Il a beaucoup été dit qu’avec le vote du premier tour des présidentielles nous étions entrés dans une crise de la démocratie et de la représentativité. Mais nous devons peut-être aussi accepter de nous voir ainsi tendu un miroir assez représentatif, quoique peu sympathique, de la réalité de notre société. Un passant télévisé simplifiait : « Le Pen pose les bonnes questions, et Chirac propose les bonnes réponses ». Qu’il soit permis de rappeler qu’il y a quand même des problématiques meilleures que d’autres. Le tour pris par le débat a chassé les bonnes questions, comme une fausse monnaie facile chasse la vraie. La problématique ainsi simplifiée peut démocratiquement être très représentative et néanmoins très nocive, en masquant à la société la hiérarchie politique de ses vrais problèmes, dont la représentation demanderait un délicat travail de formulation à plusieurs. De ce travail le parti socialiste non plus, installé au pouvoir depuis trop longtemps, n’a pas encore compris qu’il était incapable tout seul.
La société française semble apeurée, frileuse, et demande plus de sécurité. Il lui échappe peut-être que nous sommes dans un monde très dangereux, et que nous avons aujourd’hui moins besoin de sécurité que de courage, de capacité quotidienne à payer de notre personne. Je sais que j’en parle à mon aise, et qu’il existe des quartiers difficiles —j’y ai passé moi même mon adolescence, il est vrai en des temps plus cléments. Mais il y a un électorat « rurbain », tranquillement installé dans les pantoufles de ses lotissements protégés, et qui crie au loup : je pense inutile de chercher à le sécuriser davantage. Gageons d’ailleurs que si nous envisagions avec plus de courage l’avenir de nos enfants et celui du monde, nous n’aurions pas si peur des effets de notre « après moi le déluge » général.
Il y a pire : la société française est profondément chauvine, repliée sur elle-même, hérissée de petits conservatismes, attachée à son statu quo. Le slogan frontiste « la France, aimez la ou quittez la », dévoile involontairement le fond du problème : la France n’est plus attractive, les expatriés du monde entier préfèrent aller en Allemagne, en Angleterre, ou aux USA. Si notre pays avait été capable d’accueillir les artistes algériens qui cherchaient refuge, ou d’attirer bientôt les intellectuels israéliens en exil, quel signe de vitalité ce serait ! L’apparente question « il y a trop d’immigrés » n’est que le masque de ressentiment de la question « plus personne ne nous aime, et ceux qui viennent chez nous ne le choisissent pas, ils le font juste de façon utilitaire ». Gageons que si les immigrés optaient pour la France avec enthousiasme, ils y seraient mieux accueillis. Mais comment voulez-vous qu’ils « nous » aiment si nous ne nous aimons pas nous-mêmes, si nous n’avons pas le début du commencement d’un brin de confiance en nous ?
C’est cela que je crains : que les nationalismes qui s’affichent çà et là n’apparaissent que comme des fanatismes, des rictus de confiance en soi, au moment où justement on n’y croit plus et pour pallier à cela. Je ne sais pas bien ce que nous préparons ainsi, mais je sais que la guerre est souvent au détour des chemins de l’histoire, comme la seule issue parce qu’on s’est interdit tout le reste, et que la guerre n’a pas besoin d’ennemis pour organiser sa grande migration dans le néant. Tout ce que nous faisons ressemble à une préparation à la guerre. C’est pourquoi je pense essentiel, tant qu’il en est temps, de tenter de réinventer ensemble le politique, entendu comme la seule chose capable d’entraver la guerre, de formuler les vrais conflits, d’installer des compromis durables.
Et pour cela, il y a un mot dont je me méfie comme de la peste, et qui doit au moins être pris avec de très grandes précautions : c’est celui de « résistance ». L’abus de ce terme le dévalorise, comme si nous étions toujours dans des situations d’exception où il fallait des actes et des caractères d’exception pour nous en tirer. Dans la bouche de tous ceux qui, bras croisés, dans la posture du spectateur, se contentent de dénoncer les insuffisances de la politique ordinaire et ne lèvent jamais le petit doigt pour soutenir la vie ordinaire des institutions civiles, je trouve cela du faux-monnayage, de l’usurpation. Ce « politisme » est à la politique ce que le moralisme est à la morale, la morale de ceux qui prétendent ne pas faire de morale et se considèrent hors discussion. Ce fut longtemps le discours dit « politicien » de nos très carriéristes gestionnaires de la chose publique. Mais aujourd’hui, voter de façon protestataire et ensuite ne jamais se sentir quotidiennement concerné, politiquement impliqué par les résultats de son choix, manger en toute bonne conscience à tous les râteliers, tel est le carrefour géométrique de l’apolitisme, du consumérisme de gauche comme de droite qui bat aux portes de notre histoire, comme une nouvelle barbarie.
