Dans son livre magistral, Tolstoï raconte cet officier prussien, attaché à l’état-major russe de Koutouzov, et qui expliquait chaque échec stratégique par le fait que l’on n’avait pas exactement appliqué la théorie! Ce fut longtemps le discours stalinien[1], et c’est maintenant le problème des « guerres démocratiques », je veux dire des guerres conduites par les « puissances démocratiques », qui font du militaire un instrument neutre du politique, et pour reprendre les termes de Clausewitz (notre officier prussien?) « la continuation de la politique par d’autres moyens », comme s’il y avait une réponse technologique appropriée à tout type de conflit, et dont on puisse un jour éviter tous les « dégâts collatéraux ». Le problème est plutôt que nos démocraties ne pensent pas le conflit, ne pensent pas la guerre. Je ne prétend pas ici le faire, mais donner quelques indications pour un débat à venir, et qui supposent de remonter parfois assez loin dans l’anthropologie du conflit.
Les humains diffèrent les uns des autres. C’est leur honneur. Mais autant les humains sont heureux de différer, autant ils entrent en conflit à cause de ces différences, et de la difficulté même à partager leurs bonheurs comme leurs malheurs. Cette difficulté est double. Le bonheur n’existe qu’à être partagé, communiqué (il est malheureux d’être heureux tout seul), mais en cherchant à le partager, et parce qu’on ne peut pas forcer les autres à être heureux ou à goûter un plaisir, on peut faire du mal. Le malheur, au contraire, c’est qu’on ne puisse pas partager le malheur, mais que l’on puisse en revanche forcer les autres à éprouver du malheur, leur faire subir un autre malheur.
Or le sentiment d’humanité, de compassion ou de fraternité humaine ne suffit pas, ici. Même si ce sentiment seul peut nous rapprocher dans les temps sombres de la guerre, de la misère, des malheurs où l’on doute soudain du monde ordinaire, de sa réalité, il ne sert de rien d’autre que d’orientation dans l’obscurité. Car s’il fait place à ce droit de naissance qui est de pouvoir exister, il réduit les distances entre les humains, cette pluralité proprement politique que la paix en plein jour doit justement prendre en compte si elle veut faire du monde un cadre durable pour la cohabitation. Une cohabitation où nous puissions différer ensemble, où nous puissions soutenir nos différends, trouver non seulement un modus vivendi mais l’énergie et ce que j’appellerais la « compromesse » de l’accord dans nos désaccords mêmes.
Consentir à la pluralité du malheur
On savait que les humains diffèrent dans leurs façons de voir le bien commun, mais on commence tout juste à comprendre qu’ils ne parviennent pas davantage à trouver de consensus dans le malheur, ni à propos du malheur commun. Les humains ne voient pas le mal au même endroit. Il est possible qu’il se fassent du mal en plus pour cela même, dans ce désaccord quant au mal, et dans ce désir farouche de se prouver les uns aux autres, au moins par la violence, qu’ils sont encore dans le même monde. Ce différend quant au malheur est la grande difficulté que rencontre la reconstruction d’une paix, d’une cohabitation durable, entre ceux qui ont pu se faire autant de mal, qui ont pu se faire ce qu’ils ne savent pas qu’ils font. Car meurtrir et tuer, c’est faire ce qu’on ne sait pas. Le 20ème siècle aura été celui des personnes et des populations déplacées: sait-on par exemple ce que feront les générations qui ont grandi sans citoyenneté, dans un camp de réfugiés? Ce que l’homme fait à l’homme, et qu’il ne « sent » pas qu’il lui fait, exige que nous cherchions désormais, sans répit, à comprendre et à sentir ce que nous faisons. Nous devons ainsi nous arracher à la logique de surenchère qui nous amène à faire ce que nous voulons savoir, c’est-à-dire à faire ce que nous ne comprenons, ne sentons, ne savons pas. Je dis logique de surenchère, parce que c’est une drogue qui, par l’accoutumance et l’indifférence, demande des doses de plus en plus fortes de malheur.
