p.113) Ricoeur risque l’expression d' »histoires non (encore) racontées », d' »histoires potentielles », qui est un bon index de ce qui forme l’horizon de la mimésis de refiguration. Le monde que le texte ouvre en aval de lui–même, en demandant à être relu et redit autrement, est un monde problématisé, bouleversé par l’interrogation. C’est un monde ouvert à et par cette demande de discours qui s’élève de l’expérience : demande accrue mais aussi devenue sensible par la suspension du contexte et du monde ordinaire, par une distanciation non moins critique que poétique, par la problématisation du sens, de la référence, du lecteur même. Il y a des histoires non encore racontées parce que les choses et les êtres demandent à être dits, et « cette remarque prend toute sa force quand nous évoquons la nécessité de sauver l’histoire des vaincus et des perdants » (TR1 p.115).
4. Sorties : le monde troublant de l’interrogation
La mimésis poétique opère une problématisation du monde en ce que la configuration du texte, qui retient et développe déjà en elle la différenciation problématologique, fait passer du monde de la préfiguration au monde de la refiguration : la problématisation du monde correspond à cette transformation, à cette transfiguration. Le réseau des questions en amont et en aval du texte n’est plus le même. Or ce bouleversement des questions ne peut se faire sans émotion ; même leur plus infime modification, dans la mesure où elle touche ensemble le monde dit et vécu et le lecteur qui s’y déplace, suppose et engendre un trouble dont le sujet doit être capable.
Cette capacité à être troublé, cette aptitude à l’étonnement, indique peut– être un début de réponse à la question initiale : où sommes–nous quand nous racontons et agissons, quand nous argumentons, quand nous lisons ou quand nous écrivons, ou tout simplement quand nous pensons, laissant être le monde? Nous sommes dans un monde trouble, et capables d’y être. Pour reprendre le terme de Kant, nous en avons le « schématisme », nous avons l’imagination transcendantale qui nous rend apte à nous y orienter et à nous y comporter. Nous sommes dans le monde que notre schématisme permet d’habiter.
Déjà nous y sommes enracinés par un schématisme de préfiguration, toute une manière de nous rapporter au temps, aux autres et au monde, qui définit ce qu’on pourrait appeler le niveau stylistique de la précompréhension : nous nous trouvons toujours déjà dans un milieu de langage, mais aussi de formes et de matériaux qui ont un « style ». C’est ce style que notre schématisme de préfiguration parle et comprend, et c’est à ce niveau stylistique que joue la mimésis I. Ensuite notre schématisme est en quelque sorte débordé par un schématisme poétique, un art, une expérimentation. Ricoeur parlait déjà dans La Métaphore vive du « schématisme de l’attribution métaphorique » (MV p.264,270), et dans Temps et Récit il parle du schématisme de l’oeuvre :
« Dans une veine encore kantienne, il ne faut pas hésiter à rapprocher la production de l’acte configurant du travail de l’imagination productrice (…) La mise en intrigue, également, engendre une intelligibilité mixte entre ce qu’on a déjà appelé la pointe, le thème, la « pensée » de l’histoire racontée, et la présentation intuitive des circonstances, des caractères, des épisodes et des changements de fortune qui font le dénouement. C’est ainsi qu’on peut parler d’un schématisme de la fonction narrative » (TR1 p.106).
Ce schématisme de configuration définit avec la mimésis II le niveau stylistique de l’oeuvre proprement dite, comme jeu entre la structure de régularité et la singularité de l’écart, entre la novation et la sédimentation (sur les différents claviers du lexique, de la phrase, du discours), etc. Enfin ce schématisme poétique, dans la mesure où il est « actualisé » et comme incorporé au lecteur par son acte de lecture ou de relecture même, ouvre en lui des neuves possibilités d’être au monde que ne comportaient pas son schématisme de préfiguration initial. Il ne s’agit pas du tout d’emporter ni de décider la conviction du recepteur, mais sa capacité à comprendre diverses convictions, à passer de l’une à l’autre. Il s’agit d’augmenter son schématisme, d’augmenter les compossibilités de son schématisme, sa capacité à interpréter, à percevoir et à agir. Il s’agit, et c’est tout le problème de la Mimésis III, d’augmenter la densité en singularités de son style de refiguration, qui est sa manière d’être au monde et d’y oeuvrer.
