L’anniversaire de la loi Veil, dans un contexte qui a changé car nous sommes désormais beaucoup plus sensibles à la fragilité des vivants, et nous savons que rien ne peut banaliser le drame intime de l’avortement, doit cependant être l’occasion de rappeler que cette loi indispensable a permis d’éviter le pire.
Mais dans le même temps, en augmentant la sphère de ce qui est désormais soumis à la possibilité de choisir, on a probablement encore augmenté l’angoisse.
De moins en moins les enfants arrivent : de plus en plus chacun d’eux doit avoir été voulu.
Comme l’explique Luc Boltanski dans le livre qu’il vient de publier » La condition fœtale » (1), lorsque l’avortement, jadis clandestin, a en quelque sorte éclaté au grand jour, il a dévoilé le caractère tragique de la condition humaine.
Face à lui, chacun prend conscience qu’il aurait pu ne pas exister, qu’il est bien sûr irremplaçable mais dans le même temps tout à fait remplaçable.
Rompant cette alternative, les deux postures extrêmes qui se sont opposées ont été deux tentatives pour évacuer le tragique : la première en estimant que l’embryon est un matériau de la vie qui appartient à la femme, et que l’enfant peut emprunter en quelque sorte indifféremment n’importe quel de ces matériaux ; la seconde en lui conférant dès la conception un statut de personne irremplaçable et vulnérable, devant être protégée à tout prix.
Mais le tragique qu’avait bien révélé la loi Veil, et souligné le texte de la Fédération protestante il y a 10 ans (l’embryon est à la fois complètement une personne et pas du tout une personne) est que l’embryon, dépend de ce que nous en faisons, et notre responsabilité ne peut être déchargée sur un quelconque statut de l’embryon.
Or cette responsabilité semble trop angoissante, et on la fuit aujourd’hui dans la nouvelle idéologie du projet.
Pas d’enfant sans projet.
Les bons fœtus, ceux qui sont voulus, s’inscrivent dans un projet parental.
Et cette conception amputée et effrayante du lien, de la rencontre, comme une de ces nouvelles idoles que dénonçait Ellul, est en train de submerger nos vies.
Olivier Abel
Publié dans Réforme n°3106, 9 décembre 2004