André Gounelle, Le dynamisme créateur de Dieu, Paris : van Dieren, 2000. 236 p.
Paul Ricœur, « Les temps du texte », Etudes théologiques et religieuses, n°2005/4 supplément.
En juin 1988, Jean-François Lyotard publiait dans Critique un texte important. « Le temps, aujourd’hui[1] » proposait un diagnostic du malaise de notre civilisation quant au temps. Mon propos est de montrer en quoi il s’agit aussi d’un vieux problème théologique. A cet égard, Dieu est l’anachronique par excellence. Mais il y a plusieurs configurations de l’anachronique. Dans la lignée de Leibniz et de Whitehead, avec la process theology[2], ou bien dans celle d’Augustin et de Kierkegaard, pour prendre deux exemples, on verra combien tout a été essayé quant au temps, et comment de grandes options théologiques sous tendent les philosophies du temps et de l’histoire qui se sont combattues et succédées[3]. Mon propos est aussi, prenant pour corpus de référence l’ensemble des variations sur le temps que l’on peut trouver dans l’œuvre de Paul Ricœur, de chercher brièvement en quoi ce dernier répond et ne répond pas à l’interrogation angoissée que soulevait Lyotard. Ce sera ma manière ici de saluer la disparition de l’auteur de Temps et Récit, et de jeter un regard sur une œuvre qui vient de s’achever, de s’ouvrir à la lecture[4].
L’inhumaine accélération
Nous partirons donc du constat banal que nous avons un problème avec le temps. Et d’une observation issue des travaux de Norbert Elias, qu’entre le temps cosmique et le temps vécu se déploie la forme que prend le temps dans une société donnée : le temps est toujours institué par une activité très complexe de coordination qui consiste « à mettre en relation deux ou plusieurs séquences différentes de transformation, l’une servant d’échelle de mesure de temps pour l’autre ou les autres »[5]. Bref, pour Elias, et c’est là une première remarque théologique, c’est nous qui produisons le temps, et nous y croyons comme autrefois on croyait aux masques ou aux totems. Nous sentons même probablement le temps comme jadis on sentait les dieux. Et naguère encore il aurait été inimaginable de quantifier les punitions judiciaires par le temps.
C’est d’abord que dans cette histoire du temps, l’âge des machines a exigé et permis une formidable standardisation du temps, un besoin supérieur de synchronisation, une obligation de ponctualité, un sentiment de perpétuel rattrapage. Une grande partie de ce qui nous arrive peut être caractérisé comme une accélération. A cet égard, on remarquera que nous n’avons jusqu’ici inventé que des « machines à accélérer », à rattraper les retards.
Cette accélération cependant n’est pas seulement technique, elle est en quelque sorte intersubjective — Husserl déjà, suivi en cela par Lévinas, proposait une genèse du temps dans l’intersubjectivité. C’est qu’avec l’ouverture de chaque nouvelle relation, la densité du temps augmente, comme si le temps se logeait dans l’écart et l’intervalle des points de vue. Mais si jusqu’à un certain point cet écart donne du temps, le trop grand nombre de relations l’émiette et l’abrège[6]. Le temps accélère et se raccourcit ainsi avec le nombre et la vitesse des échanges et des déplacements entre humains, comme si la densité démographique déterminait une sorte de masse chronologique en mouvement. Pourquoi désirons-nous nous déplacer de plus en plus, et de plus en plus vite? Qui aujourd’hui pourrait rester longtemps au même endroit ? Pourquoi sommes nous drogués au déplacement ? Et pourquoi avons-nous réduit le temps à n’être que l’axe homogène, cumulatif et irréversible du développement des échanges, de ce déplacement massif, de cette délocalisation généralisée?
Au début, c’était une libération, et nous avons déployé la liberté de choisir nos combinaisons, nos conditions, de nous impliquer simultanément dans plusieurs liens, dans divers « jeux » . Mais nos machines en tous genres nous offrent désormais trop de possibilités, trop de connexions, et sont trop rapides pour nos capacités : nous sommes comme ces joueurs placés dans un jeu virtuel où, ayant réussi à renvoyer correctement une balle, on vous en envoie trois, quinze, cinquante : et soudain non ce n’est vraiment pas possible, on « craque » on ne peut plus. Nous ne parvenons plus à comprendre ce qui nous arrive ni à sentir ce que nous faisons[7].
C’est que nous avons ici affaire, nous pouvons le sentir physiquement, à quelque chose d’inhumain, qui nous traîne à sa suite. Le processus d’ouverture généralisée des communications entre toutes les entités capables de recevoir et d’émettre (personnes privées, institutions de toutes sortes, médias, musées, bibliothèques, laboratoires, entreprises, administrations, Etats, mafias, etc.), à l’échelle de la planète entière, ne peut plus prétendre promouvoir l’humanisme, la gentillesse de l’échange ni la communication sans entrave qui n’exclurait personne. Cela fait longtemps qu’il oblige de gré ou de force les autres sociétés à entrer dans l’orbe de son Développement. Ce processus communicationnel d’essence technologique et connectique est en train de prendre son libre essor sans égards aux intérêts de l’humanité. Il a commencé à pousser au détriment des vivants, des vertébrés, des mammifères et des humains pour libérer peu à peu sa folle complexification, sa capacité à tenir compte du maximum d’éléments de l’environnement et à obliger le maximum d’éléments de tenir compte de lui.
