L’institution judiciaire est souvent aujourd’hui sous le feu des projecteurs et des caméras, on attend tout des juges, et dans le même temps on découvre de plus en plus que les tribunaux n’ont pas les moyens de faire face à la demande, et que la prison ne marche plus. Peut-être faudrait-il revenir à l’idée même de justice, et discerner ce qui relève de l’institution, et ce qui relève de chacun d’entre nous, de notre responsabilité à la fois singulière et collective. Je vois ainsi trois principes qui fondent de l’intérieur nos institutions du droit, et deux exigences en quelque sorte éthiques, sinon bibliques ou évangéliques, qui corrigent de l’extérieur, interminablement, nos institutions de la justice judiciaire, mais aussi économique et sociale.
Le premier de ces principes de la justice est celui de l’égalité devant la loi, de l’égalité de la loi, des poids et des mesures, pour tous les cas semblables. A cœur de l’équité ici se tient la rétribution égale, la possible réciprocité, œil pur œil et dent pour dent, sinon l’idée punitive de base que je serai traité comme j’ai traité autrui. C’est un principe d’équivalence et de symétrie. A chacun son dû.
Le second de ces principes qui guident le droit et l’institution judiciaire est la protection des plus faibles, la protection des petits, de la veuve et de l’orphelin. Notamment il prend en compte la vulnérabilité de ceux qui sont déjà victimes, et que le malheur désarme. Il favorise les plus défavorisés. Ce principe est apparemment contradictoire avec le premier, il permet de tenir compte des dissymétries, de les compenser.
Le troisième des principes qui me semblent au fondement de l’institution juste tient à l’acceptation qu’il n’y a pas de justice absolue. Au terme d’un procès souvent ni la victime, ni le coupable, ni la société n’en sortent satisfaits. La sagesse consiste alors à accepter que le jugement juste ne soit qu’un compromis fragile, qui permet de sortir du différend entre plusieurs droits qui s’opposent par un ajustement délicat. Les formes d’injustice sont nombreuses et d’ailleurs changeantes au fil des générations, et la sensibilité des sociétés se déplace.
Si ces différents principes de justice étaient acceptés et pratiqués ce serait merveilleux, mais chacun de nous doit aussi pour sa part résister à l’injustice, et c’est ici qu’interviennent les exigences qui de l’extérieur viennent corriger et compenser l’inévitable insuffisance de nos institutions.
La première est de chercher sans cesse à redonner à chacun sa chance. N’est-ce pas ce que Jésus a cherché ? Mais n’est-ce pas aussi ce que font les avocats, quand ils défendent jusqu’au bout chaque point de vue, ou quand le juge attentif à la présomption d’innocence refuse de punir de façon préventive ceux qui sont censés menacer la sécurité publique. Comment une société doit-elle être faite pour être entièrement juste pour chacun ? C’est la première direction dans laquelle le sentiment d’injustice travaille sans cesse à approfondir nos catégories toujours trop générales du juste.
La seconde de ces exigences voudrait redéfinir les règles du jeu, effacer les dettes, redistribuer les chances, les places, les rôles, bref tout repartager. C’est l’image du Jubilé dans le Deutéronome dans l’Ancien Testament, qui tous les quarante neuf ans propose d’effacer les dettes, d’abolie es esclavages, de redistribuer les terres, bref de tout repartager. Mais c’est plus profondément sans doute l’appel à la compassion, au sentiment que je pourrais être né dans la peau de n’importe quel autre. C’est enfin le sentiment que les responsabilités ne sont pas toujours si individuelles que cela, et que nous devons nous déplacer pour prendre notre part d’une responsabilité commune, plus universelle et plus vaste que nos petites règles de justice.
Olivier Abel
Paru dans La Croix en 2010.