Comment ramener les passions humaines à la sobriété des psaumes ? C’est le fruit de la gratitude, celle d’un sujet adulte capable de reporter son souci sur les autres.
Quand on pense calvinisme, on pense rigorisme moral, sinon « réarmement moral ». Un ami genevois a pu caricaturer le sermon d’un pasteur calviniste typique par la formule « tout est permis sauf si ça fait plaisir » ! L’on pourrait brocarder l’esthétique anorexique de l’éthique protestante, ses vêtements noirs et son minimalisme. Des générations entières ont pu souffrir de ce sentiment, non pas tant d’un légalisme que d’une exigence infinie, d’une sorte de perfectionnisme, en particulier au 19ème siècle ? En son temps pourtant Calvin a été l’objet d’une polémique inverse, comme l’« auteur d’une religion de table, de ventre, de graisse, de chair, de cuisine, faite pour établir le règne de Bacchus », et accusé de courir les femmes, d’aimer le bon vin, l’argent, etc. C’est que la liberté chrétienne qu’il prônait faisait imaginer une licence, un libertinage, une débauche, d’où le soin qu’ils mettent à faire de Genève une ville exemplaire. Quand on lit les textes, on voit qu’il a accompagné l’ébranlement psychique de la Réforme, ce profond désangoissement religieux qui entraîne la formation d’un sujet responsable, adulte, qui n’a plus besoin de récompense ni de punition pour être moral. Je voudrais montrer cela en trois temps, et parler d’abord de la gratitude, qui est première, ensuite de la responsabilité morale, faire ensuite une digression sur les effets pervers de cette morale, et revenir enfin sur la sagesse, le sobre usage du monde et l’importance des Psaumes.
1. La gratitude première
Pour partir du commencement, il faut repartir d’avant le commencement, de la seule grâce. Il nous est impossible d’être justes, et il n’y a pas de morale chrétienne. Certes, remarque Luther, nous ne pouvons nous abandonner sans règles ni devoirs à une totale oisiveté spirituelle, comme si nous étions des êtres de pure intériorité : en effet nous sommes aussi des êtres charnels, nous vivons en société, et nous avons besoin des lois de la cité, au sens des lois juridiques et politiques, qui nous préservent du chaos et nous empêchent de nous entretuer. Mais le sens théologique de la loi, comme un pédagogue, est de nous conduire à nous remettre entièrement à Dieu, par l’échec de toute prétention à mériter sa bonté.
Ainsi, la morale n’est pas une voie du salut, car aussi bien que nous fassions nous ne méritons rien, et ce n’est pas pour mériter quoi que ce soit que nous le faisons. La morale ainsi n’a pas besoin d’être couronnée par des punitions ou des récompenses religieuses dans un au-delà, et c’est pourquoi les calvinistes comme Bayle accepteront volontiers la possibilité que les athées soient vertueux. Comme Luther, Calvin refuse le système catholique de la double-morale : la morale générale des « préceptes » pour les fidèles et la morale spéciale des « consilia » pour le clergé. Il y a donc un moment proprement luthérien où la morale est abolie, comme chapitre de la théologie, avant d’être restituée comme chapitre de l’anthropologie. La morale est humaine — au sens où l’on dit l’erreur est humaine.
Calvin cependant pense l’autre versant, après coup. Que se passe-t-il quand on recommence tout, à partir de la grâce ? A quoi bon recommencer, d’ailleurs, si tout est superflu, à côté de la grâce ? Comment penser la morale, quand la grâce nous laisse dans une absolue insouciance de soi — Calvin écrit qu’il faut premièrement se vider de tout souci de soi, et même se son propre salut. Comment faire à partir de là une subjectivité responsable ? Que se passe-t-il pour la morale, après la grâce ? N’est-elle pas abolie ?
La morale frôle ici un abîme, mais c’est justement là que ça devient vraiment intéressant. La grâce pourrait n’être qu’un estuaire où tout s’abolit, mais elle n’existe qu’à être reconnue, et la gratitude peut suffire à reconstruire de part en part une morale adulte, une morale de la sincérité. En effet la grâce ouvre un agir possible, une nouvelle forme de vie, où l’éthique n’est pas de l’ordre de la justification, mais de l’attestation, de l’action de grâce, du rendre grâce, et s’éprouve par des paroles et des actions de grâce, qui sont communicatives.
