Platon
Le Callidès : Frappé par la mise à mort injuste de Socrate, Platon a beaucoup réfléchi sur la violence. Ce dialogue met Socrate en difficulté face à la posture de Callidès, qui soutient « la raison du plus fort ». Platon montre la faculté de « justification » (fût-ce par le mensonge cynique) que donne la force. Il montre aussi que la violence et le mensonge font couple, sont inséparables.
P. Bayle
Dictionnaire historique et critique : En dressant cette histoire monumentale et fragmentaire des violences et des mensonges de l’histoire, Bayle part d’une conception calviniste relativement pessimiste de l’homme : « il préfère se faire du mal pourvu d’en faire à son ennemi plutôt que de se procurer un bien qui tournerait aussi à l’avantage de son adversaire ». Calviniste aussi l’idée qu’il faut cependant aimer l’homme tel qu’il est, avec sa violence.
J.-J. Rousseau
L’origine de l’inégalité parmi les hommes : Pour lui, les violences ne sont pas « naturelles » (essentielles, constitutives) mais historiquement dues aux formes prises par nos sociétés. On peut donc critiquer cette évolution contingente et proposer une refondation non-violente de la société. Pour Sade, si on laisse faire la nature, c’est immédiatement le plus fort qui l’emporte.
E. Kant
Critique de la raison pratique et Petit traités historiques : du point de vue de la raison pratique, la violence est interdite parce qu’elle traite autrui comme un moyen et non comme une fin. Mais du point de vue historique, les conflits, les discordes et même les guerres (qui « font plsu de méchants qu’elles n’en suppriment » ont eu pour effet bénéfique de disperser l’humanité, d’en augmenter la variété et la libre-communication.
G.W.F. Hegel
La phénoménologie de l’esprit : Hegel a fait de la dialectique, c’est-à-dire de la lutte entre le maître et l’esclave, le cœur battant de l’histoire humaine, qui est tout entière un drame de la reconnaissance. La violence y joue un rôle central car c’est elle qui oblige les êtres à se modifier, elle introduit en eux le conflit de l’ancien qui fait place au nouveau. Mais Hegel est aussi le penseur du Droit, de l’institution qui structure ce conflit et lui donne une forme historique.
A. Schopenhauer
Le monde comme volonté et comme représentation : En dévoilant que le fond de la réalité est énergie et volonté, vouloir-vivre, Schopenhauer fait de la lutte pour la vie le ressort du monde. Pour échapper au cycle infernal de cette violence et de cette souffrance, il faut se détacher du vouloir-vivre, par la compassion et par la contemplation.
F. Nietzsche
La généalogie de la morale : à l’inverse de Schopenhauer, Nietzsche estime que la lutte pour la vie est l’élément de la créativité et de la joie. A cette violence active, il oppose une violence « réactive » et malade, méchante, pleine de ressentiment, une violence qui veut la mort et le néant, et non l’affirmation de la vie : dans leurs systèmes judiciaires, et religieux, punitifs, nos sociétés sont des « systèmes de cruauté ».
S. Freud
Malaise dans la civilisation : Le conflit entre la mulsion de vie (eros) et la pulsion de mort (thanatos) est, pour le fondateur de la psychanalyse, à la fois la confrontation fondamentale de la vie psychique et le drame qui traverse la vie collective. La civilisation ne réprime et « sublime » les pulsions destructrices qu’en faisant de même avec les pulsions de vie. D’où malaise.
G.Simmel
Le conflit : Dans ce petit traité, remarquable par ses analyses de la jalousie, le sociologue allemand montre que la violence se déclenche quand la société veut revenir à l’unité, ne supporte plus autant de tensions, de discordes, de disparités.
G. Bataille
La part maudite et Théorie de la religion : parce que nous devons dépenser et détruire en pure perte les excédents (économiques, démographiques, culturels) qui ne peuvent pas servir à la croissance du système, les sociétés qui savent « dépenser » leur violence sont moins violentes que celles qui veulent la contenir, la canaliser et la réinvestir dans un surcroît de puissance. La fin des religions sacrificielles ouvre un âge de guerres de plus en plus terribles.
S. Weil
Œuvres : Dans « L’Iliade ou le poème de la force » (non publié en 1940), elle montre que la force inhumaine s’empare tour à tour de chacun des protagonistes, réduit ceux qui lui font face à des choses, et l’emporte au-delà du seuil où à son tour il devient cadavre. Les humains retrouveront « le génie épique quand ils sauront ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les ennemis, et ne pas mépriser les malheureux ».
P. Ricœur
Histoire et vérité : Face à « la tentation terrible de la bonté », Ricoeur estime que la violence accompagne l’histoire jusqu’au dernier jour, et qu’il faut donc instituer et « armer » le magistrat, tout en écoutant la protestation non-violente. C’est que la violence n’est pas seulement une question morale et individuelle, mais qu’elle traverse les grands registres économiques, politiques et culturels de notre existence collective.
R. Girard
La violence et le sacré : toute société est fondée sur une violence primitive, qui prend la forme de l’exclusion mimétique et jalouse d’un bouc émissaire. Cette violence est ensuite ritualisée sous forme de sacrifices symboliques et finalement occultée et refoulée dans l’intérêt de tous. Selon Girard, Jésus a été crucifié pour avoir « vendu la mèche », dévoilé et rendu inopérant le mécanisme du bouc émissaire.
Notions
Hostilité – inimitié : ce sont, en latin, les deux façons de nommer l’antagonisme, qui peut être l’ennemi lointain, l’anonyme, l’étranger, ou au contraire le proche avec lequel on se déchire, justement parce qu’il est trop proche, trop ressemblant.
Humiliation : la violence morale, verbale par exemple, ou due à une posture, à une mise en scène où l’on utilise son pouvoir contre l’autre sans lui laisser aucun contre-pouvoir, est souvent pire que la violence physique. L’humiliation engendre et prépare les violences futures.
Typologie rapide :
- Violence contre soi, suicide
- Violences domestiques, famille
- Violences de rue, agressions
- Violences sociales et économiques, violences ethniques, racismes
- Violences mafieuses, crime organisé
- Violences terroristes, guérilla
- Violences d’Etat sur minorité
- Violence d’Etat à Etat, guerre
Olivier Abel