Le philosophe protestant souligne les points de convergence avec les catholiques : la quête de Dieu et le rapport aux Ecritures. Mais il s’interroge sur le statut théologico-politique de la papauté.
Que retenez-vous principalement du discours de Benoît XVI au collège des Bernardins ?
Le pape développe l’idée que les moines bernardins n’opéraient pas tout ce travail intellectuel pour conserver une culture catholique ou pour créer une nouvelle culture catholique. Leur but était de chercher Dieu. Cette affirmation me semble très importante et c’est un point de communion, au-delà de nos identités confessionnelles, avec les croyants catholiques. A titre personnel, cela effectivement me parle. Actuellement, il y a un quiproquo. Certes, la religion intéresse mais comme culture et uniquement comme culture. Les intellectuels français s’intéressent à cette culture catholique. En même temps, ils laissent complètement tomber la foi et considèrent la recherche de Dieu comme des gamineries. Le pape n’est pas entré dans un combat culturel pour défendre la culture catholique, une posture qui aurait été quasi maurassienne. Il a mis en avant une dimension proprement spirituelle.
En quoi l’intelligentisa française demeure-t-elle, selon vous, catholique ?
Elle est implicitement catholique, inconsciennement pourrait-on dire, involontairement même parfois. Les intellectuels français sont le plus souvent des athées catholiques. Dans leur jeunesse ou leur passé, ils ont quitté le catholicisme. Ils y reviennent par attachement à une culture. Il leur faut du père, un père qui dise la loi, quitte à la transgresser. C’est une position très typique de l’intellectuel français. Nous la retrouvons aussi dans une conception très jacobine, très hiérarchisée du pouvoir, de la cour…
Dans son discours aux Bernardins, Benoît XVI a mis l’accent sur le rapport aux Ecritures. Qu’en retirez-vous ?
Depuis le concile Vatican II, le rapport aux Ecritures est un point de très grande ouverture du catholicisme. Cela continue et cela s’approfondit. C’est un deuxième point de communauté et communion que les protestants peuvent avoir avec les catholiques. Nous partageons toutes ces recherches. Nous aussi, nous ne croyons pas à une sorte d’interprétation des Ecritures sans que soit pris en compte toutes les communautés successives qui ont reçu le texte biblique. L’opposition brutale entre l’Ecriture et la Tradition qui marquait les temps de la Réforme n’est plus d’actualité.
Le discours aux Bernardins est-il une suite à celui prononcé, l’année dernière, à Ratisbonne ?
Nous avons affaire à un pape intellectuel, qui argumente. Ce n’est pas seulement de la pulsion de pouvoir ou de conservation. Le discours aux Bernardins est beaucoup moins anti-moderne, moins agressif à l’égard des Lumières que celui de Ratisbonne. L’année dernière, le pape s’était livré à une critique de la rationalité moderne occidentale. A Paris, la critique est passée en sourdine et Benoït XVI n’a pas insisté sur cette dimension polémique.
Le voyage de Benoît XVI ne laisse-te-elle aussi l’image du triomphe de la papauté ?
C’est ici mon point de réserve. Au cours de son voyage, Benoît XVI a mis en garde contre la séduction des idolâtries. Pourtant tout ce cérémonial autour du pape est quand même de l’idolâtrie ! Il y a un culte de la personnalité absolument incroyable ! La papauté est au coeur du rapport ambigü que nous avons avec le catholicisme comme force politique. L’Eglise catholique est-elle une force politique réellement entrée, comme elle l’affirme sans cesse, dans le contrat de la laïcité ? Ou y a-t-il, dans sa conception de la laïcité quelque chose qui déstabilise sans cesse les termes du problème ? Sous le régime hitlérien, le théologien Karl Barth avait établi trois catégories, trois postures possibles d’une Eglise par rapport à l’Etat : une Eglise d’Etat, une Eglise libre ou une Eglise confessante qui proteste, qui résiste à l’Etat. L’Eglise catholique a pu selon les temps et les pays être tour à tour classée dans les trois catégories, mais en même temps, elle n’est aucune des trois. Car même lorsqu’elle est Eglise d’Etat, l’Eglise officielle de l’Etat comme elle l’a été longtemps en bien des pays, elle est sous les commandes d’un autre Etat extérieur, le Vatican. C’est comme si elle mangeait à tous les râteliers. Elle est elle-même une sorte d’Etat, mais un Etat sans armée, sans moyen de violence, et c’est un vrai paradoxe. C’est un problème théologico-politique. Cet archaïsme, survivance de l’Antiquité et du Moyen Age, est très intéressant. Il peut donner à réfléchir à d’autres formes du théologico-politique. Il faut le penser et non pas uniquement l’instrumentaliser ou le subir. Au delà de notre réaction première de méfiance, il serait intéressant de repenser cela avec nos amis catholiques. Qu’est-ce qu’est aujourd’hui que le rapport de l’Eglise et de l’Etat, et qu’est ce que l’Eglise romaine ?
Olivier Abel
propos recueillis par Jean-Luc Mouton,
publié « L’Eglise catholique romaine, terre de paradoxes » dans Réforme le 18 septembre 2008