Le premier terme de l’éthique est donc la gratitude, qui répond à la grâce d’exister en dépit de notre misère, et ensuite d’être pardonnés en dépit de notre ingratitude — c’est le cœur du péché pour Calvin. Car Dieu voit en nous quelque chose à aimer, et nous sommes par lui approuvés d’exister. Dès lors tout est éthique dans l’existence chrétienne. L’éthique absorbe tout, et tout au monde est soumis à la Seigneurie de Dieu. Les textes bibliques, les évangiles, les paraboles n’enseignent rien mais placent l’auditeur en position de responsabilité : qu’est-ce que je fais de ce texte dans ma vie, qu’est-ce que cela modifie ? L’interprétation biblique elle-même est de part en part éthique. Le texte biblique ne se réfère pas à un cosmos mythologique ou allégorique, mais ouvre un monde, devant lui, dont nous sommes les acteurs.
2. La responsabilité morale
Comment parler alors de morale minimale ? Tout est éthique : où réside la sobriété morale annoncée ? C’est que la morale a été déplacée, bouleversée : elle vient en réponse à quelque chose qui la précède. Elle a été désactivée, puis réactivée sur un autre registre, qui la conduit non plus à obéir, à imiter, à suivre des exemples inaccessibles ou des règles à la rigueur impraticables, mais à interpréter librement, en répondant à ce qui l’appelle.
Et cet appel est simple, c’est un appel à aimer. En voici une formule superbe, rédigée en ces années strasbourgeoises, au chapitre 16 de l’Institution : « Nous commencerons donc à la loi morale, laquelle contient deux articles, dont l’un nous commande de simplement honorer Dieu par pure foi et piété ; et l’autre, d’être conjoints avec notre prochain par vraie bienveillance ; c’est pourquoi elle est la vraie et éternelle règle de justice, ordonnée à tous hommes, en quelque pays qu’ils soient, ou en quelque temps qu’ils vivent, s’ils veulent régler leur vie à la volonté de Dieu. Car c’est sa volonté éternelle et immuable, qu’il soit honoré de nous tous, et que nous nous aimions mutuellement ».
Aimer Dieu et son prochain. Tel est l’invariant. Ce n’est pas la supra-morale réservée à une élite chrétienne sanctifiée, mais une disposition commune et universelle au cœur de tous les hommes, qui fait l’axe inébranlable de toute justice. Toutefois les façons d’aimer Dieu, de l’honorer et de lui rendre grâce, les cultes et religions des « lois cérémoniales », sont variés selon les époques et les cultures ; et les façons d’aimer son prochain, de ne pas lui faire ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse, les magistratures et gouvernements des « lois judiciales », varient aussi selon les pays et les climats.
Ainsi le commandement d’amour s’interprète-t-il en contexte, selon des variables historiques et géographiques. Le rendre grâce se donne dans des cultures différentes, de façon diverse. Telle est la « liberté chrétienne », de ne pas s’attacher à une morale particulière, ou plutôt de ne pas la sacraliser. Car les morales concrètes véhiculées par les cultures ne sont que des figures, qu’il faut interpréter pour aller à la rencontre de la singularité du prochain (fût-il lointain), ou des règles qu’il faut « compasser à la règle éternelle de charité ». Car le cœur de la morale consiste en : « ne nous contenter pas nous-mêmes, mais qu’un chacun contente son prochain en bien ». Il faut se faire tout à tous, et à la limite « nous qui sommes robustes » adopter la morale de nos prochains les plus faibles.
Tout cela tend à une seule chose, nous sortir de l’enfance morale. C’est le cœur du chapitre 14 de l’Institution. Il ne faut pas « faire conscience devant Dieu des choses externes qui par soi sont indifférentes (…) sinon nos consciences n’auront jamais de repos, et sans fin seront en superstition ». Au chapitre 15, il donne un exemple amusant : « quoi ? y a-t-il si grand mystère dans la coiffe d’une femme que ce soit un grand crime de sortir en la rue nue tête ? (…) néanmoins, pour bien se gouverner en ces choses, nous avons à suivre la coutume et les lois du pays où nous vivons ».