Comme le remarque Lyotard, ce processus inhumain a déjà commencé à abandonner comme inutile et superflue une partie de l’humanité (le quart monde de la misère), et une partie de nos corps (remodelage des sexes et de la génération, télécommunications et techniques d’identification implantées dans le corps, neurosciences, etc.). Il « manage » peu à peu la forme de nos sociétés et de nos existences, pour préparer ceux d’entre nous qui pourront encore lui servir à quitter une condition terrestre d’avance condamnée. Et nous sommes tous subjugués par ce joueur de flûte qui nous entraîne où nous ne savons pas, nous avons seulement eu le temps de comprendre que cet Inhumain-là n’est pas le Dieu que nous avions cru.
La limite idéale de cette opération serait de rendre tout le monde et complètement contemporains[8], mais en attendant tout le monde est en retard ! Heureusement sans doute car si tous les points de vue sur le monde étaient branchés sur le même temps réel, dans un réseau total en quelque sorte, si tous étaient vraiment contemporains, il n’y aurait sans doute plus de réalité, plus de monde, plus aucun temps. Nous serions dans ce que nos pères appelaient le Royaume de Dieu.
Il y a donc une théologie implicite à ce rapport au temps, et cette théologie mérite une enquête, pour comprendre comment l’on a bifurqué vers cette monstruosité. On pourrait d’abord dire qu’au temps des Réformes apparaît aussi un sentiment eschatologique, où dans le temps qui reste on n’a plus le temps de s’amuser, il faut se dépêcher, et préparer méthodiquement la venue du Royaume. Mais cette accélération messianique elle-même, qui ne devient folle[9] qu’au moment où elle se sécularise complètement dans le mythe du progrès, ne se comprend que sur le fond d’un autre bouleversement, le passage d’un régime de temporalité à un autre[10].
C’est que dans l’Antiquité, le monde était globalement vivant, et c’était la mort qui était l’énigme. Or avec la Renaissance le paradigme change, comme l’observait diversement Alexandre Koyré et Hans Jonas : le monde infini est mort et soumis à l’entropie, et c’est la Vie qui est cette inversion cosmo-locale énigmatique, un îlot de néguentropie. La science moderne nous a fait tellement croire à l’universelle Entropie que nous idolâtrons la croissance, la complexification, la Gnose qui va peut être nous permettre d’échapper à ce monde d’avance « foutu ». Le schème central est bel et bien théologique.
Lyotard et le temps comme complexification
La plus ample façon de caractériser cette néguentropie vive est de la présenter comme une équation entre l’intelligence et la puissance, entre ce que l’on peut recevoir et ce que l’on peut donner. On approche ici de la Monadologie de Leibniz, dont on sait qu’elle est une réponse géniale au problème de la théodicée. Mais on s’approche aussi de l’analyse de Lyotard que j’évoquais en commençant, et que je viens de côtoyer sans cesse. Je cite :
« On a quelques raisons d’imaginer deux limites extrêmes à la capacité de synthétiser une multiplicité d’informations, l’une minimale, l’autre maximale. Telle est l’intuition majeure qui guide l’œuvre de Leibniz, en particulier la Monadologie. Dieu est la monade absolue pour autant qu’elle conserve la totalité des informations qui constitue le monde en une rétention complète »[11].
Dieu, la grande monade, comprend tout le passé et tout le futur. A l’autre bout du cosmos, il y a des petits êtres qui ne retiennent rien, qui ne comprennent rien, qui n’agissent sur rien.
« dans ces conditions, en l’absence de tout filtre faisant interface entre input et output, cet être se situerait au degré zéro de la conscience ou de la mémoire. C’est cet être que Leibniz nomme point matériel » (ibid. p.72).
Même cet être cependant déforme légèrement les informations qu’il reçoit, dispose d’une mémoire élémentaire et d’un filtre temporel. Nous mêmes en ce sens sommes des appareils à différer, c’est à dire à enregistrer et délivrer plus tard, et d’une façon modifiée, ce que nous avons reçu[12]. C’est ainsi que le temps émane de la matière, mais de deux façons divergentes : d’un côté par une sorte de dégradation entropique de l’information, et de l’autre par un processus néguentropique d’augmentation, de complexification[13]. Et l’originalité de Lyotard est de montrer que le véritable danger désormais est moins l’entropie, directement, que l’emballement d’un processus néguentropique devenu fou[14].