Nous sommes dans le monde que notre schématisme nous permet d’habiter, et l’oeuvre de la mimésis est d’augmenter notre schématisme, notre capacité à passer d’un monde à un autre, à contenir plusieurs mondes possibles dans un même monde plus réel. L’oeuvre de la mimésis est d’augmenter notre tolérance au trouble. Toute modification de notre monde engendre certes une émotion et une interrogation : déjà la dualisation entre ce que je crois et ce que l’autre (ou moi– même en un autre contexte) croit, fait de la vérité un lieu tensif, la place d’une interrogativité. Avec le trouble apparaît le refus du trouble, la croyance comme le premier possible pris pour seule réalité, le dogmatisme du « mythe » ou du « fait ».
C’est alors en intercalant plus finement des plages d’interrogation dans les plages d’informations déjà admises que l’on peut rouvrir le désir d’un monde plus complexe. Une oeuvre poétique problématise le monde, en ce qu’elle ne répond jamais aux questions dont elle est la relève sans convoquer et soulever à son tour, dans sa figurativité même, d’autres questions. Elle engendre ou du moins permet l’apparition d’autres contextes, d’autres horizons, et d’autres points de vue pour lesquels ces horizons sont « le cas » et la vie. A la différence du geste de remontée vers la question implicite qui est un geste critique, qui sépare les questions, c’est plutôt un geste de problématologisation qui, parce qu’il mélange les questions, les langages et les mondes, et parce qu’il les rapproche brusquement, fait voir le réel autrement.
Nous avons là une autre manière d’accéder à cette conclusion banale : que l’interrogation, comme intelligence et comme émotion, est ensemble le désir et l’effet du passage d’un contexte à un autre, d’un monde à un autre.
Olivier Abel
Publié dans Argumentation et questionnement, Paris: PUF, 1996.
Notes :
[1] Michel Meyer, De la problématologie, Bruxelles Mardaga 1986 (ouvrage désormais cité PB).
[2] Cf. Paul Ricoeur, « Rhétorique, poétique, herméneutique », in De la métaphysique à la rhétorique. A la mémoire de Chaïm Perelman édité par Michel Meyer, Editions de l’Université de Bruxelles 1990.
[3] Eric Auerbach, Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris Gallimard 1968 (collection TEL).
[4] Paul Ricoeur, Temps et Récit Tome 1 Paris Seuil 1984, p.120 (ouvrage cité ici TR1, le tome 3 sera cité TR3). Si la philosophie dominante dans certains pays (ou certaines périodes) marqués par de graves troubles politiques, sociaux ou moraux, est paradoxalement souvent celle des positivismes, n’est–ce pas aussi un peu pour fuir le monde ou plutôt pour ne pas avoir à y agir, à le transformer?
[5] « La métaphore, réponse et question », in Le livre de traverse, de l’exégèse biblique à l’anthropologie, édité par Olivier Abel et Françoise Smyth, Paris Cerf 1992.
[6] Michel Meyer, Logique, Langage et Argumentation, Paris Hachette 1982, p.125 (référence ici abrégée en LLA).
[7] Ricoeur qualifie son herméneutique de critique, pour la distinguer de celles de Heidegger et de Gadamer, qui mettent hors–jeu les distances de méthode (Du texte à l’action, Paris Seuil 1986, p.362 sq., référence abrégée en TA), et dissolvent davantage les problèmes de critique historique et d’exégèse qu’elles ne les résolvent (Le Conflit des interprétations, Paris Seuil 1969, p.14). Pour toute la seconde partie de l’oeuvre de Ricoeur cependant, avec cette ouverture sur l’aval du texte et cette insistance sur le rôle de la lecture, on peut parler aussi bien d’une herméneutique poétique, qui comporte un moment critique indispensable à la délivrance des mondes possibles, mais aussi ce sens tout heideggerien de l' »habiter le monde ».
