« Un voeu pas très pieux en éloge des mariages mixtes et de la pluri-appartenance »

Un vœu pas très pieux
en éloge des mariages mixtes et de la pluri–appartenance

 

Ce n’est pas un rêve que j’ai fait, mais simplement j’ai imaginé qu’un jour, comme elles le font parfois dans leurs synodes ou leurs assemblées générales, l’Eglise réformée de France ou la Fédération Protestante de France adoptent le voeu suivant :

« Soucieuse de ce que le protestantisme français de demain aura autant le visage de ceux qui par rencontre auront décidé de devenir protestant (et vive le baptême des adultes, qui acceptent de perdre leur sacro–sainte identité pour en recevoir ou en inventer une autre, et qui n’hésitent pas à faire l’éloge de la conversion, c’est à dire aussi de l’abjuration!), que le visage de ceux qui par fidélité auront accepté de le rester (et bravo à ceux qui ont compris que les « athées » du catholicisme ou du protestantisme ne sont pas pareils, que l’on est d’autant plus prisonnier de sa culture d’origine qu’on la nie, et qu’il vaut mieux en faire le lieu d’une remémoration vive!),

Soucieuse de la multiplication des mariages mixtes, le plus grand danger pour notre communauté (il faudra bientôt inverser nos schèmes publicitaires et montrer qu’au temple seulement on peut enfin être seul, loin des foules contemporaines!), qui fait que dans une proportion de plus en plus large le protestant de demain aura dû en même temps accepter et décider de l’être, et soucieuse de faire du plus grand péril la plus grande chance à saisir,

Soucieuse de ce que le passage à l’exogamie, pour une tradition, coïncide avec l’acceptation de sa mortalité, mais que de savoir qu’ils disparaîtront un jour est peut–être un avantage des protestants français sur les autres religions qui se croient immortelles, et soucieuse de rappeler qu’une culture ou une religion qui refuserait toute perte et ne saurait pas qu’elle disparaîtra un jour serait comme le refus qu’une part de nos enfants puissent changer de nom en se mariant, et non pas accumuler à l’infini tous les noms,

Soucieuse de défendre et d’illustrer, dans l’opinion publique de notre pays, et à l’encontre d’une conception individuelle et sentimentale qui lui a ôte tout sens, l’importance du mariage civil (le mariage devant le Maire et non le mariage religieux), qui est pour elle le véritable mariage comme acte civil qui tisse le lien social, le rapport entre les communautés,

Soucieuse cependant du fait que dans cette situation la tentation religieuse est double : s’enfermer dans la seule communauté de ceux qui partagent la même « langue », la même enfance, le même cantique, et empêcher tout mariage exogame ; comme au self–service, se promener parmi les religions en mangeant à tous les rateliers, chacun faisant son petit mélange new–âge,

(tout cela fait beaucoup de soucis!) La communauté protestante, rappelant avec Paul que ce que l’on appela plus tard le Christianisme avait commencé par des mariages mixtes dans tous les coins (il n’y a plus ni Juif ni Grec), recommande :

De favoriser les mariages mixtes, en aidant chacun à reconstruire et à recréer son identité à travers les apports de son conjoint. Loin que les mariages mixtes se révèlent spirituellement stériles ou produisent des « mulets » spirituels, nous espérons ainsi, pour ceux qui accepteront de rester et/ou décideront de devenir protestants, des combinaisons inédites, une mutation, l’obligation de réinventer ici et là de nouvelles formes de vie ensemble.

De reconnaître la pluri–appartenance religieuse et de l’accompagner, pour que chacun puisse, à travers le profil singulier de ses diverses adhésions, construire et découvrir avec d’autres la cohérence de sa foi. Nous espérons ainsi pour le protestantisme l’apport de tous ceux qui pourront décider de devenir aussi protestants.

Remarque : Ce double–éloge, des mariages mixtes et de la pluri– appartenance, que notre Eglise serait probablement la première de l’histoire à accepter, n’interdit pas la vigilance envers des attitudes éhontées, qui profiteraient de cette mesure pour s’introduire dans nos Eglises à des fins purement tactiques. Le mariage mixte comme la pluri–appartenance dont nous parlons supposent des sentiments sincères.

Remarque bis : Dans un temps où les mariages avec des étrangers sont a priori suspects d’être des mariages blancs, et parfois même refusés par les Mairies, la communauté protestante a le droit de déroger à son propre principe, au nom de son prinicipe même, et par objection de conscience, pour célébrer ces unions mixtes comme des mariages religieux. Dans ce cas elle a le devoir de transformer d’éventuels mariages blancs en mariages réels, de montrer l’importance de ces mariages dans le contrat social. »

Quand j’eus fini d’imaginer ce voeu, je me suis demandé s’il n’était pas plus simple, étant donné que le protestantisme n’est à proprement parler ni un Christianisme (même si, dans son combat contre le paganisme de la Renaissance, il est apparu à certains comme une « Contre–Renaissance » : mais son message supprime à tel point tous les intermédiaires avec Dieu, et universalise à ce point l’élection divine, qu’il ruine la possibilité d’une religion chrétienne), ni un Humanisme (même si dans son combat contre le catholicisme féodal il est apparu comme une « renaissance évangélique » : mais le principe protestant dénonce toutes les justifications que l’humanité donne à son entreprise de puissance, et le Royaume de Dieu est offert aux petits enfants), de proposer un autre voeu, beaucoup plus bref :

« Si nous parvenons à rassembler deux ou trois millions de signatures de catholiques, juifs, musulmans, animistes, républicains, libres–penseurs, et autres zappeurs, nous, communauté protestante, décidons de disparaître, de nous supprimer comme institution, et d’exercer à nouveaux frais, avec les moyens qui nous reviendrons ainsi, et avec tous les autres qui auront décidé de se joindre à nous, l’art éthique qui définit le protestantisme par rapport à toute culture, et que, croyons–nous, Jésus pratiquait avec la loi ou la tradition hébraïque de son milieu : délivrer l’autre monde que cette tradition, cette religion ou cette culture portait dans son sein comme une enfance interdite, et comme sa promesse ».

Olivier Abel

Publié dans Autres Temps n°39