Un ange en songe est venu me confier le droit de faire un voeu. Me souvenant des erreurs irréparables de nos contes de fée, j’ai essayé de ne pas me précipiter, et voici: je souhaite que mes contemporains ne négligent pas de formuler des voeux. Je crains en effet que nous avancions peu à peu dans un monde où plus personne ne s’y ose. Mais faire un voeu, c’est comme allumer son briquet dans la nuit, avouer où l’on se tient, et lancer une promesse au-delà de soi-même.
Il y a trop eu de « voeux pieux », dira-t-on, et l’enfer est pavé de bonnes intentions. Faudrait-il pour autant se mettre en boule et ne plus rien souhaiter, dans la crainte que le voeu se transforme en maléfice? Est-ce une raison pour ne plus risquer le moindre voeu, c’est à dire pour ne plus avouer ce mélange de volonté et d’appel qui fait le propre du voeu? Pensons plutôt: à quelles conditions un voeu pas trop pieux pourrait-il être assez intelligent pour se faire compatible avec le cours complexe du monde, et assez résolument scandaleux pour rompre avec l’injustifiable.
Et comment puis-je risquer un voeu qui pour ne pas être insignifiant doit être cohérent avec ma forme de vie entière, mais qui ne doit pas pour autant étouffer la possibilité d’autres voeux à côté de lui, après lui? Ces obligations sont celles de mon métier de moraliste, et je suis moins payé pour énoncer des règles que pour formuler des voeux. Pour donner aux autres le désir d’imaginer le possible et le préférable; de faire ensemble des voeux.
Olivier Abel
publié dans La Croix du 1er janv.1998.