Une alerte inachevée
survaloriser le poids dans la population des « classes moyennes » (le vote jospin est très cadre professions supérieures, intellectuelles ou intermédiaires). Et ce, alors même que le dernier recensement indique que 56% de la population est constituée d’ouvriers et d’employés. (également: individualisation du salariat, montée de l’ individualisme, diversification du salariat qui fait que les gens ne se reconnaissent plus forcément dans la catégorie ouvrier, notamment telle qu’elle est travaillée par le PC)
PAr ailleurs, l’opposition français étranger (et non plus ouvrier patron) se développe, non au sens juridique, mais des apparences ethniques.
D’après Corcuff, ces deux clivages connaissent des évolutions symétriques. Quand l’un se développe (95: clivage justice social), l’autre régresse. D’une certaine manière ils seraient antinomiques. En 95, un article de national hebdo qualifie le mouvement de dangereux pour eux parce qu’il met l’accent sur la question sociale alors que la vraie question serait la question nationale.
Le 1° mai pour le FN était jusqu’en 96 associé uniquement à Jeanne d’Arc, après, il est également fête du travail. (le social est constitué comme sous point de la question raciale ou nationale)
Par ailleurs, on assiste à un processus d’ethnicisation dans la société, qui n’est pas uniquement un produit politique arbitraire du FN,
Un clivage représenté par les élites Giscard, de Closets, la fondation Saint Simon, Esprit se voulait ternaire: quelques pauvres, une classe moyenne énorme et quelques riches.
Fragilité responsabilité vulnérabilité capacité
il a suffit de parler d’insécurité pour penser immigration, de dire jeune pour penser jeune maghrébin etc Au lieu de parler d’insécurité on pourrait parler de marginalité pour indiquer que le phénomène n’est pas central.
éviter le racisme de classe -fait notamment des bobos- à l’encontre de tout ce qui est « beauf »,
hausse des prix
dsk les héritiers armature de notre société stabilité transmission aux enfants durabilité sécurité
filiation le père rassurant, clivage à prtir du patrimonial
demande de conflictualité, conflit qui cherche à se formuler, grogne antimondialiste
haut les rapides précèdent bas ceux qui ont du mal à suivre
trop d’inégalité entre des gens trop proches différentiel de chomage
société des rumeurs incpable de faire avec les rumeurs
la fête inversion des rôles
un ps non pluriel
les élites de gauche les meilleurs à tout point de vue sur tous les tableaux les 35h
constitution de 58 une const de crise
impuisance de la gauche européenne
ça suffit la cohabitation
décence et humiliation, inégalité injustice, aliénation
proposer un autre cadre d’interrogation le global le mondial avant le local
un mode de vie non universalisable
ni la gauche gestionnaire ni le cartel des anti tous les mêmes tous pourris
la bonne vieille opposition gaulliste socialiste
ouvriers jetables compétitivité angoissée abandonnés
rhétorique de la nostalgie travail famille patrie
On connaît l’histoire de Cincinnatus, enlevé par ses concitoyens à sa charrue devant le danger des Eques et des Volsques, et quittant la magistrature une fois le péril écarté, pour retourner à son champ. Cette histoire est aussi frappante pour nous qu’elle l’était sans doute pour les anciens Romains. Une des grandes difficultés dans la vie des hommes et des femmes qui se sont engagées dans la politique au point d’avoir eu un mandat électoral, une responsabilité ou un office, c’est d’avoir un jour, ou de temps en temps, la sagesse de se retirer, de se désengager. Comment faire pour ne pas se laisser prendre au piège d’une carrière où l’on entre par conviction et compétence, parce que d’autres vous y appellent, et où l’on reste en cumulant les mandats, parce qu’on n’a plus d’autre « raison sociale » ? La dépendance financière mais aussi psychologique d’une carrière politique est un des plus graves facteurs de démoralisation quant au sens du politique, et d’immoralité cynique, épuisée ou résignée des politiciens eux-mêmes. Comment penser et organiser le « retrait », non certes de la vie politique, mais de ce qu’on appelait à Rome les honneurs, de telle sorte que ceux qui n’ont pas de fortune personnelle, ou qui se refusent à monnayer leur audience politique dans un poste administratif inamovible, puissent sortir de la course au pouvoir aussi librement qu’ils y sont entrés ?
