Ils n’ont vraiment rien compris.

Nous sortons d’une année de crise, d’une année de craquements prolongés de l’ensemble de notre système, et que voyons-nous ? Que nous sommes pris dans une profonde crise morale qui traverse non seulement le monde, mais nos sociétés, et qui déchire jusqu’à nos familles et nos âmes.

D’une part, ceux qui tiennent le haut du pavé, qui savent se vendre et se faire valoir, et qui n’ont vraiment rien compris ! Ceux-là sont repartis de plus belle dans leurs spéculations financières (normal : on a injecté d’énormes liquidités pour empêcher le système bancaire de s’écrouler), dans leurs appétits de toujours plus, dans leur fuite en avant, dans leur consommation effrénée du monde. Pour eux c’est simple : la vie est une lutte acharnée, qui sépare à chaque coup les gagnants des perdants. Et ceux qui gagnent ne doivent rien à personne, s’ils gagnent c’est qu’ils le méritent. On n’a que ce qu’on mérite. C’est eux, le plus souvent issus de jeunesses gonflées à l’ambition, et auxquelles on a insufflé depuis le biberon qu’ils sont les meilleurs, qui partout mettent la pression sur les autres, pourrissent le monde du travail et en font un monde totalitaire, où il faut se durcir pour continuer — jusqu’à ce qu’on craque et que d’autres plus jeunes et plus voyous vous passent dessus. Ceux-là conduisent le monde entier à la mort.

De l’autre, et de plus en plus nombreux, ceux qui partout se retournent vers les autres, vers le monde. Et qui sont désormais tournés non vers ceux qui courent plus vite qu’eux, mais vers ceux qui courent moins vite. Ils ont compris que la crise, non pas le petit jeu de bascule qui donne un frisson de plaisir au capitalisme, mais cette crise qui jette des populations entières, chaque jour, dans les bras de la mort, n’était rien d’autre que cette course même où personne ne se retourne. Croyez vous que la solidarité soit une utopie moraliste ? Mais aux USA, il y a un an, c’est la déréliction des liens familiaux qui a entraîné la non solvabilité des individus, chacun dans sa bulle, et l’affaissement du système bancaire. Et en Russie comme partout, aujourd’hui, ce que la crise réveille, c’est tout simplement l’importance des solidarités d’abord conjugales, mais aussi familiales, amicales, etc. Nous n’existons que par un prodigieux endettement mutuel et nul ne peut dire qu’il ne doit rien à personne. Oui, le mariage, l’amitié, les fidélités ont de belles années devant elles, au fur et à mesure que l’on découvrira que plus rien ne tient que ces attachements-là.

On dira que mon schéma d’aujourd’hui est un peu manichéen, mais j’ai seulement voulu faire voir ce qui est déjà là. Ceux qui veulent gagner « doivent » leur vie et leur monde à ceux qui entretiennent les fidélités sans lesquelles ils ne seraient rien. En ce sens l’éthique n’est pas la cerise sur le gâteau, mais le noyau profond de nos sociétés. Max Weber avait naguère montré l’importance de l’éthique protestante dans la formation de l’esprit capitaliste. Il serait temps de réveiller d’autres avenirs de notre passé, de prendre appui sur ce que l’éthique des débuts de la modernité comportait aussi de gratitude envers le monde, de sobriété, de responsabilité, de solidarité. Et de réveiller les figures oubliées de tous ces « pères fondateurs » qui, de Saint-François d’Assise à Calvin, et de Montaigne à Rousseau, avaient l’audace de proposer un pacte social assez large pour comprendre tout ce qui dans le monde aujourd’hui est en souffrance.

Midi-Magazine sur la radio Fréquence protestante
Mercredi 30 décembre 2009

 

Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)