[8] « Mimésis, référence et refiguration dans Temps et Récit« , Etudes Phénoménologiques n_11, 1990, p.32.
[9] La métaphore vive, Paris Seuil 1975, référence abrégée en MV.
[10] « Pour démontrer cette conception « tensionnelle » de la vérité métaphorique, je procèderai dialectiquement. Je montrerai d’abord l’inadéquation d’une interprétation qui, par ignorance du « n’est pas » implicite, cède à la naïveté ontologique dans l’évaluation de la vérité métaphorique ; puis je montrerai l’inadéquation d’une interprétation inverse, qui manque le « est » en le réduisant au « comme-si » du jugement réfléchissant, sous la pression critique du « n’est pas ». La légitimation du concept de vérité métaphorique, qui préserve le « n’est pas » dans le « est », procèdera de la convergence de ces deux critiques » (MV p.313). Ce jeu entre le ne pas croire qu’il en « est » ainsi et le ne pas croire qu’il n’en n' »est pas » ainsi distingue la métaphore de la croyance mythique comme de la comparaison entièrement réductible et traductible.
[11] « Mimésis, référence et refiguration dans Temps et Récit« , Etudes Phénoménologiques n_11, 1990, p.40.
[12] De même qu’il y a « un travail de la ressemblance » (MV 6ème étude) pour l’identité sémantique problématisée par la métaphore (altération de l’identité, identification de l’altérité).
[13] Ricoeur développe particulièrement cette argumentation dans Soi–même comme un autre Paris Seuil 1990 (référence abrégée en SA): « je ne vois pas comment la question qui? peut disparaître dans les cas extrêmes où elle reste sans réponse » (p.165).
[14] Chez Meyer aussi, reprenant les travaux de Hintikka sur les mondes possibles, l’individu référent est ce qui répond à diverses descriptions et il n’est identifiable qu’à travers elles : un individu est un X que l’on retrouve dans plusieurs mondes possibles. La référence répond ainsi toujours à une question possible du genre « Qui », « Quoi » (LLA, p.97 et 127 à 132).
[15] « Mimésis, référence et refiguration dans Temps et Récit« , Etudes Phénoménologiques n_11, 1990, p.40.
[16] Il propose ainsi une dialectique de l’attente (plus ouverte mais plus indéterminée) et de la question (plus déterminée mais plus fermée) (TR3 p.257).
[17] C’était la traduction antérieurement proposée par Ricoeur.
[18] « L’originaire et la question en retour dans la Krisis de Husserl », in Textes pour Emmanuel Lévinas Paris J–M Place 1980, repris dans Paul Ricoeur, A l’école de la phénoménologie, Paris Vrin 1987, p.295.
[19] « Rhétorique, poétique, herméneutique », in De la métaphysique à la rhétorique. A la mémoire de Chaïm Perelman édité par Michel Meyer, Editions de l’Université de Bruxelles 1990, repris dans Paul Ricoeur Lectures 2, Paris Seuil 1992, p.487 (référence abrégée en L2).
[20] Paul Ricoeur Du texte à l’action Paris Seuil 1986 (TA) p.77,112, 165,187,358,368 ; et Lectures 2 op.cit. p.488.
[21] D’abord il parle d’une « dialectique de distanciation plus primitive que l’opposition de l’écriture à la parole et qui appartient déjà au discours oral en tant que discours »: c’est « la dialectique de l’événement et de la signification » dont l’un est inscrit dans le contexte et l’autre le déborde (TA p.102 sq.). Il reprend ensuite cette idée ainsi : « sans doute faudrait–il dire, à l’encontre de toute hypostase de l’écriture, que la première condition de toute inscription est, dans le discours comme tel, même oral, la distance infime qui se creuse entre le dire et le dit » (TA p.166). Et il poursuit enfin : « le dire s’évanouit mais le dit subsiste ; à cet égard, l’écriture ne représente aucune révolution radicale dans la constitution du discours, mais accomplit son voeu le plus profond » (TA p.367).