À cet égard, il est précieux de ne pas présupposer un excessif optimisme dans la bonté humaine. Pierre Bayle, à la fin du 17ème siècle, écrivait que l’homme préfère se faire du mal si cela peut aussi faire du mal à son adversaire plutôt que se procurer un bien qui tournerait aussi au bien de l’adversaire. On est loin ici de la conception libérale du siècle suivant qui estime avec Adam Smith que le jeu des égoïsmes par lequel chacun cherche son bien sert en fin de compte l’intérêt général. Mais la conception libérale est-elle beaucoup plus optimiste? Et les tragiques grecs comme Shakespeare dans Macbeth n’ont-ils pas montré que l’homme préfère rajouter au malheur plutôt que de subir passivement l’irréparable?
Comment partager et transmettre à propos de l’irréparable? Il faudrait pouvoir formuler les plaintes et les torts subis, mais on a le sentiment que l’auditoire ne comprendra même pas. Comme si chacun était engoncé dans une mémoire inéchangeable. Peut-être est-ce d’ailleurs le but de l’opération: pour supporter les échanges planétaires, ne nous faut-il pas de l’inéchangeable? Et puis, quand on a affaire à cet irréversible qui fait que le malheur est vraiment malheur, les versions des faits ne se comprennent pas, on est pris dans des langages différents. Le grand danger du pardon, de la réconciliation, c’est lorsqu’on qu’on croit qu’on va enfin tous communier dans un seul langage, en liquidant les différends irrémédiables. Les espérances hâtives et bâclées sont toujours funestes.
Mais il y a aussi danger à mettre en scène un devoir de mémoire. Dans cette politique, on fait faire par des représentants officiels de la mémoire le travail de remémoration, de remords ou de deuil qui devrait être celui de chacun. Les commémorations font faire à chacun l’économie d’un travail sur soi, qui l’amènerait peut-être à se voir lui-même autrement. Et puis, comme les politiques de la langue, les politiques de la mémoire et de l’oubli sont toujours simplificatrices du passé, et donc du présent: elles oscillent entre l’élimination de toutes les traces de l’autre, ou l’incarcération de l’autre dans ses traces, voilà les deux abîmes entre lesquels il leur faut se glisser.
On voit toutes les difficultés que rencontre l’installation d’une culture de paix. Elles sont d’autant plus grandes que l’on est plus près de la fraternisation, de la communion dans la pure humanité. Pourquoi les grands mouvements de liesse populaire (Fête de la Fédération à la Révolution, chute du rideau de fer) sont souvent suivis de terreur et de guerres civiles. Pourquoi bascule-t-on du plus grand amour dans la plus grande haine? Comme si la déception était d’autant plus forte qu’il y avait plus d’amour auparavant. Comme s’il était plus difficile encore de partager un bonheur, une promesse de bonheur, un bien commun, que de partager un malheur. Comme si des promesses incompatibles dynamitaient la terre promise; on l’a vu pour la Palestine comme pour l’Algérie. Essayons donc de comprendre, de détailler et de distinguer les manières qu’ont les humains de sombrer ensemble dans la violence armée.
De la haine fratricide à la volonté de paix
Première remarque: le lien social qui précédait les violences n’a pas été attaqué de la même manière si le conflit s’est déclenché pour refaire des différences face au bulldozer des échanges, ou pour refaire l’unanimité du corps social là où les différences ont passé le seuil de tolérance supportable. Ce sont les deux sources fondamentales de la guerre.
D’une part en effet, pour qu’il y ait humanité, il faut qu’il y ait des différences sans lesquelles les échanges sont impossibles. Mais le problème aujourd’hui n’est plus tant de faire échanger des gens qui resteraient repliés sur eux-mêmes, que de parvenir au contraire de ralentir les échanges. Quand il y a trop d’échanges, en effet, tout s’égalise et il n’y a plus de différences[2]. C’est peut-être le cas dans les Balkans, lorsque trop rapidement les anciennes différences s’effacent devant la démocratisation, les lois du marché, etc. Les anciennes frontières s’écroulent et il apparaît alors un besoin de différer de l’autre, de refaire de nouvelles frontières, qui ne sont à cet égard pas seulement le réveil des anciennes, comme on l’a trop cru. Lévi-Strauss a insisté sur ce phénomène anthropologique fondateur: que pour être vivante une culture a parfois besoin d’être sourde aux autres, surtout quand l’accélération des communications uniformise la donne des échanges.
