Dans l’état actuel de polarisation de l’opinion publique, peut-être que le PACS est la moins pire des solutions, mais il est évident que le débat est mal parti. Il a obligé les uns à dire « oui » en gros, confusément, sans poser la question frontale de la reconnaissance d’une conjugalité homosexuelle, et les autres à dire « non » en bloc, préoccupés par la filiation et la place de l’enfant. On aimerait commencer par distinguer un peu plus la conjugalité de la filiation, non pour les séparer mais pour les articuler de telle sorte que l’une ne soit plus subordonnée à l’autre. Comment faire tenir ensemble ces deux dimensions du lien social: l’une plus horizontale, dans la libre-alliance entre des égaux, et l’autre plus verticale, dans la protection du « petit » que demande la filiation, qui n’est pas contractualisable. Il fallait probablement passer par l’union libre pour opérer une véritable émancipation de la femme. Mais ce que ne voient pas les concubins qui refusent le mariage, c’est que l’institutionnalité conjugale est l’acceptation courtoise de la possibilité du désaccord. La conjugalité n’est pas faite que de consentement. C’est pourquoi le mariage n’est pas un sacrement religieux, mais le lieu proprement civique où l’on apprend qu’un contrat doit pouvoir supporter des conflits, des différences. Tout ceux qui ont fait l’expérience d’un mariage mixte ont découvert cette dimension politique du mariage. Nous devons refuser la séparation entre des passions désinstituées et une institution réduite à l’utilitaire, qui pareillement nient le temps et la possibilité des conflits conjugaux. Et repenser ensemble le mariage. Ce qui est gênant dans le PACS, c’est qu’il liquide le problème de la conjugalité dans une société « libérale », réduite au jeu des consentements privés. C’est l’honneur des couples homosexuels que d’avoir posé ce problème. Ils ont compris que dans une société précaire la fidélité est un bien inestimable, sans cesse menacé et qui doit être protégé: il faut les aider à instituer leurs unions. Mais je ne comprends pas ce que cherchent dans le PACS les couples hétéro-sexuels qui refusent le mariage et qui veulent n’instituer que leur parentalité. Ou plutôt je le comprends trop bien. Contrairement à ce qu’on croit, aujourd’hui c’est le retour de la filiation qui domine, sous la figure du retour aux traditions, à la loi, à la place du Père. Dans une société où tout est précaire, flexible et jetable, tout le poids du désir de stabilité et de durabilité s’est investi dans le désir d’enfant. Ce désir est d’autant plus fort que personne ne croit à la conjugalité, je veux dire à la possibilité d’une fidélité capable de tenir tête au temps, à la multiplicité des relations, au conflit, aux discontinuités mêmes. La filiation est devenue le seul lieu de notre assurance face au temps, et c’est cette charge effrayante qui pèse sur les frêles épaules de nos enfants. Si nous trouvions le sens d’une conjugalité qui sache faire place au temps et au désaccord, nous aurions moins besoin de la filiation. Et le fond du problème est là, où le débat public n’a pas encore été porté. Il ne faudrait pas le refermer aussitôt dans les termes d’un problème où personne ne se reconnaît vraiment.
Olivier Abel
Publié dans Ouest-France 8 Oct 98.