Lyotard, attaché depuis sa critique des Grands Récits à démonter les leurres et les illusions de ce désir d’émancipation qui est au cœur de la métaphysique moderne, voudrait en quelque sorte sauter du train en marche :
« l’espèce humaine est en quelque sorte tirée en avant par ce processus sans avoir la moindre capacité de le maîtriser (…) et si nous pouvons en prendre conscience aujourd’hui, c’est en raison de la croissance exponentielle qui affecte à présent les sciences et les techniques. Le réseau électronique et informatique qui s’étend sur toute la terre donne naissance à une capacité globale de mise en mémoire qu’il faut estimer l’échelle cosmique, sans commune mesure avec celle des cultures traditionnelles » (ibid. p.75-76).
Lyotard, qui définit l’axe du progrès technique comme la capacité à stocker des informations et à augmenter la performativité, place l’Argent et l’échange monétaire au coeur de ce processus destiné à neutraliser tout ce qui pourrait arriver : l’Argent est du temps stocké en vue de prévenir ce qui advient, et l’échange est une manière de tenir déjà le futur, de l’anticiper, de le comprendre dans une sorte de présent élargi. On comprend mieux ainsi pourquoi le culte de l’Argent est d’un monothéisme aussi exclusif. Il faut entrer dans l’échange, passer par ce « un seul », ou disparaître. Le Capital est ainsi bien plus qu’un phénomène économique et social : c’est une religion, un système fiduciaire qui déplace aisément les montagnes.
Les grands récits d’émancipation, loin de s’opposer à cet impitoyable processus, n’ont fait qu’en élargir le lit. C’est que
« la modernité n’est pas selon moi, une période historique, elle est une façon de mettre en forme une séquence de moments de façon que cette dernière accepte un taux élevé de contingence. Il n’est pas insignifiant que cette formulation puisse se vérifier sur des œuvres aussi diverses que celles d’Augustin, de Kant ou de Husserl. La description de la synthèse que j’ai donnée en commençant appartient également à la modernité ainsi comprise. Mais ce qui mérite attention, c’est que la métaphysique moderne a cependant donné naissance à la reconstitution de grands récits — Christianisme, Lumières, romantisme, l’idéalisme spéculatif allemand, le marxisme » (ibid.p.79).
Au lieu de proposer une figure du temps rythmique et stabilisée, où la fin coïncide avec le commencement, ces grands récits périodisent, installent un procès scandé par des seuils irréversibles et révolutionnaires[15]. Or, encore une fois ces grands récits ont été eux-mêmes en quelque sorte théologiquement programmés dans les épîtres de Paul et dans les morphologies narratives des Histoires du Salut (création, chute, rédemption, ou bien fondation, captivité, libération) dont nos conceptions modernes du Progrès et du Développement ne sont que la sécularisation.
Théologies du temps
On pourrait objecter à Lyotard qu’il ne s’oppose qu’à une conception leibnizienne du temps. Dans la mesure où ce qui arrive à notre expérience du temps est l’issue actuelle de ce vieux problème théologique, il ne serait pas inutile de tenter d’autres bifurcations. Après tout, on pourrait montrer que théologiquement tout a été essayé, et que les théologies sont comme des réserves d’axiomatiques possibles du temps. Pour schématiser, on dira déjà que les conceptions occidentales du temps ont oscillé entre deux grandes traditions, l’une plus ontologique et cosmologique, celle du temps du monde, et l’autre plus subjective et existentielle, celle du temps de l’âme.
Dans Temps et Récit, Ricœur prend son départ dans l’écart entre Aristote et Augustin[16]. Pour le premier le temps est une réalité cosmique et physique, puisqu’il permet de mesurer le mouvement. Mais il affecte plus ou moins les êtres, et les vivants éphémères, sujets à la croissance et à la décroissance, sont plus variables que l’être en tant qu’être, que ce Dieu impassible, ce moteur premier dont l’immobilité est proche d’une éternité parménidienne où tout est définitivement et entièrement contemporain[17]. Nous avons donc à des degrés variables un monde durable. Certes ce schème, plus ou moins mâtiné avec la conception plotinienne du temps, a dominé les conceptions médiévales du temps. Mais il n’a jamais entièrement supplanté l’idée d’Augustin, que le temps est une distension de l’âme, car le présent de l’instant vécu est si exigu qu’il n’apparaît que dans un élargissement, par la rétention d’un passé, par l’attente et l’anticipation d’un futur, par l’attention même qui espace le présent[18]. Le sujet est ainsi comme écartelé par une discordance qui structure sa temporalité : ici c’est le sujet qui dure, qui supporte la distorsion, mais qui espère se fondre un jour dans l’éternité de l’aujourd’hui de Dieu. On remarquera ici ou là que Dieu, le dieu des philosophes comme celui des prophètes, permet de penser ce que nous ne sommes pas, d’imaginer d’autres modèles de temporalité.
