Qui suis-je pour m’exprimer publiquement ? Cette question, légèrement angoissante et profondément amusante, accompagne toute personne en état d’émission. Pour moi, cette question n’est pas savoir si ce que je dis est spécifiquement protestant. Dans l’éboulement culturel de nos sociétés post-chrétiennes, je trouve inutile de sans cesse se retourner pour voir si notre ombre nous suit ! C’est plutôt la question de vouloir vraiment ce que j’exprime. Est-ce bien là, non seulement mon opinion dans un échange, mais ma voix, fugace et mortelle, qui sent ce qu’elle dit ? En quoi puis-je dire, devant tant d’autres qui m’entendent : « me voici, ici je me tiens » ? En quoi suis-je témoin ?
Ce qu’il y a d’amusant, dans cette question, c’est que je ne le suis que si je ne me mets pas moi-même en avant. Le témoin ne cesse de montrer autre chose que lui-même, ce qui est en dehors de tout écran ou loin de tout micro. Il est toujours prêt à s’effacer pour laisser la place à d’autres témoignages. Un témoin qui se prétendrait le seul bon témoin ferait rire : les témoins sont au moins doubles. Mon expression peut même porter à la fois deux discours divergents, mais qui ont ensemble un meilleur rendu du sujet. Un témoin doit avoir l’intelligence de ne pas chercher à comprendre entièrement son propre témoignage, de ne pas chercher à en faire entièrement sa chose. Et c’est la joie que l’on éprouve à partager une découverte.
Ce qu’il y a de légèrement angoissant dans cette question, c’est d’accepter d’avoir une voix, de ne pas craindre de s’exprimer, de ne pas se retourner vers d’autres quand on m’appelle. Cet engagement auquel personne ne peut me forcer est risqué, parce que parlant pour moi j’accepte de parler pour d’autres. Un témoin doit avoir le courage de se déplacer pour prendre la responsabilité d’une parole qui le dépasse, en donner son interprétation. Il doit donc accepter d’être crédible et cohérent avec ce qu’il dit — c’est tellement plus facile de ne pas prendre sa propre parole au sérieux !
Mais si on me demande mes accréditations, je ne peux, avec l’apôtre Paul dans l’Epître aux Corinthiens, que répondre « mes lettres de garantie, mais c’est vous ! » Au fond, le plus angoissant et le plus amusant de tout cela, c’est que l’émission et le message reposent sur les récepteurs. Ceux-ci peuvent résister, interpréter autrement. J’aimerais surtout qu’ils aient à leur tour confiance dans leurs propres capacités à faire le tour d’un sujet, confiance dans leur propre voix.
Paru dans Lettre de la Radio-Télé protestante n°99 mars 2006
Olivier Abel
(merci de demander l’autorisation avant de reproduire cet article)