Il n’y a plus de vrais débats, entend-on partout. C’est presque un lieu commun. Mais quand un « vrai » débat apparaît, peut-être parce qu’on ne sait pas encore le formuler de telle sorte que tout le monde s’y reconnaisse, on le refoule et le réduit à des « affaires » personnelles, d’où ils ne sortent que par leur poison.
Réforme a publié la semaine dernière sous le titre « Avis aux donateurs » de la Fédé et appelant ceux-ci à se montrer méfiants, un courrier légèrement empoisonné. Je ne l’ai pas assez goûté pour savoir s’il s’avérera vraiment roboratif pour la Fédé, s’il entre dans un vrai projet qu’on aimerait d’ailleurs partager, ou s’il vise simplement une liquidation. Rompre avec un discours de complaisance pour voir les réalités en face est juste et vital, non seulement pour la Fédé, mais pour toutes nos Églises aujourd’hui. Mais tirer sur une ambulance, ou lancer un coup de pied sur un adversaire déjà à terre, c’est se trahir.
Voici plusieurs années que je ne préside plus la Post-Fédé et que je ne suis plus les débats de la Fédé que de loin, sans d’ailleurs en partager tous les points de vue. Mais je connais la double difficulté financière et de diminution d’audience qu’elle traverse (là encore comme d’autres secteurs importants de nos Églises). Et je pense que la Fédé, loin d’être liquidée (le capital comme le réseau étant « remis à la masse » pour d’autres projets), doit prendre toute sa place parmi nos institutions. Le difficile est qu’il lui faut tenir ensemble l’exigence de la durabilité et celle de la marginalité; et l’équipe actuelle, jusque dans son éclatement, est porteuse de cette double-exigence que je trouve légitime.
D’un côté la Fédé est un théâtre qui dure davantage que les générations successives, qui doivent à la fois reconnaître leur dette envers les prédécesseurs et laisser place aux successeurs (une place qui ne soit pas une « terre brûlée »), dans cet incessant échange entre les générations qui fait la force de la Fédé. Je crois que l’âge étudiant doit aujourd’hui être élargi à l’âge lycéen, et je regrette que la Fédé, à Bièvres ou ailleurs, n’ait pas mis davantage le paquet sur l’apprentissage des langues par les échanges internationaux.
De l’autre la Fédé, dans la configuration éphémère qu’à chaque génération prend son réseau, représente un délicat travail sur des marges que d’autres groupes plus directement ecclésiaux ne sauraient toucher: si on mélange tous ces cortèges on les perdra tous. Et même s’il est utile de les fédérer, cela n’empêche de laisser tranquillement apparaître les complémentarités; c’est à dire les controverses confessantes qui les traversent. Il ne faut pas que la peur fixe à l’avance des rôles qui interdisent le débat, et il y a aussi place dans nos Églises pour le « libéralisme anti-individualiste » que représente la Fédé actuelle.
Comment faire honneur aux conflits qui nous déchirent, sans nous prendre pour autant trop au sérieux? Au lieu de demander à chacun de remettre à sa poubelle ce qui nous chagrine, nous ennuie ou nous révolte, pour revenir au conformisme des débats établis, il faut peut-être accepter que nos voix se cherchent ailleurs, comme si les vieux conflits en cachaient d’autres, plus vivants, que nous ne savons simplement pas encore nommer. Confiance!
Olivier Abel
Publié dans Réforme n°2905, 14 déc 2000.