En se rapprochant de nous, on pourrait montrer la réinterprétation de cet écart chez Leibniz et Kierkegaard. Leibniz développe une conception monadologique du temps où chaque point correctement déplié contiendrait tout — pour celui qui saurait déchiffrer les replis du temps et du monde qui y sont enveloppés, c’est à dire là encore pour Dieu. Si le temps réside dans la différence (retard, réduction de retard, avance) entre le reçu et le donné, l’intelligence et la puissance d’une monade, sa faculté de tenir contemporains ce qu’elle reçoit et ce qu’elle fait, est ce par quoi elle résiste à la désagrégation. La plus puissante monade sera capable de rendre contemporains la plus haute densité de compossibles, dans un présent assez large pour contenir tous les temps. A la limite dans la Grande Monade, tout est présent. Pour nous bien sûr, limités comme nous le sommes, pris entre des durées plus éparpillées et des durées plus intenses, il y a de l’incompossible, du successif, de l’irréversible car le passé n’est plus, de l’imprévisible.
On pourrait poursuivre : ce que nous avons c’est le temps, qui fait de la place pour d’autres êtres qui se succèdent. Notre temporalité, c’est bien notre capacité à supporter cette distorsion, à retenir un passé même déformé, à contenir le futur. Notre mortalité, c’est le point de rupture, notre impuissance à retenir, à remanier, à réinterpréter : on devient alors soi-même un vestige, matière à être plus ou moins retenu par d’autres monades. Et la composition de tous ces intervalles entre les monades constitue le monde, une façon pour le sujet de s’oublier, de se laisser remettre à sa place dans l’immense.
Kierkegaard sur-creuse à sa façon la question augustinienne de l’instant et de son point subjectif. Même sa trop fameuse théorie des stades pourrait être relu comme une théorie du sujet, esthétique et attaché à l’éphémère, éthique et confronté à la durée, religieux et voué à l’éternel. Dans les Miettes philosophiques particulièrement il oppose le temps successif des générations, des généalogies, avec leurs décalages et leur anachronisme subi. Et le temps de l’instant, du saut qui par-delà le présent saisit la constellation actuelle, de la discontinuité qui rend le disciple singulier immédiatement contemporain du maître. Ce sont deux sortes de temps très différents : le premier est celui de la véracité plus ou moins contrôlable à travers la distance prise par les générations, et leur incessant remaniement. Mais pour le temps du second genre la génération postérieure n’est pas plus éloignée de l’événement que la génération des premiers disciples, elle est tout autant contemporaine, par une décision de type bultmanienne[19], où l’on perd la contemporanéité chronologique pour acquérir la véritable contemporanéité. C’est comme s’il fallait désynchroniser, ou laisser se désynchroniser, se désembrayer en quelque sorte, sortir du monde par le rêve ou la fiction, pour accéder à ou réembrayer sur une resynchronisation supérieure, dans un déplacement par lequel on éprouve des contemporanéités insoupçonnées[20].
Deleuze, relisant la reprise ou la répétition de Kierkegaard, y déchiffre une capacité de sélection, de choix, on pourrait dire de bifurcation — ouvrir d’autres passés du présent, et d’autres futurs du passé. A lire Kierkegaard, on croit entendre le témoin non entendu, le mélancolique Hamlet, celui qui voudrait communiquer à ses contemporains le singulier, l’irréparable, et qui ne parvient pas à savoir comment se faire entendre : il se replie alors hors du temps, dans un passé qui pourrait se refermer sur lui. Qu’est ce que l’histoire, sinon ce deuil, cette lente sélection et séparation entre ce qui est fini et ce qui n’est pas fini, entre l’absent et le présent ? Et parfois la révolte de la mélancolie, de ce reste chiffonné qui revient du passé ? Ou l’ironie prophétique qui ne parvient plus à croire à la réalité du monde commun[21]? Kierkegaard est ici sur une ligne qui annonce Walter Benjamin, mais sachant qu’on ne pourra rien sauver.
En reprenant le premier versant de notre oscillation, si nous prolongeons encore un peu la théologie de Leibniz vers nous, nous trouvons un des plus grands courants de la théologie américaine, la théologie du process, qui n’est d’ailleurs pas très éloignée de l’idée bergsonienne d’une évolution créatrice où « le monde est une entreprise de Dieu pour créer des créateurs ». Face à l’entropie du monde, il n’y a que des événements, comme une perpétuelle injection de nouveaux possibles, qui sont d’abord des combinaisons, des liens inédits entre chaque événement et tous les autres, et qui ouvrent des possibilités d’existence. Dans ce process, qui est Dieu, « Dieu donne à la plus mince et fugitive expérience une durée sans fin, il en fait une harmonique de la symphonie du monde »[22]. Cette théologie est directement issue de Procès et réalité, la grande œuvre de Whitehead, que Deleuze présentait comme le vrai successeur de Leibniz. D’une part il s’agit de penser l’événement dans le monde :
« c’est bien la première composante ou condition de l’événement, pour Whitehead autant que pour Leibniz : l’extension. Il y a extension lorsqu’un événement s’étend sur les suivants, de telle manière que qu’il est un tout, et les suivants ses parties. Une telle connexion tout-parties forme une série infinie qui n’a pas de dernier terme ni de limite (si l’on néglige les limites des sens). L’événement est une vibration, avec une infinité d’harmoniques ou de sous multiples, telle une onde sonore, une onde lumineuse, ou même une partie d’espace de plus en plus petite pendant une durée de temps de plus en plus petite »[23].
