La gestion des transports ne concerne pas seulement le déplacement des citoyens. Elle définit un acte de vivre mais révèle aussi les inégalités sociales ou géographiques.
Dis-moi comment tu voyages et je te dirai où tu vis. La voiture est la reine des communes rurales ou des zones périurbaines tandis que le vélo redevient le moyen de transport à la mode des centres-ville. Entre les deux, ce sont les bus et les métros, le tramway de plus en plus, qui permettent le déplacement des citoyens. Selon une étude publiée par la revue Science et décision au mois d’octobre 2006, le recours à la voiture augmente régulièrement lorsque la densité des habitants et des emplois diminue. On passe ainsi de 0,2 voiture par habitant dans les quatre arrondissements du centre de Paris à 0,6 dans les communes rurales ; les habitants des zones les moins denses parcourent 2,3 fois plus de kilomètres que les habitants du centre-ville. Equilibrer la répartition des modes de transport ? Voilà bien sûr la panacée. Mais l’affaire n’est pas si simple.
Depuis plus de trente ans, les problèmes de la ville ont fait l’objet d’une approche globale, urbanistique et sociale tout à la fois. Bien entendu, la question des transports tient une place essentielle dans les dispositifs imaginés. C’est ainsi que la loi du 10 juillet 1989, instituant des contrats de ville, partenariats établis entre tous les acteurs intervenant dans les communes, quelle que soit leur taille, encourage la mise en œuvre de transports en commun accessibles à tous, afin de lutter contre l’enclavement et l’exclusion sociale.
Le succès du tramway
Fin 2007, Michel Destot a présenté, au nom de l’Association des maires de grandes villes de France, qu’il préside, un « Manifeste de 12 propositions pour une ville durable et solidaire ». Ce texte propose notamment de développer les transports en commun et de créer des autorités organisatrices de la mobilité durable.
Si les injonctions et les vœux pieux perdurent, c’est bien parce que les résultats ne sont pas toujours aussi rapides qu’espérés. L’ouverture d’une gare détermine davantage la construction de bureaux que de logements parce que nos concitoyens préfèrent les charmes de la campagne à l’agitation permanente de la ville. Dans ce contexte, condamner le recours systématique à la voiture impose de trouver des modes de transports attrayants. « Les citoyens ont une approche plus globale de l’espace, remarque Noël Philippe, directeur général adjoint des services techniques de la communauté d’agglomération rennaise. Ils sont donc plus favorables à la mixité sociale que naguère et donc tout prêts à utiliser les transports en commun, mais à condition qu’ils se fondent dans le paysage au lieu de l’abîmer. » Le refus de la pollution, visuelle, sonore et olfactive, explique en grande partie le succès du tramway.
« On redécouvre l’eau tiède, s’amuse Pierre Ramette, journaliste spécialiste des chemins de fer. Dès la fin du XIXe siècle, le tramway de Nantes était écologique parce qu’il roulait à l’air comprimé et qu’il se dispensait de caténaires. Mais c’est ainsi, les gens se régalent du tramway parce qu’il est plus doux que l’autobus : il ne secoue pas les passagers, il glisse dans la ville, discret, léger, rapide et régulier. » De fait, le tramway fait un retour en force : le réseau français compte plus de 300 kilomètres de lignes, répartis dans des villes moyennes ou dans des métropoles. Mais le bon vieux métro n’a pas dit son dernier mot parce qu’il passe partout.
A Rennes, dont le centre se compose de ruelles et de monuments historiques fragiles, il était impensable d’établir un tramway. Une première ligne de métro fut inaugurée en 2002 avec succès. « Le tramway nous aurait permis d’entraîner 77 000 voyageurs par jour, aujourd’hui, le métro déplace quotidiennement entre 110 000 et 130 000 personnes, remarque-t-on du côté de la mairie. Grâce au métro, nous avons désenclavé les quartiers réputés difficiles et permis l’accès des étudiants au centre-ville. »
A bicyclette aussi les citadins se régalent. Après Rennes et Lyon, Paris s’est doté d’un système de location qui dépasse les estimations les plus optimistes : un mois après son inauguration, le Vélib’ drainait déjà deux millions d’abonnés.
Attraction des villes
Il reste que la voiture continue de mobiliser les habitants des zones rurales. A Florac, dans le Parc national des Cévennes, la pénurie de transports collectifs impose le recours à l’automobile – y compris par le covoiturage. « La seule liaison de Florac à Alès est faite par un autocar qui part à neuf heures et revient presque aussitôt, s’insurge Daniel Velay, le maire de la commune. Nous ne pouvons même pas aller à Mende en transport collectif. » La Croix-Rouge d’une part, le département et la communauté de communes d’autre part prennent en charge les frais de taxi que les citoyens peuvent être obligés de prendre en cas d’urgence, pour des raisons de santé notamment.
Cette pénurie de transports révèle combien l’aménagement de notre territoire reste déséquilibré : d’un côté, des centres-ville surchargés de moyens de communication, de l’autre des territoires oubliés. « L’attraction des villes est encore manifeste, regrette le philosophe protestant Olivier Abel. Les déplacements sont encore significatifs de la hiérarchie de l’espace social. » Le célèbre architecte Le Corbusier préconisait de ne pas installer les cheminées d’usine là où dorment les ouvriers. L’humanisme qui prédisposait à ce programme n’a plus de raison d’être, à l’heure où les industries lourdes sont installées loin de l’Europe et les villes engorgées par les voitures. « Pour que la vie collective devienne vraiment démocratique, il faut relocaliser les activités économiques, offrir un peu de tout partout, estime Olivier Abel. En associant le travail et l’habitat, en limitant les voyages quotidiens et en stimulant les déplacements courts, on peut faire comprendre aux gens que leur vie garde un sens, même quand ils ne se déplacent pas. »
Olivier Abel
Entretien conduit par Frédérick Casadesus,
publié dans Réforme le 7 février 2008