Mais on peut aussi basculer dans la haine parce qu’il y a trop de tensions, de problèmes de minorités, trop d’inégalités sociales, trop de différences de langues, de cultures, de mœurs, de religion, trop de désaccords. On veut alors refaire un corps social unanime. Le sociologue Georg Simmel a montré que la violence apparaît quand on a dépassé le seuil de tolérance des différences et des tensions. Au fond, la violence apparaît quand on refuse le conflit, et qu’une société veut revenir à l’unité. Le désir d’unanimité peut être une figure de la haine, quand on ne supporte pas la difficulté à communiquer, à échanger, à partager, et qu’on ne tolère pas qu’il puisse y avoir quelque chose que l’on ne partage pas. Dans l’un et l’autre cas la volonté de paix, de retisser le lien social, n’aura pas la même forme. On comprend ainsi qu’il y ait au moins deux sources de la paix civile.
Pour bien comprendre ce qui fait basculer dans la guerre et ce qui peut nous en sortir, il est également utile de distinguer le conflit entre égaux, entre frères ennemis, où ce sont souvent ceux qui se ressemblent le plus qui se déchirent le plus, et d’autre part le conflit entre inégaux, que l’on trouve par exemple dans les guerres coloniales. Autre est la guerre civile qui oblige une population de « semblables » à refaire place entre eux à de nouvelles différences, ou à des « différents » de refaire place à une similitude, autre est la guerre coloniale ou « impériale »[3] qui va chercher ailleurs cette différence dont elle se nourrit ou cette unification[4].
Il ne faut d’ailleurs pas croire que toute guerre coloniale, entreprise comme une “dératisation” à risque quasi-zéro pour le colonisateur, soit gagnée d’avance. Si une technique est imposable à l’adversaire, obligé de se doter de moyens militaires commensurables ou de disparaître de l’échange (ici de l’échange de violence), par contre une langue, un mode de vie, une religion, et plus généralement toute forme du vouloir vivre ensemble, ne sont pas imposable. Le progrès de la puissance technique (et la forme des abattoirs, l’industrialisation des moyens de mise à mort animale, n’est pas par hasard contemporaine des camps d’extermination nazis) est indissociable des progrès de la mobilisation ethnique, et la révolution des systèmes d’armes (attaque et défense) est solidaire de celle de la galvanisation nationale (la Révolution française).
Si la guerre suppose non seulement de disposer des moyens techniques de destruction, mais aussi de la résolution psychique, de la détermination d’une volonté commune, il en est de même pour la paix: il faut des moyens techniques de reconstruction et un vouloir vivre ensemble, et sans ce dernier la reconstruction est un leurre. Or le vouloir faire lien exige le pouvoir de différer, de se distinguer les uns des autres, et non pas seulement l’obligation de se tenir dans la charité ou la fraternité humaine. Vouloir vivre ensemble signifie vouloir différer ensemble, et accepter que l’on ne diffère pas tout seul mais justement ensemble.
L’institution du différend
Le conflit a eu lieu, dans sa violence. Alors qu’il voulait refaire un lien social, dans un minimum de séparation ou dans un minimum d’unanimité, il a déchiré la possibilité de faire lien. Il a fait beaucoup plus de méchants qu’il n’en a supprimé, il a fait un irréparable tel qu’on ne sait pas si les survivants ne vont pas surenchérir, et faire pire encore. Bientôt ou bien plus tard; un jour. Il y a de l’inexpiable simplement parce que les victimes, ceux qui pourraient pardonner, ne sont plus là, et les coupables non plus. Parce que les enfants des victimes sont victimes, et que les enfants des coupables ne sont pas coupables. C’est ce qui rend irrémédiables les décalages, l’impuissance à partager le malheur, et à transmettre ce qu’on voudrait. Pouvons nous pardonner quelque chose que nous n’avons pas subi, demander le pardon pour quelque chose que nous n’avons pas fait? De là vient le fait que les discours soient opposés, et incommunicables. On ne peut plus rien changer du passé.