On peut alors penser un événement qui ouvre la possibilité d’autres, au lieu de s’imposer:
« car c’est avec Leibniz que surgit en philosophie le problème qui ne cessera de hanter Whitehead et Bergson : non pas comment atteindre à l’éternel, mais à quelles conditions le monde objectif permet il une production subjective de nouveauté, c’est à dire une création ? Le meilleur des mondes n’avait pas d’autre sens : ce n’était pas le moins abominable ou le moins laid, mais celui dont le Tout laissait possible une production de nouveauté, une libération de véritables quanta de subjectivité privée » (ibid. p.107).
Cette créativité rythmique par laquelle plusieurs entrent en concrescence et deviennent un cependant que l’un devient plusieurs, ou par laquelle une entité actuelle est à son tour objectivée pour être préhendée par une autre, doit précisément me semble-t-il être pensée comme faisant face à ce que Whitehead appelle après Locke le perpétuel dépérir du monde :
« le mal ultime du monde temporel est plus profond que n’importe quel mal spécifique. Il réside en ce que le passé s’évanouit, en ce que le temps est un ‘perpétuel dépérir’. Objectivation implique élimination. Le fait présent ne comporte pas le fait passé dans sa pleine immédiateté (…) Pourquoi n’y aurait-il pas nouveauté sans perte ? »[24].
Telle est exactement la question théologique centrale pour Whitehead[25]. C’est une question assez radicale, et une tentative de réponse assez saisissante, pour que les lecteurs français s’y attardent un peu plus qu’ils ne l’ont fait. Quoi qu’il en soit, le temps de l’entropie est bien le fond sur lequel la pensée doit arracher la possibilité d’un temps inverse, comme dans le mythe du Politique de Platon, d’un temps qui augmente la densité du monde en information, d’un temps qui surabonde, contienne et comprenne tout.
Les temps de Ricoeur
La question soulevée par Lyotard[26] pourrait rester ici en suspens, dans le sentiment que le conflit entre ces diverses conceptions du temps n’a fait qu’aiguiser le problème. Entre une conception augustinienne, discontinue et pessimiste du temps qui dégrade, avec l’obligation critique de restituer ou de rendre la dette par une faible fiction, et la conception leibnizienne d’une continuité de la durée qui déplie les réserves de la vie, où le temps fait place et garde mémoire, on pourrait dire qu’il n’y a pas de médiation possible. Mais on pourrait aussi dire que les deux finissent par se rejoindre, comme le montre d’une certaine manière Deleuze, dans une conception du temps non plus comme forme esthétique mais comme force dynamique : il fallait d’ailleurs perdre la clarté esthétique des formes pour reconquérir la dynamique des puissances éthiques, de ces noyaux éthiques, des volontés formatrices ou déformatrices de temps, capables de rétension, protention, répétition[27]. Il resterait cependant alors à montrer en quoi une telle philosophie de la vie résiste à cette gnose néguentropique à laquelle trop souvent on assimile la Vie.
J’emprunterai ici pour finir un autre chemin, plus détourné. Celui d’un autre auteur qui touche à des questions théologiques mais toujours en philosophe, avec un sens aigu de la séparation des registres. Commençons par la fin : le Parcours de la reconnaissance s’étonne de la dissymétrie entre l’acte de reconnaître et la demande à être reconnu, et pointe ce décalage ou cet intervalle qui fait sentir l’altérité de celui qui donne et de celui qui reçoit, ou de celui qui reçoit et celui qui rend. C’est par la gratitude que l’on entre dans le temps de la reconnaissance : accepter d’avoir reçu. Plus encore que la conscience de la mort, c’est pour Ricœur me semble-t-il dans cette expérience de la gratitude, où ce que nous donnons diffère librement de ce qui nous a été donné, que se situe la temporalité la plus native.
Justement Ricœur n’a eu de cesse de pluraliser le temps, d’en différer la question et l’aporie. Autre le temps cumulatif des techniques qui se sédimentent et s’additionnent, comme si l’humanité n’était qu’un seul homme, autre le temps discontinu des cultures et des arts, rompu par la naissance et la mort, où tout doit en quelque sorte recommencé à chaque fois. Il y a une non contemporanéité du contemporain, et une contemporanéité du non-contemporain, avec des décalages sur des lignes de temporalité différentes, un différentiel des horizons d’attente : « une civilisation n’avance pas en bloc ou ne stagne pas à tous égards. Il y a en elle plusieurs lignes (…) La vague ne monte pas au même moment sur toutes les plages de la vie d’un peuple (…) Devant le tout de l’histoire, nous ne pouvons dresser un bilan; il faudrait que nous soyons hors du jeu pour faire l’addition; il faudrait que le jeu soit clos ». Tout ce qu’on peut faire c’est « essayer des schémas (…) multiplier les perspectives sur l’histoire (…) garder le sentiment de la discontinuité des problèmes »[28] et se garder de prétendre dire le dernier mot.