Cette question est irréductible à un aménagement technique. Elle soulève l’ensemble de la définition que nous donnons à la vie politique, c’est-à-dire aussi à la citoyenneté et à la souveraineté. Tout citoyen doit pouvoir entrer dans l’exercice à plusieurs du pouvoir et en sortir, à tous les échelons de la vie politique. Et cet exercice favoriserait en retour pour les « politiques » la distance critique avec leur mandat, le déploiement pour eux d’autres horizons et rôles possibles, d’autres manières de s’identifier. Mais cela suppose une conception entièrement renouvelée de l’action politique, et de l’autorité. D’une part en effet nous sommes prisonniers d’une conception « fabricatrice » de l’action, et nous la durcissons dans une efficacité d’ingénieur qui doit changer le monde. D’autre part, nous sommes captifs d’une tentation « dénonciatrice » du pouvoir, qui est toujours l’autre, ce à quoi nous devons résister. Or il n’y a de puissance publique qu’autant que y nous participons, dans toute la pluralité de nos forces, et y compris par nos désaccords : ce serait même la définition de la puissance souveraine, et de la volonté générale, que la faculté de soutenir un désaccord optimal. Mais cela suppose dans le même temps d’accepter et d’honorer le caractère fugace de la parole et de l’action, et qu’en la matière, nous ne puissions faire quelque chose pour toujours. C’est cela qui nous est le plus difficile, et c’est pourtant le plus urgent.
La vie politique se tient dans l’espace interrogatif ouvert par la question : qui sommes-nous pour vivre d’autant plus ensemble que nous nous distinguons davantage les uns des autres? Et que nous nous distinguons d’autant plus que nous nous effaçons pour faire place à notre tour à d’autres, qui nous succèdent —comme si, à chaque génération, il fallait réinventer ensemble cet espace commun. Les institutions sont comme ce théâtre, cette scène plus durable que nos actions et nos paroles éphémères. C’est aussi celle où nous cherchons à dévoiler « qui » nous sommes, de quoi nous sommes capables ou incapables. Les conditions de la vie politique sont donc de donner à chacun de quoi paraître, un droit de cité, la possibilité d’interpréter devant les autres qui il est, et de lui redonner cette chance si elle est menacée. Mais elles sont aussi de donner à chacun de quoi se retirer —la précarité économique, l’absence d’un logement aimé, notamment, ruine définitivement la participation à l’espace public.
C’est ici que j’en reviens à mon sujet initial, avec l’étonnement qu’il existe parfois des paroles et des actions qui n’ont apparemment plus aucun pouvoir, qui se sont comme détournées du pouvoir, qui ne cherchent pas l’efficacité, qui ne campent pas non plus dans la dénonciation, mais qui ne sont pas sans autorité. J’appelle autorité le fait d’une parole qui « autorise », qui « approuve », sans jamais pouvoir obliger, le fait d’une parole résistible. Hannah Arendt insiste sur cette différence romaine entre la potestas (force, puissance) et l’autorité, qui n’est rien d’autre que l’augmentation ajoutée par le Sénat aux décisions politiques, comme une approbation, ou une confirmation. Et elle s’attriste du fait qu’une fois perdue cette distinction, ni les révolutions ni les restaurations n’ont pu réinstituer l’autorité manquante —d’où le fait que nous ne sous sentions plus autorisés, approuvés. Or l’expérience et la possibilité de telles paroles me semble liée au fait que nous fassions place, dans la vie politique, à la possibilité de sortir de la course au pouvoir, pour exercer justement cette autorité. Loin de discréditer ceux qui ont « perdu » les élections, il faut valoriser la crédibilité particulière de ceux qui ont exercé le pouvoir et qui n’y sont plus.
Schopenhauer nous conduit beaucoup plus loin dans cette voix que Hannah Arendt. Il rapproche la morale, la connaissance et l’art dans une faculté de représenter. Mais la représentation ici n’est plus une aliénation de la volonté. Elle est la faculté de faire voir et de faire entendre, de montrer ou de formuler ce que les autres veulent, et qu’ils n’osent pas vouloir. Cela suppose une sorte de détachement dans la lutte pour la survie ou pour le vouloir-vivre. Cela suppose d’accepter de décliner, de laisser place à d’autres. Ce détachement n’est pas une indifférence, mais un retournement, une conversion du regard, une libération. Le détachement est la condition de la souveraineté, comme faculté d’autoriser les autres. L’élément du détachement est la reconnaissance, la gratitude. Car l’autorité n’est pas la dissymétrie qui m’est imposée, mais ce qui me donne confiance dans ma propre parole. Elle est ce qui m’autorise. Ce qui me donne autorité, ce qui m’autorise à paraître à mon tour dans l’espace commun, ce qui me donne de quoi me distinguer, et ce qui m’autorise à m’effacer —c’est probablement le plus délicat. Qu’est ce qui peut m’autoriser à accepter la fragilité de mes actions, de mes paroles, de ma brève parution à la face de ce monde ? C’est parce que cette question est inéliminable, métaphysiquement, politiquement, psychiquement, qu’on ne peut pas éliminer la question de l’autorité, de la souveraineté détachée.
Olivier Abel