Et pourtant, il y a des enfants qui grandissent, et on peut agir sur le futur du passé. On doit le faire, justement parce que ce n’est pas fini. Que ce n’est pas passé. Et que ça peut encore basculer dans le pire. Seule une action présente peut rouvrir autrement un passé qui n’arrive pas à passer.
Pour cela, il faut essayer de construire une narration dans laquelle il y aura deux discours. Mêlés mais non confondus, ces discours acceptent de cohabiter dans une langue plus compliquée sinon dans un multilinguisme réglé, dans une histoire polycentrique, dans une narration à plusieurs voix, dans une constitution juridique et politique qui représente vraiment le conflit des droits, les conflits réels. Le métier de juge pour temps de guerre est un impossible métier, parce qu’il n’y a pas de force légitime unique qui permette d’appliquer le droit. La justice qui émerge d’un conflit doit partir de l’écart entre deux droits, entre deux prétentions, dont on ne sait s’ils sont compatibles dans le même monde possible. Comme s’il n’y avait pas de langage possible complet pour cette situation, pas d’expression des torts qui soit d’emblée acceptable pour tous et pour chacun. L’intervention du jugement droit est alors quasi-poétique: elle reconstruit une pertinence juridique nouvelle, et par là fraye la voie à une nouvelle représentation de la réalité. C’est ce qu’on peut appeler l’institution du différend.
On ne peut mettre fin à un différend entre des contemporains en le ramenant à un accord, mais en installant ensemble les deux versions de telle sorte que chacune accepte la possibilité de l’autre, dans un travail de concessions réciproques, de narration à plusieurs voix. On ouvre ainsi un espace de cohabitation non en liquidant le passé, mais en obligeant les protagonistes à le réinterpréter ensemble, par un travail d’invention à plusieurs. Par un travail d’imagination du possible, à la limite de la fiction, et qui oblige les uns et les autres à se déplacer pour prendre une part de responsabilité et faire en sorte qu’un tel malheur ne puisse se reproduire. Quand Willy Brandt va s’agenouiller sur le mémorial de la Shoah, c’est un geste politique.
L’équité suppose ainsi d’abord une fiction minimale: c’est cette « analogie de l’expérience » par laquelle j’accepte que comme moi les autres puissent dire « je » et soutenir leur insubstituable point de vue. Les autres sont comme moi et je suis comme les autres. L’engagement actuel des protagonistes dans leurs points de vue respectif est un instant retenu ou suspendu par cette analogie. Et même si le sujet n’est pas indifférent (par colère, envie, vengeance ou crainte) il fait comme s’il l’était. C’est cette suspension, due au sentiment soudain que je ne suis pas seul au monde, que nous sommes co-présents, qui permet au sujet de s’essayer comme « autre » que soi-même, de se voir à partir d’autres points de vue. C’est cela l’imagination: se mettre à la place (des amis de ses ennemis, par exemple) en sachant qu’on ne peut jamais y être vraiment. Comme si le malheur, quant la violence se retire dans l’épuisement des forces combattantes, pouvait seul modifier les prétentions jusque là imaginaires des uns et des autres, les obliger à tenir dans un même monde, mais dont on ne sait pas encore très bien lequel.
Le problème de la réconciliation
La fiction consiste ensuite à partir du fait que la solution a déjà été trouvée, qu’elle convenait bien, mais qu’on a oublié laquelle. Dans une sorte de remémoration créatrice, il faut reconstituer ensemble cette réponse. La démarche suppose donc l’abandon, par chacun des adversaires, de leurs prétentions initiales, et que tous deux doivent venir se placer, poétiquement, sous cette question commune et nouvelle. C’est déjà pragmatiquement l’équivalent d’un pardon, puisque même si l’on est d’accord sur la nécessité de pardonner, le problème est souvent qu’on ne l’est pas sur la distribution des rôles. Si cette distribution devient indifférente, parce qu’elle a été reconnue et déplacée par les contemporains qui viennent se placer dans le même espace politique, cela veut dire que l’on fait comme si l’on avait déjà pardonné.