On peut déchiffrer, derrière ce scepticisme méthodique de philosophe, un discret contrepoint théologique : c’est que l’unité du temps est elle même une figure de l’espérance, et que cette figure ne saurait être usurpée dans une synthèse qui serait une « fraude dans l’œuvre de totalisation »[29]. L’espérance apparaît toujours chez Ricœur comme une figure quasi kantienne de la limite, d’une finitude qui se refuse à faire la synthèse hégélienne ou la récapitulation théologique qui en serait la réconciliation[30]. Jusqu’à la fin des temps, nous demeurons dans le conflit des temporalités. Cette impossibilité, on a vu qu’on la retrouve aussi en amont, quant on cherche en phénoménologue une origine du temps, une expérience du temps originaire : on est toujours déjà dans l’écart donation-réception. C’est que cette expérience « n’est jamais vécue directement, qu’elle ne consiste jamais dans un vécu immédiat et muet, mais qu’elle est toujours articulée par des systèmes symboliques ». Et « c’est parce qu’elle est opaque qu’elle ne peut être dite que dans des systèmes symboliques dont l’articulation culturelle est inéluctablement multiple, divergente, voire contradictoire »[31].
Dans Temps et Récit, on trouve la même démarche de retournement d’une aporétique de la temporalité en une poétique qui traverse les variations et le conflit des représentations du temps, et qui introduit entre le temps vécu et le temps cosmique toute une série de tiers temps narratifs et historiques appuyés sur des procédures de connexion diverses comme le calendrier ou les généalogies[32]. Cette démarche de complication du temps entrave l’opposition simpliste, qui a longtemps prévalu en théologie, entre le temps grec plus cosmologique et le temps biblique plus historique. S’appuyant entre autres sur le remarquable Biblical words for time de James Barr (1962), Ricœur n’a eu de cesse de pluraliser chacun des deux pôles. Il n’y a pas de temps biblique unique, mais des expériences schématisées au travers de genres littéraires divers. C’est de cette idée formulée dès les années 70 que sortent les études qui culminent dans Penser la Bible[33]. Dans une étude sur le récit de la Passion, Ricœur montre l’échec du Grand Récit, où la Bible entière ne serait qu’une Histoire du Salut sinon une Théologie de l’Histoire qui donnerait à chacun sa place et résoudrait tous les problèmes. L’originalité de Paul Ricœur a été de montrer qu’il existe une grande diversité de genres bibliques (récits, lois, fables, psaumes, prophéties, proverbes, dialogues, liturgies, lettres, etc.), dont chacun d’eux développe un rapport spécifique au temps : l’antériorité de la torah qui est toujours déjà là s’oppose au temps brisé de l’irruption prophétique, et à l’éternelle quotidienneté de la sagesse.
Attardons-nous à ces trois genres. Ricœur s’intéresse d’abord au fait que dans la grande tradition deutéronomique les Récits et les Lois soient enchevêtrés, de telle sorte qu’il y a une narrativisation des prescriptions de la Torah, rattachée à des circonstances et rapportée en quelque sorte en l’absence du Législateur, et qu’inversement le récit fondateur devient l’histoire d’une fidélité à la parole donnée, d’une persévérance ou d’une récalcitrance. On est ici dans le temps d’une antériorité irrévocable, d’un ordre du monde toujours déjà donné, où le présent est comme autorisé et augmenté par cet éternel passé.
C’est « une cassure dans la structure temporelle de la tradition que produit l’irruption du message prophétique ». Sa vitupération consiste moins dans une prévision que dans l’annonce que l’ordre de l’alliance est rompu, que la longue sédimentation de commentaires, de controverses et de fables rabbiniques sur le juste s’effondre sur le néant, que les fondations se dérobent. Le prophète est cette « sentinelle de l’imminence » qui fait voir un présent plus réel que celui de l’idéologie dominante, l’imminence du terrible, et qui est là. Il rouvre cependant ainsi des promesses écrasées et oubliées, et rappelle une espérance première, un horizon, une visée plus radicale que toutes les règles et tous les contrats. Quand même le genre prophétique, virant à l’apocalypse, sort du monde, c’est pour libérer un potentiel d’espérance, faire voir que le monde n’est pas fini.
A leur tour les écrits de sagesse, Proverbes, Job, l’Ecclésiaste, ne se désintéressent de l’histoire qu’en s’attachant au quotidien immémorial, ce temps ordinaire qui en se raconte pas. Ces petites fables et maximes de la vie quotidienne, ou de la quotidienne création du monde, ne méprisent pas les petits arrangements du savoir-vivre, et développent un sens du présent qui caractérise la sollicitude de la charité ou d’un amour pur qui n’attend plus rien. Elle véhicule aussi le sempiternel de la plainte, du renoncement à comprendre. Ou bien, à chaque jour suffisant sa peine, elle peut aussi se retourner dans l’attitude de la louange et la gratitude que « cela soit », dans l’aujourd’hui de l’hymne.