Calvin refuse l’argument qui consiste à dire que pour ne pas scandaliser les fidèles, il faut « les nourrir de lait ». En effet, « jusques à quand abreuveront-ils leurs enfants d’un même lait ? Car s’ils ne grandissent jamais jusqu’à supporter quelque légère viande, il est certain que jamais ils n’ont été nourris de bon lait ». Le sujet en effet n’exerce pas sa liberté par sa faculté de se soumettre à une règle ou éventuellement de la transgresser : mais dans sa faculté d’être responsable de la règle qu’il pratique, responsable de son interprétation de la règle, responsable de suivre la règle qu’il se donne lui-même. Parfois même d’être responsable alors qu’il n’y a plus de règle qui nous assure de notre devoir.
Cette autonomie n’est pas close sur elle-même, elle répond de son intégrité, c’est-à-dire de sa vérité vitale, de cette forme de vérité qui résiste à la mort, au mensonge et à l’incohérence. Mais elle ne le fait qu’en répondant à sa vocation. Comme il l’écrit à la dernière page de l’Institution : « si nous n’avons notre vocation comme une règle perpétuelle, il n’y aura point de correspondance entre les parties de notre vie ». C’est ici une des sources les plus importantes de l’idéal moral de sincérité, qui fut si important pour la formation du sujet moderne : ne pas se mentir à soi-même, aux autres, ni à Dieu. La conscience désigne seulement ce en quoi nous sommes devant Dieu.
Qu’est-ce donc que la sortie de la minorité ? C’est justement la faculté de gratitude, la faculté de dire merci, d’accepter d’avoir reçu. C’est ici la pierre d’angle de la morale de Calvin. La religion n’a pas à être une pédagogie, ou une « psychagogie ». Ou plutôt c’est une pédagogie qui doit s’effacer pour laisser place à l’autonomie des sujets : Dieu veut des sujets qui soient enfin un peu adultes, responsables. D’où l’importance de la méthode, de savoir s’orienter par soi-même dans les chemins de la pensée et de la vie, et de dire je. Parce que Dieu s’est retiré pour nous laisser grandir, il nous faut une méthode autonome, et recommencer nous-même, méthodiquement, sans nous appuyer sur des traditions incertaines, mais sur la seule chose qui soit solide, la connaissance de Dieu et de nous-mêmes au miroir du texte. Et la règle des règles c’est de connaître nos limites, à partir desquelles tout s’éclaircit : sur tout cela Calvin prépare Descartes, aussi bien que Kant, « la sortie de la minorité », oser penser par soi-même, s’orienter dans la pensée, mais à partir de la connaissance des limites de nos facultés, en ne cessant de défaire les enthousiasmes imaginaires et les fausses rationalisations par lesquelles nous débordons sur ce dont nous n’avons ni l’expérience ni l’intelligence.
3. Interlude : les dégâts de l’émancipation
Telles sont les lignes principales de cette éthique de l’émancipation. On voit qu’elle a joué un rôle central dans la formation du sujet moderne. C’est l’invention d’un sujet bon joueur — c’est-à-dire aussi bon perdant, parce qu’il se sait radicalement approuvé par ailleurs.
Mais c’est du même coup l’invention de son ombre : si l’on oublie la gratitude, il ne reste que l’individualisme et une féroce discipline narcissique de la solitude : exister par soi-même, se suffire, ne rien devoir à personne. C’est justement en cela que cette contre-Renaissance qu’est aussi la Réforme, résiste ce qui, dans l’Humanisme, peut devenir une terrible religion séculière, une religion de l’individu, du sujet-Roi. Qu’est-ce qu’être toujours émancipé, fort, robuste ? N’y a-t-il pas le risque d’engendrer des sujets surresponsables à force d’autonomie, de sincérité et de probité ? Ce sujet ne finira-t-il pas par s’effondrer sous ce poids ? Peut-on ne chercher jamais récompense ni punition, vivre en dehors de toute rétribution, dans la logique pure de la gratitude qui rompt sans cesse toute symétrie, toute réciprocité trop vite instrumentable ? Qu’est-ce qui permet à ce sujet de ne pas être trop désintéressé, décalé, désincarné ? Qu’est-ce qui lui permet d’accepter d’occuper pleinement sa place, de mordre tranquillement dans la pomme du monde ?
