Le 12 novembre, Georges Bush et Tony Blair ont tenu une conférence de presse commune pour annoncer qu’ils allaient aider les palestiniens à créer les structures d’un Etat démocratique, indépendant et viable. Il faut dire que l’occasion est historique : Bush réélu a les coudées franches, la mort de Yasser Arafat ouvre un espace nouveau à l’invention de solutions entre la Palestine et Israël, dont on sous-estime en France la profondeur du ressentiment envers l’ancien chef de l’OLP — et réciproquement, on sous-estime la profondeur de la méfiance accumulée par Yasser Arafat à l’égard d’Israël, là où ses successeurs seront peut-être à la fois plus radicaux et plus pragmatiques, moins sentimentaux. L’occasion est historique, mais au fond Bush n’a pas dit grand chose, ne s’est engagé à rien de ce que venait lui demander Tony Blair. Celui ci voulait refaire un pont entre les USA et l’Europe, et les remettre ensemble au travail, dans le cadre d’une large conférence internationale, pour établir les conditions de la paix. Et après tous les sacrifices que Blair avait consenti pour son soutien sans faille aux américains, il pouvait légitimement espérer être entendu. Si telle est la bonne interprétation, alors la déception de Blair doit être grande, et augure mal de la suite, avec une diplomatie américaine insensible à tout ce qui n’est pas son propre agenda messianique.
On peut cependant proposer une autre interprétation de cette prudence à saisir une occasion historique, et se demander si Bush, en refusant de trop s’engager, veut éviter les effets d’affiche qui font plus de mal que de bien, et laisser la place à tout ce que la situation permet de pragmatisme, dans les deux camps — et au-delà dans l’ensemble des forces concernées par le conflit, Europe comprise. Si tel était le cas, il faudrait que l’Europe aussi, et la France d’abord, soit prête à manifester sa bonne volonté, à ne pas toujours supposer de la part des Etats Unis une volonté impériale. Mais que pourrions nous apporter, au-delà du capital de sympathie dont nous pouvons disposer auprès des Palestiniens, qui pourrait crédibiliser le soutien occidental à l’existence pacifiée de deux Etats égaux en dignité ? Peut-être une réflexion renouvelée sur la frontière. Car l’Europe, cahin-caha, est en train de bricoler une sortie du nationalisme qui ne passe pas tant pas une sorte de super Etat que par l’institution de compromis entre des Etats qui ont leur territoire et leur souveraineté, mais qui ont aussi leur règles communes et leurs interdépendances, qui les obligent mutuellement.
Ce qui s’invente ainsi, c’est une nouvelle forme de frontière, qu’il nous faudrait mieux penser, puisque tant de problèmes de par le monde, et d’abord le problème palestinien, ont été engendré par la conception nationaliste des frontières, qui ne laissait place qu’à des bourrelets de non-droit, dont les camps palestiniens ont jeté pour longtemps le modèle. Les Etats Unis sont sortis de ce piège en inventant une société d’immigration où chacun, quelle que soit son origine, renait en quelque sorte comme libre-citoyen d’une société, au risque d’un messianisme de la nouvelle alliance. L’Europe travaille sur une sorte de frontière interne, qui tisse la solidité de son tissu par des généalogies, des appartenances, allégeances ou attachements multiples, de telle sorte qu’à terme il n’y aura plus tant besoin de durcir les frontières extérieures, au risque d’une complication identitaire qui ressemble à une sclérose. Entre la conception américaine de la frontière et la conception européenne se trouve la vraie compétition, la compétition pour trouver la forme d’Etat et de citoyenneté qui succédera au désormais impossible Etat-Nation.
Olivier Abel
Envoyé le 16 novembre 2004 à La Croix