Chacun de ces genres déploie une manière spécifique de moduler le temps, mais aussi d’engendrer des sujets lecteurs à géométries ou plutôt à anachronies variables. Le texte ne brise les cadres temporels et ne suspend le temps ordinaire que pour ouvrir en nous une autre temporalité. De même le récit suspend notre subjectivité ordinaire, pour nous donner une subjectivité neuve. Puisqu’à côté d’un massif narratif important il y a dans la Bible d’autres formes textuelles, nous ne devons pas bâtir trop vite une « théologie narrative » exclusive. Entre l’extrême singularisation dans l’interprétation de la Loi pratiquée par Jésus, pour qu’elle soit juste avec chacun, et cette sorte de cosmos représenté dans l’Apocalypse et d’où tout individu a disparu, le sujet n’a pas la même place. Et on se demande parfois si c’est du même Dieu qu’il s’agit. « Le référent ‘Dieu’ est ainsi visé par la convergence de tous ces discours partiels. Il exprime la circulation du sens entre toutes les formes de discours où dieu est nommé. (…) Le référent ‘Dieu’ n’est pas seulement l’index de l’appartenance mutuelle des formes originaires du discours de la foi, il est aussi celui de leu inachèvement. Il est leur visée commune et ce qui échappe à chacune »[34].
Si donc, parmi ces différentes figures, certaines ont pu faire la place à une équation maximale de la puissance et de l’intelligence (mais il faut encore faire entrer dans cette équation la bonté, comme Leibniz et Whitehead tentent de le faire), d’autre au contraire disent la faiblesse, la plainte, la protestation, l’énigme, l’inattendu, mais aussi bien la demande de justice, ou bien simplement la gratitude, le consentement à s’effacer. Ces différentes théo-logiques du temps empêchent l’une d’elles de se prétendre la seule, elle ne cessent de se corriger, de se retarder, de se ralentir mutuellement. Ces quelques suggestions ne répondent pas à la question de Lyotard, mais elles suffisent à la compliquer, elles réouvrent des temporalités autres, anachroniques certes, mais parfois moins inhumaines que notre temps.
Olivier Abel
Notes :
[2] On en trouvera un excellent condensé dans André Gounelle, Le dynamisme créateur de Dieu, Paris : van Dieren, 2000.
[3] Nous aimerions tous disposer d’un gigantesque dictionnaire des formes du temps déposées dans l’archéologie des cultures et des techniques.
[4] La revue de l’Institut Protestant de Théologie, Etudes théologiques et religieuses (13 rue Louis Perrrier 34000 Montpellier) dans un supplément à son n°2005/4 intitulé « Les temps du texte », a rassemblé un volume de quelques textes de Ricœur parus dans cette revue, dont « nommer Dieu » (déjà repris in Lectures 3, Paris : Seuil, 1994), et d’autres inédits auxquels je fais allusion ici.
[5] Norbert Elias, Du temps, Paris : Fayard, 1997, p. 81.
[6] Les relations donnent du temps, car elles le diversifient ; au-delà d’un certain seuil cependant les relations prennent trop de temps, le pulvérisent, l’annulent. Au-delà d’une certaine fragmentation, quand les morceaux de temps ne sont plus assez gros, ils ne servent plus à rien.
[7] Ce débordement cependant freine le processus, comme si toute accélération engendrait des ralentissements, des embouteillages.
[8] La technique porte une autre façon de nous obliger à être contemporains, ce sont les moyens de guerre : Hiroshima est un éclair de contemporanéité, une manière de mettre tout le monde à l’heure.
[9] Je veux dire complètement autonomisée.
[10] Pour faire vite, on passe d’un temps cyclique, qui mesure les répétitions, ou d’un temps encore divers, à un temps processus irréversible unique, bien meilleur instrument de comparaison, comptabilité et coordination des actions.
[11] J.F. Lyotard, L’inhumain, causeries sur le temps, op.cit. p.71.
[12] Mais c’est aussi le cas de toutes les traces, qui sont comme des anachronismes, des passés-présents, et pourquoi pas le bois brûlant dans la cheminée, délivrant la chaleur des soleils d’antan. Quant aux objets d’art, ce sont à cet égard de curieux trous anachroniques, capables de déformer le temps !
[13] Ce sont à vrai dire les deux sens alternatifs du temps du monde, selon le mythe central du Politique de Platon, texte tout à fait majeur pour notre propos. Mais on retrouve cette dualité dans la durée bergsonienne qui « à chaque instant, se dissocie en deux mouvements, l’un de détente qui retombe dans la matière, l’autre de tension qui remonte dans la durée » vitale (cf. G.Deleuze, Le bergsonisme, Paris : PUF, 1966, Quadrige p.98). Nous avons là deux façons opposées de donner du temps : en commençant quelque chose, car on enclenche un nouveau rythme, un nouvel intervalle intercalé parmi les autres ; en arrêtant quelque chose, car on supprime alors un intervalle, on espace les rythmes.