Tout cela est ce qu’il faut mesurer, parce qu’il n’y a pas de morale, même excellente à certains égards, qui n’ait des effets pervers, même involontaires, qui ne se découvrent parfois que plusieurs générations plus tard. Mais c’est le paradoxe de la génération, et le tragique de la culture humaine, que ce qui répond pour une génération et la délivre, suscite cela même qui fait problème et qui piège à la génération suivante.
Un bon exemple en est le mariage et l’éthique du couple. Pour bien comprendre ce qui se passe avec Calvin, il faut mesurer l’inversion de paradigme qui est en train de s’opérer : jusque-là un intellectuel devait être, sinon chaste, du moins célibataire. Mais tous les réformateurs sont hostiles au célibat (entendu comme un vœu saint, une œuvre méritoire). Selon Calvin dès le commencement Dieu a mis ensemble l’homme et la femme, afin que les deux ne fassent qu’un, qu’ils préfèrent leur conjoint à leurs parents mêmes, et « qu’ils vivent tellement ensemble que l’un ait soin de l’autre comme si c’était la moitié de sa personne ». Dans le même commentaire de Mat.19, il poursuit : « Dieu qui a une fois prononcé qu’il était bon à l’homme d’avoir la femme pour aide, fera la punition du mépris de l’ordre qu’il a mis : pour ce que les hommes mortels s’attribuent par trop, quand ils présument de s’exempter de la vocation céleste ».
Le mariage n’est donc pas un moindre mal, mais un vœu de Dieu pour l’homme : il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. On notera qu’il ne s’agit pas non plus de fonder une famille et de faire des enfants. Comme dans le Cantique des cantiques, le lien nuptial est une alliance voulue par Dieu, plus forte que la nature, plus forte que le droit : nul ne peut se séparer de sa femme sans se mettre lui-même en pièce, dit-il, serait-elle lépreuse. Il n’y a d’ailleurs plus de monastère pour masquer ses échappatoires. En revanche à Genève le divorce est autorisé, et même le remariage, si l’union a été rompue par l’adultère, mais surtout, ce qui est fréquent dans ces temps de trouble, quand la religion et l’exil a séparé les époux. Et « il faut noter que les deux parties ont semblable liberté ou privilège en ceci, comme aussi il y a égale et mutuelle promesse de loyauté et fidélité l’un à l’autre ». Ce qui apparaît ici c’est la figure du couple moderne, formé par une libre alliance, par un consentement mutuel et un pacte de soin mutuel.
Aujourd’hui que le divorce s’est généralisé, peut-être aiguisé par l’exigence de sincérité qui pousse chaque individu à se chercher lui-même, on sent bien les limites et les dégâts possibles d’un tel modèle de conjugalité. Mais il ne faut pas oublier que longtemps il a porté une véritable émancipation de la conjugalité à l’égard des servitudes de la tradition.
4. La sagesse humaine et l’usage du monde
En tous cas, chez Calvin, cette éthique de l’émancipation passe par la prise en compte pessimiste de la bêtise et de la méchanceté humaines, de la faculté qu’ont les humains de faire leur propre malheur. L’émancipation doit prendre en compte les passions humaines.
Nous sommes en effet portés par une imagination fantastique tantôt à convoiter avec envie et cupidité, tantôt à redouter avec une crainte superstitieuse. Derrière ce jeu des passions de la convoitise et de la crainte, se tient l’alternance de l’adoration par laquelle un objet de ce monde peut être idolâtré, ou de la superstition par laquelle un objet de ce monde peut devenir terreur ou tabou. Sur les deux bords, on peut aller jusqu’à l’idolâtrie ; celle d’adorer des veaux d’or, ou celle de la panique que le mal puisse résider dans des choses. Il y a donc un enjeu proprement religieux à analyser ces deux passions, à les ramener à un sobre usage du monde. D’ailleurs si Calvin et ses amis voient d’un mauvais œil à Genève les jeux de cartes ou de dés, c’est que ces derniers véhiculent toute une religion, une astrologie, qui tiennent les joueurs en superstition.