Le pardon a un effet sur la mémoire. On oublie qui a commencé. On a échangé les mémoires, on a brouillé la mémoire. Et pourtant le pardon demande de dire la mémoire, de dire le tort. C’est le paradoxe et c’est pour cela qu’avec le pardon, on est le plus proche de la paix, mais aussi le plus proche de la guerre, parce que c’est au moment du pardon que se rejoue toute la scène. Il faut reprendre tous les rôles, une dernière fois, pour changer ces rôles, pour oublier les rôles. C’est un moment d’autant plus fragile que les plus grands désirs de partage peuvent se retourner dans les plus intenses sentiments d’incommunication. Cela ne se fait pas sans précaution, surtout quand on a affaire à des torts irréparables.
Il y a autant de manières de sortir des conflits violents qu’il y a des formes différentes de conflit, nous venons de le voir. Mais comme la sortie du conflit ne saurait se faire sans rétablir un lien social ou établir une nouvelle forme de l’accord, sans même parler de l’impossible partage des souffrances dues au conflit, la violence peut être relancée par le conflit entre les différentes issues heureuses et rapides que l’on souhaite au conflit. Rien n’est plus inexpiable que la guerre entre des visions de réconciliation d’autant plus inconciliables qu’elles sont plus dévouées à la paix, rien n’est plus irrémédiable. Au Kosovo, par exemple, avant de penser la réconciliation, il n’est pas inutile de considérer le fait que la culture de la réconciliation n’est pas forcément la même chez des musulmans et des orthodoxes, et que la forme de tolérance visée, de co-habitation, ne poursuit pas le même idéal de lien social.
Il y a un autre irréversible cependant, et on l’a déjà signalé: c’est le fait des enfants qui grandissent. Le plus impardonnable, c’est le refus de la naissance. Certes, il y a de l’imprescriptible, et il ne faut pas que les enfants oublient les morts; en même temps, il ne faut pas que cette dette envers les morts empêche les enfants de grandir. Le travail de deuil est toujours aussi un travail d’enfantement; la réouverture d’un passé est aussi la mise au monde d’un présent. À cet égard, loin du complexe de culpabilité ou de supériorité du « survivant », il faut peut-être partager la grâce d’être rescapés, et repartir de la gratitude d’être ensemble ici, si l’on veut trouver ce qui nous autorise à « différer ensemble ». Et de même qu’un malheur présent peut soudain rouvrir des malheurs anciens cicatrisés et oubliés, résorbés, et modifier le passé dans le sens du pire, d’une constellation fatale, un bonheur présent peut soudain rouvrir dans le passé des bonheurs inaperçus, des promesses de bonheur jusque là non encore tenues, des joies inattendues qui se réalisent.
Olivier Abel
Notes :
[2] Kant, dans ses écrits sur la philosophie de l’histoire, et notamment dans les « conjectures sur les débuts de l’histoire humaine », comme d’ailleurs dans La religion dans les limites de la simple raison, insiste sur le fait que la discorde des langues et des religions est utile à l’humanité. Et si les guerres « font plus de méchants qu’elles n’en ôtent », elles sont ce qui empêche l’humanité de sombrer sous la coupe d’un despotisme universel.
[3] C’est ce qu’Hannah Arendt lisait chez Rosa Luxemburg, ce processus d’expansion planétaire du capitalisme à la conquête de nouveaux marchés où l’accumulation du capital se nourrisse de tout ce qui lui est encore extérieur. Et quand la mondialisation sera achevée, sera-ce l’effondrement du capitalisme, ou bien se retournera-t-il vers la guerre civile et la dualisation des sociétés pour refaire de nouvelles différences? Arendt pose la question.
[4] C’est ici la grande difficulté des guerres « internationalistes » levées par des projets d’émancipation universelle (comme jadis l’évangélisation, et naguère le l’internationale communiste: c’est que, comme Trotsky l’a découvert, la guerre prend dans des systèmes d’offensive ou de défensive qui sont « nationaux », et qui volent en éclat comme les langues et les religions.
Texte publié dans Autres Temps n°67, Automne 2000, p.3-10.