« Papon, pardon, confusion »

Que faut-il penser de la libération de Maurice Papon : est-elle compréhensible d’un point de vue théologique et éthique ou bien cela est-il totalement injuste ? Le professeur Olivier Abel, sans donner dans le moralisme ou dans le vindicatif, nous donne quelques pistes de réflexion.

Avec la libération de Maurice Papon, le problème relève de la prudence humaine et politique plus que des arguments théologiques. Prudence humaine d’une part : comment punir quelqu’un d’aussi âgé ? Prudence politique en même temps : nous avons affaire à un sujet très brûlant pour beaucoup de gens. Cette affaire rouvre des blessures dans le passé de la nation. Mais s’il y a un temps pour rouvrir les blessures mal refermées, mal cicatrisées, de façon plus sereine, pour faire le « procès de la mémoire », il y a aussi un temps pour faire la paix.

Justice à tout prix ?

Dans le cas de Maurice Papon, la sanction a-t-elle atteint son but ? Le condamné a-t-il été affecté ou bien est-il inaccessible aux remords ? Il est difficile d’en juger. Certains concluront peut-être un peu rapidement que cet homme au cœur endurci aurait dû purger une peine plus longue ou qu’au contraire il était temps de laisser sortir ce vieillard qui n’en pouvait plus et qui avait assez souffert.

Chez le chrétien, l’amour et le pardon ne doivent-ils pas prendre le pas sur le désir de vengeance ? Oui, bien sûr. Mais on peut aussi recourir à des arguments théologiques qui justifieraient la sanction, et qui établirait qu’on ne peut pardonner ce qu’on ne peut punir pardon : comment parler de pardon, s’il n’y a pas eu justice ? Mais n’oublions pas que la justice n’est pas uniquement synonyme de sanction et qu’elle a aussi une fonction quasi-rédemptrice, dans le sens qu’elle peut redonner une chance au condamné, à tout âge, à tout moment. Une justice à laquelle il manquerait totalement cette dimension de réhabilitation ne serait plus qu’un instrument de vengeance.

Attention également de ne pas chercher en Papon un bouc émissaire. Il est évident que certains personnages sont devenus les symboles de l’opprobre publique, alors que notre mémoire est à partager. Même ceux qui n’ont rien à voir dans ce passé honteux peuvent se déplacer pour aller prendre sur eux une part de cette mémoire. L’Histoire ne relève pas que de la morale individuelle mais de la politique. Il n’y a société, cité, que parce que l’on partage des responsabilités. En même temps, il serait regrettable que la responsabilité individuelle, particulière, qui peut être imputée à quelqu’un, soit diluée au milieu des grandes responsabilités historiques et politiques collectives. Il faut se méfier d’une morale chrétienne qui dirait « nous sommes tous coupables, donc personne n’est coupable. » Car l’imputation de la faute et donc de la peine, la sanction, permet la réhabilitation du coupable et la paix. Il y a un moment où l’on a la volonté que justice soit faite et un autre où l’on désire arrêter, pour reconstruire ensemble. Le rappel d’un passé meurtrier peut être utile, pour qu’il ne se reproduise plus jamais. Mais il peut aussi encombrer les esprits et les empêcher de voir venir les malheurs actuels.

 

Olivier Abel

Publié dans Libération du 9 Oct 1997