Cette analyse est valable notamment pour les tous les biens matériels et Calvin les sanctifie comme créatures de Dieu, donc bonnes en tant que telles, pour en désacraliser l’usage : aucun d’eux ne doit être ni adoré ni condamné comme tel. Sinon on s’y perd : « s’il fait scrupule de boire bon vin, il n’osera après en paix de sa conscience en boire de poulsé ou éventé » — Calvin aimait bien le vin et recevait chaque année environ 700 litres de vins pour ses services à la Ville. C’est que le bien ou le mal ne sont pas dans les choses, mais dans leur usage. Certes « les richesses sont bonnes créatures de Dieu, permises et même destinées à l’usage des hommes, et n’est en aucun lieu défendu de rire, de se délecter de musique ou de boire du vin. Mais quand quelqu’un est en abondance de biens, s’il s’ensevelit en délices, s’il enivre son âme et son coeur aux voluptés présentes et en cherche toujours de nouvelles, il recule bien loin de l’usage saint et légitime des dons de Dieu » (chap.14).
C’est cette analyse, appliquée à l’argent, qui dans une lettre fameuse à son ami Claude de Sachin, le conduit à ne pas voir de mal au prêt à intérêt, s’il est mesuré et productif, c’est à dire non pas destiné à une dépense superflue, mais à un investissement. L’argent est alors comme les terres et les marchandises, un moyen. Et on retrouve la même idée dans plusieurs commentaires bibliques. Son argument, c’est que l’argent n’est pas du tout magique ni diabolique : pas de superstition. Mais pas de cupidité : l’argent ne saurait pas devenir une idole non plus, c’est un instrument comme un autre. Et d’ailleurs il faut prêter sans intérêt à un frère dans le besoin.
Convoitise et superstition sont donc des passions à réduire sans cesse, même s’il appartient à notre malheureuse condition humaine de les éprouver et de les reconstituer sans cesse. Et il faudra former notre imagination à cette sobriété.
Mais ces deux passions ne sont peut-être que le dévoiement de deux autres passions humaines qui sont au contraire essentielles à reconnaître, à cesser de refouler au nom d’une honte qui serait une fausse conscience chrétienne, ou bien au nom d’une pseudo-indifférence stoïcienne qui nous prétend détachés du monde. Ce sont la joie et la tristesse. Quand on lit en détail les Psaumes, écrit-il, on y voit « un portrait au vif (…) de toutes les douleurs, tristesses, craintes, doutes espérances, sollicitudes, perplexités, voire jusques aux émotions confuses desquelles les esprits des hommes ont accoutumé d’être agités (…) ce que nous avons honte de déclarer devant les hommes ». Loin de cacher ces faiblesses, « le cœur (…) bien purgé de cette méchante infection d’hypocrisie », la lecture nous autorise pleinement la plainte et la louange. Au miroir des Ecritures, nous nous voyons tels que nous sommes, nous pouvons chanter tels que nous sommes, dépouiller la tristesse et la plainte de l’amertume de l’accusation et du ressentiment, et dépouiller la joie et la louange de la vanité des mérites.
D’où l’importance des Psaumes dans le travail sur soi et la reconnaissance, à tous les sens du terme, de nos passions les plus profondes. Comment interprétons-nous nos passions ? Quel usage en faisons-nous ? C’est ici le cœur de la sagesse dans la spiritualité calviniste, et sur la tranche des vieilles Bibles de famille, ce n’est pas un hasard si l’on verra d’abord salis les Evangiles et les Psaumes.
Je bénirai Dieu en tous temps
Sa louange sans cesse en ma bouche
En Dieu mon âme se loue
Qu’ils écoutent les humbles qu’ils jubilent !
Qui regarde vers lui resplendira
Sur son visage point de honte
Un pauvre a crié, Dieu écoute
De toutes ses angoisses il le sauve (Ps 34)
A voir ton ciel ouvrage de tes doigts
La lune et les étoiles que tu fixas
Qu’est donc le mortel, que tu en gardes mémoire
Le fils d’Adam, que u en prennes souci ? (Ps 8)
Olivier Abel
Publié dans , « A la découverte de Jean Calvin »
Lyon, Editions Olivétan, 2009, p. 45-59.