[14] Enfant, je demandai un jour à mon père de me donner une image de ce que pourrait être la fin du monde : il donna celui d’un écho qui reviendrait plus fort que la voix initiale, ou d’une balle qui rebondirait plus haut qu’elle n’aurait été lâchée.
[15] Dans le même ouvrage, il insiste sur ces figures en re-, et la temporalité spécifique qu’elles déploient (ibid. p.35, par exemple).
[16] Le coup de génie de Ricœur est de faire répondre à l’expérience aporétique du temps chez Augustin (« quand on me demande ce qu’est le temps, je ne le sais plus »), non la physique d’Aristote mais sa poétique. Le temps humain, temps de la discordance que l’on tente de faire concorder dans une intrigue, est un temps raconté.
[17] On peut se demander s’il n’y a pas encore de cela dans l’atemporalité de la volonté chez Schopenhauer.
[18] Cette triple intention ou extase sera centrale encore chez Husserl, Heidegger ou Rozensweig.
[19] Rudolf Bultman, théologien allemand, historien critique du christianisme ancien, fut en débat avec Heidegger et Jaspers, et eut pour étudiants H.Arendt et H.Jonas.
[20] C’est en acceptant de ne pas nous croire si facilement dans le même monde, et de supporter ce décalage, que nous pouvons entrer dans le travail d’anachronisme actif, de nous rendre contemporains, par une intrigue ou une configuration qui nous permet de revenir ensemble au monde.
[21] Soren Kierkegaard, Le concept d’ironie constamment rapporté à Socrate, Paris : l’Orante, 1965, p.235-239.
[22] André Gounelle, Le dynamisme créateur de Dieu, Paris : van Dieren, 2000, II. 5 Le mode d’être de Dieu. Dans cet ouvrage, il cite surtout John Cobb, God and the World, Philadelphia : The Westminster Press, 1969. On peut aussi voir un bel exemple d’une sorte de christologie cosmologique post relativiste dans Raphaël Picon, Le Christ à la croisée des religions, Christologie et pluralisme dans l’œuvre de John Cobb, Paris : Van Dieren, 2003.
[23] Gilles Deleuze, Le pli, Leibniz et le baroque, Paris : Minuit, 1988, collection « Critique », p. 105
[24] A.N Whitehead, Procès et réalité, Paris : Gallimard, 1995, p.524.
[25] « Chaque entité actuelle recueille seulement une portion de l’héritage que lui lèguent se devancières. Au contraire aucun abandon ni aucune omission ne viennent appauvrir le process divin (…) jamais rien ne se perd ; tout trouve sa place en Dieu ». (A.Gounelle, ibid). On peut retourner la question de Whitehead : pourquoi cette terreur de la perte ? de l’effacement ?
[26] Qui est une question foncièrement théologique, si l’on considère sa méfiance à l’égard de la pensée de Saint Paul, et son rapprochement avec une pensée issue de la tradition juive et disant l’enfance, la dépendance, les limites de l’émancipation.
[27] Les habitus sont sans doute essentiels à cette dissymétrie première, puisque comme l’observait Ravaisson, avec le temps la sensation s’émousse et l’action se facilite.
[28] « Le christianisme et le sens de l’histoire » (1951), in Histoire et Vérité, Paris: Seuil, 1964, p.89-97.
[29] « la liberté selon l’espérance » (1968), in Le conflit des interprétations, Paris : Seuil, 1969.
[30] Voir aussi son « Paul apôtre, proclamation et argumentation », Esprit 2003/ 2, p.85-112.
[31] Le problème du temps aujourd’hui tient peut-être selon Ricœur à la désymbolisation de ces codes fragiles. Cf. Introduction à Le temps et les philosophies, Paris : Payot-Unesco, 1978, p.11 sq. On peut compléter cette lecture par son introduction à l’autre ensemble, Les cultures et le temps, Paris : Payot-Unesco, 1975.
[32] C’est dans cette partie sur les générations que Ricœur, en débat avec Dilthey, Mannheim et Schutz, approche au plus près le problème de savoir ce que c’est qu’être contemporains (« durer ensemble »). On se découvre ainsi contemporains de lointains anonymes, de la même façon que dans La mémoire, l’histoire, l’oubli la mémoire des proches (« on ne se souvient pas tout seul ») vient en tiers compliquer la dualité mémoire personnelle et mémoire collective par un travail de rapprochement, un « se rendre proche », comme il y avait un « se rendre contemporains ».
[33] Paul Ricœur, Penser la Bible, Paris : Seuil, 1998. Le texte déjà le plus dense et développé à cet égard s’appelle « Temps biblique », in Archivio di filosofia, LIII (1985) 1, p.23-35.
[34] « Nommer Dieu », (1977) in Etudes théologiques et religieuses n°2005/4, supplément « Ricœur, Les temps du texte » et Lectures 3 op.cit.